Au Guatemala, l’histoire est tragique et les militants sociaux, pour la plupart, réprimés et silencieux. Mais une femme, indigène de surcroît, va redonner une voix à ce pays malmené, brisé par plus de trente ans de guerre civile. Cette femme, c’est Rigoberta Menchú. Une femme forte, fière de son pays, de ses racines indigènes. Et qui mérite quelques lignes dans ce blog de voyage.
Rigoberta Menchú est née le 9 janvier 1959, à Chimel, au Guatemala. Elle appartient à la communauté indienne des Quiché, apparentée aux Mayas. Un peuple dont les traditions perdurent jusqu’à nous jours.
Sa vie est une histoire de labeur et de drames. Dès l’âge de cinq ans, elle commence à travailler dans la ferme de grands propriétaires terriens. Dans son autobiographie (1), elle raconte la vie misérable de ses parents et de ses huit frères et sœurs. Une vie à la limite du supportable, qui les rejetait à la marge de la société : «Moi dans ma maison, j’ai souffert de la discrimination la plus humiliante, au plus profond de mon être. Les indigènes étaient montrés du doigt parce qu’ils étaient sales, mais c’est la situation qui nous obligeait. Nous n’avions pas le choix. Nous ne faisions que survivre rien d’autre ».
À l’âge de treize ans, elle part à la capitale et se fait servante. Elle pénètre dans un monde inconnu, peuplé de métis et de gens riches qui traitaient mieux leur animal que le personnel à leur service : « Le premier repas qu’ils m’ont donné a été un peu de haricot avec des tortillas bien sèches. Ils avaient un chien dans la maison, un chien bien gras. Et puis j’ai vu l’autre domestique ramassant pour elle, des morceaux de viande, de riz dans l’écuelle du chien. C’était les restes du repas de mes maîtres. Cela m’a beaucoup fait souffrir de voir que ce chien mangeait beaucoup mieux que nous et que je ne méritais même pas le repas d’un chien ». Une première expérience de la cruauté du monde d’en haut. Comme une première piqûre d’une injustice à combattre.
Rigoberta Menchú est issue d’une famille en résistance, en lutte contre la toute-puissance et le mépris des grands propriétaires terriens. Son père, militant paysan, lui inculque l’amour et le droit à la terre pour ceux qui la travaillent. À partir de 1977, son père entre dans la clandestinité. Pour lui, la racine du problème était simple, les meilleures terres étaient aux mains des grands propriétaires terriens et il ne restait quasiment rien aux simples paysans : « Mes enfants, il y a les riches et les pauvres. Les riches sont devenus riches parce qu’ils ont pris toute la terre à nos ancêtres et en même temps, ils s’alimentent de notre sueur. Mais, maintenant nous commençons à y voir plus clair et nous devons nous organiser pour combattre un tel état de fait ».
À vingt ans, Rigoberta séduite par de telles idées, intègre le Comité d’Unité Paysans (CUP), bras politique de l’Armée de Guérilla des Pauvres, l’EGP (2). Elle tente d’établir des réseaux de solidarité entre diverses communautés pauvres afin de les inciter à rechercher les moyens de se défendre contre l’armée nationale. Elle entreprend l’apprentissage de l’espagnol qui lui permettra de communiquer au monde entier les atrocités vécues par son peuple. Sa force et son arme seront les mots dont elle dispose. Elle en usera dans toutes les hautes-sphères du monde.
Son plus jeune frère, Petrocinio prend aussi le chemin de la résistance. Il en paiera le prix. À seulement dix-sept ans, il sera torturé et exécuté. Nous sommes en 1979 et cette mort sera le début d’une persécution systématique contre les membre de la famille Menchú, accusait d’être à la solde des communistes. De plus, c’était l’époque où les mouvements de guérilla fleurissaient dans le pays. L’état était prêt à tout pour s’en débarrasser. À n’importe quel prix et avec n’importe quels moyens mais, pour la famille de Rigoberta, le pire est encore à venir…
Les menaces ne parviennent pas à détruire les rêves de liberté du père. Le 31 Janvier 1980, avec d’autres compagnons d’armes, ils occupent l’ambassade d’Espagne pour protester, dénoncer les exactions et les massacres de la population civile et plus particulièrement des indigènes d’origine mayas. L’armée, sans aucune scrupule, met le feu au bâtiment. Vicente Menchú et trente-sept de ses compagnons brûlent vif.
Mais la tragédie ne peut s’arrêter là. Il faut la mort de la mère sur l’autel de cette guerre sordide. Elle est tout autant que le père une épine dans le pied du gouvernement. Particulièrement après la mort des hommes de la famille, elle ose reprendre le flambeau et parcourt toutes les régions pour exhorter les femmes à résister.
Juana Rigoberta est enlevée le 19 avril 1980. Le récit qu’en donne Rigoberta est difficilement supportable : « Dès le début de la captivité, ma mère fut violée par les chefs de l’armée. Ils la torturèrent, lui coupèrent un bout d’oreille mais jamais elle ne parla. Ses blessures s’infectèrent. Elle reçut un traitement qui lui permit de récupérer. Ils la violèrent de nouveau. Puis, les militaires l’amenèrent sous un arbre et la laissèrent là, agonisante. Elle y resta près de quatre jours sous le soleil, sous la pluie. Ses blessures se remplirent de vers, son corps était tout enflé mais elle ne se résignait pas à mourir. Puis, les militaires revinrent et découvrirent son cadavre, ils urinèrent dans sa bouche. Ma mère fut ensuite dévorée par les charognards ». Les femmes, premières victimes de la bestialité des hommes en armes. De tout temps. De tous pays. L’inhumanité n’a pas de frontière, pas de bannière. Juste le goût du sang et du pouvoir.
La famille Menchú, un condensé de l’horreur de la guerre sale au Guatemala. Parce que l’histoire de cette famille n’est qu’une infime illustration de toutes les atrocités vécues pendant les trente-six longues années de cette infâme guerre civile. Une conflit avec la torture, le viol comme armes d’intimation. Une barbarie proche de la bestialité. Presque une universalité de la nature humaine en temps de conflits. Et les chiffres de plus de 200 000 morts ne peuvent que nous laisser pantois d’effroi et d’indignation.
Face aux menaces de plus en plus rapprochées, la jeune femme prend le chemin de l’exil pour Mexico, en 1981. Elle a à peine vingt-deux ans. Elle est accueillie par Samuel Ruiz, évêque de San Cristóbal de las Casas et grand défendeur de la cause des indigènes du Chiapas. À son arrivée, elle est écrasée de douleur mais pour autant, elle ne renonce pas à la lutte : « Je me disais, je ne suis pas la seule orpheline au Guatemala, il y a en beaucoup d’autres, ce n’est pas seulement ma douleur, c’est celle de tout un peuple ». Durant cet exil forcé, elle se fit un devoir de dénoncer les abus subis par le peuple Guatémaltèque afin d’interpeller la conscience internationale.
Dans un effort d’universalité, elle écrit sa biographie en 1983, avec l’aide de l’anthropologue Elisabeth Burgos, elle-même sud-américaine (Venezuela).
En 1992, elle reçoit le prix Nobel de la paix (3): « en reconnaissance de son travail pour la justice sociale et la réconciliation ethno-culturelle basée sur le respect pour les droits des peuples autochtones ». À trente-trois ans, c’est la plus jeune lauréate à obtenir ce prestigieux prix.
Ce prix lui permet de créer une fondation à son nom, qui contribue à la défense des droits humains et en particulier des droits des peuples indigènes.
Inlassablement, elle parcourt les couloirs de l’ONU pour porter la parole des victimes du génocide. En 1991, elle participe à la préparation d’une déclaration de droits des peuples autochtones puis elle devient, en 1993, ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO, date où elle rentre au Guatemala. Elle va alors multiplier les fondations, les projets de paix et peut-être qu’à force de rester dans les arcanes du pouvoir, elle va se perdre un peu en route.
Rigoberta est une femme de tête, opiniâtre et elle n’hésitera pas à faire face à son bourreau, l’ex-dictateur militaire du Guatemala, Efrain Rios Montt (4) pour son implication dans le génocide contre le peuple maya du Guatemala.
Son acharnement et celle d’autres organisations vont réussir à faire juger Pedro Arredondo Garcia, ex-chef du Commando Six de l’ancienne Police Nationale. Le 19 janvier 2015, le tribunal pénal de Ciudad Guatemala a prononcé à son encontre, une peine de quatre-vingt dix ans de prison pour crime contre l’humanité. Il est reconnu coupable de la mort de trente-sept personnes.
Mais la vie de Rigoberta Menchu peut aussi se regarder sous un angle plus critique que la simple icône des droits des indigènes du Guatemala.
En 2007 et 2011, elle sera tentée comme tant d’autres par le pouvoir politique et se présentera à l’élection présidentielle de son pays. Elle créera le mouvement WINAQ, (plate-forme regroupant de
nombreux mouvements mayas de tout le pays) et recevra le soutien moral et logistique du MAS, parti d’Evo Morales en Bolivie. Néanmoins, elle est éliminée dès le premier tour, ne recueillant que 3 % des suffrages.
Une autre controverse, et pas des moindres, sera soulevée par l’anthropologue américain, David Stoll (5). Il publiera une enquête, après plus de dix ans d’investigation, et l’accusera d’avoir à la fois «inventé» et «mis en en scène» certains des éléments clés de son histoire. Ses défenseurs rétorquent que toutes les inexactitudes sont compensées par l’importance de son témoignage sur la vie des Indiens au Guatemala : « Un enquêteur nord-américain tente de réfuter l’histoire récente du Guatemala comme s’il s’agissait de l’invention idéologisée d’une gauche que l’on accuse, à la fois, de manipuler la personne et de fabriquer le mythe qu’incarne aujourd’hui le prix Nobel de la Paix. Le livre de Stoll est encore un produit de la guerre froide. Pour lui, Rigoberta est un produit de la vision idéologique de l’Armée de Guérilla des Pauvres, (l’une des composantes de la gauche révolutionnaire au Guatemala) et donc le produit d’un complot communiste. C’est-à-dire que les indigènes ne sont pas capables de transmettre leurs expériences… » (6).
Une controverse qu’Elisabeth Burgos, la biographe officielle, alimentera de sa petite phrase : « Même s’il m’est difficile de dire ouvertement que Rigoberta a menti, il semble aujourd’hui que certains des faits qu’elle m’a relatés sont inexacts. Du fait de son militantisme pour un mouvement de guérilla d’origine marxiste, elle avait un message à faire passer quand elle a débarqué à Paris en 1983 ».
Pour les États-Unis, les guérillas de gauche en Amérique Latine, sont un ennemi de toujours. De ce fait, ils ont jouer à fond la carte de l’ingérence dans le but d’éradiquer la menace rouge, comme ce fut le cas pour le Chili. Et Le Guatemala n’a pas échappé à la règle. Ce pays a toujours été pour eux comme une partie d’échec ou ils plaçaient des dictateurs-marionnettes, où ils installaient des compagnies fruitières (United Fruit), où il exerçaient une surveillance rapprochée par le biais de la CIA.
Face à cette obsession séculaire, pourquoi ne pas s’interroger sur le sens d’un tel travail de la part de David Stoll, à l’instar du journaliste guatémaltèque, Arturo Arias : « Pourquoi personne ne trouve immoral qu’il mène depuis dix ans une campagne clairement idéologique, étant donné ses liens avec des Églises protestantes qui collaborèrent aux tâches de contrôle de la population civile pendant la guerre qui vient de s’achever ? »(6).
De plus, une dimension qui n’apparaît pas forcement dans les travaux de l’anthropologue, c’est celle des traditions et de la culture maya pour qui le « Je » est également un « Nous » : « Rigoberta appartient à une autre tradition culturelle, à une tradition pré-littéraire, de l’oralité, où l’histoire revêt un caractère collectif. Les faits se rejoignent dans la mémoire commune et appartiennent à la communauté. Tous les faits relatés se sont effectivement passés, même si elle ne les a pas tous nécessairement vécus » (6). Une polémique sans nuance, où chaque camp avance ses arguments de choc. David Stoll, agent double, Rigoberta Menchú, une icône bafouée ? Pour sortir de ces schémas un peu trop simplistes, il est fort utile de lire l’excellent article d’Yvon Le Bot (7).
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Au-delà des clairs-obscurs de la vie de la militante guatémaltèque, il est important de souligner la persistance de la culture maya à travers les siècles. Malgré les coups portés par la Conquista, ils n’ont jamais renoncé à leurs traditions, à leur identité : « Nous autres les indigènes avons caché notre identité, nous avons gardé nos secrets. Lorsqu’un curé arrivait, tous les indigènes fermaient leur bouche, les femmes se voilaient avec leurs foulards comme si nous ne pensions rien. Mais lorsque nous étions entre nous, nous savions discuter, penser, s’organiser et ainsi à perdurer notre culture ». Les Mayas, un peuple courbé sous le poids de l’histoire mais jamais totalement soumis. Rigoberta Menchú, digne héritière de son peuple.
Jaco, Costa Rica, 18 avril 2015
Petite mise à jour , du 30 mai 2015:
Parfois, les héros du passé trahisent leur engagement et leur idéaux. C’est ce qui s’est passé le 26 mai avec son rapprochement avec l’Institut National Electoral (INE) du Mexique. Voir article de ce blog, à la date du 30 mai 2015.
(1) « Moi, Rigoberta Menchú. Une vie et une voix, la révolution au Guatemala », par Elisabteh Burgos, 1983, Collection Témoins, Gallimard.
(2) L’Ejercito Guerillero de los Pobres est un mouvement de guérilla fondée en 1972 s’inspirant des modèles cubains et vietnamiens.
(3) Couronner une indigène fut un beau pied de nez à l’Histoire alors que le monde s’apprêtait à célébrer les cinq cent ans de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.
(4) Général et ancien chef d’état de 1982 à 1983. Voir article du blog du 6 avril 2015.
(5) « Rigoberta Menchu, le symbole vacille. La prix Nobel de la paix accusée d’avoir menti sur sa vie ». Fabrice Rousselot. Libération. 17 Décembre 1998.
(6) « À propos du débat sur Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix ». Fondation Rigoberta Menchú, Arturo Taracena, Arturo Arias, Alterinfo.org, 1er février 1999.
(7) « Rigoberta Menchú : naissance d’un sujet [À propos du livre de David Stoll : Rigoberta Menchú and the Story of All Poors Guatemalans, Boulder (Colorado) ». Yvon Le Bot. Westview Press, 1999.
Je suis scandalisée, dégoûtée : 150 000 morts, 200 000 orphelins, un million de déplacés, 40 000 veuves ! Et des fachos autoamnistiés encore et toujours aux commandes de ce si petit pays, à quand le dénonciation médiatique ou plutôt mediocratique ????
A 14 ans à peine, je présentais devant ma classe au collège, Le SALVADOR, avec les mêmes massacres perpetrés par les Escadrons de la mort, ils sont allés à bonne école celle de la CIA, 70 000 morts, un million de réfugiés sur 6 millions d’habitants, une véritable hécatombe. Et l’impérialisme états-unien continue HONDURAS, PANAMA, VENEZUELA…. Sans parler du Proche-Orient !