Semaine sainte au Guatemala. Jésus super star.

             Semaine Sainte au Guatemala. La fête de toutes les fêtes. Espérée par tous et pas seulement parce qu’elle offre une semaine de vacances. Non, c’est surtout une semaine pour honorer le Christ. En réalité, les points forts se situent sur deux jours, le jeudi et le vendredi saint. Deux jours de ferveur. Deux jours d’abandon de soi. La passion du Christ dans sa vérité la plus criante.
Pour les néophytes comme nous, il faut quand même retrouver un peu le sens de la semaine pascale. Face à ces milliers de catholiques quasi mystiques, on se rend compte qu’on n’aurait pas dû sécher les cours du catéchisme et mieux écouter Monsieur le curé.
Alors c’est quoi la passion du Christ ? C’est simple en fait, c’est l’ensemble des souffrances et supplices qui ont précédé et accompagné la mort de Jésus Et la semaine sainte, c’est la commémoration de la vie, mort et résurrection du Christ. Facile non?
Au Guatemala, la semaine sainte commence le dimanche des Rameaux, symbolisant l’entrée du prophète à Jérusalem. Et pendant, une semaine, le pays revivra le chemin de croix de Jésus. Une expression religieuse des plus impressionnantes. Entre mysticisme et masochisme pour certains. S’infliger les mêmes souffrances que le Christ déchu. Vivre dans son corps, la douleur et la souffrance, le temps d’une procession. Puis rentrer chez soi. Les épaules rompues, le dos fourbu et l’âme pleine.

             À Ciudad Guatemala, la capitale du pays, on atteint les sommets de la religion. Par un triste dimanche au ciel bas et lourd, on part se balader dans le centre. Insouciants, nous ne savons pas que c’est le dimanche des rameaux. Mais soudain, comme un anachronisme, dans cette ville grise, partout des hommes en robe d’évêques violettes. Un peu troublant quand même. Puis des femmes en noir, mantilles sur la tête, gantée alors qu’il fait horriblement lourd. Comme un petit air de siciliennes égarées. Au loin, un bruit, une clameur. La foule se densifie. Le violet prédomine. On apprendra par la suite que c’est la couleur de la pénitence.
Et puis, tout me revient en mémoire, les dimanches de rameaux de mon enfance mais ça ne ressemblait pas du tout à ça. Ma mère allait faire bénir son petit bout de laurier, puis elle rentrait tranquillement chez elle. Ici, c’est plus spectaculaire, plus fastueux. La foi en version panoramique. Presque un spectacle de son, lumière et afflictions.
Au sol, des alfombras, art de rue qui consiste à dessiner un tapis avec du sable de couleur, sciure de bois, pétales de fleurs. Ils sont réalisés plusieurs heures avant la procession. Certains représentent le visage du Christ, d’autres des fleurs, des oiseaux. Un art éphémère qui sera piétiné par les milliers de pénitents lors du cortège. Un vrai acte de foi, la beauté du geste le plus absolu.
Un char énorme arrive sur nous. Au centre, le christ portant sa croix. Le poids en paraît exorbitant. Il ne faut pas moins de cinquante bonhommes, de chaque côté, costumes noirs stricts et cravates violettes. Les cucuruchos, c’est le nom que se donne les pénitents, le portent à même l’épaule. Certains ont une expression de souffrance, marqués par l’énormité de la charge. Il se dit que certains s’évanouissent de chaleur ou d’émotion qui sait ? Il faut sûrement être un peu maso pour porter un tel poids sous cette chaleur abominable. Ou alors leur foi est tellement grande qu’ils peuvent endurer la plus grande des épreuves au nom de Dieu. En tout cas, leur foi force l’admiration.
Espiègle, le soleil sort à ce moment-là. Les hommes soufflent, les hommes souffrent sous le poids de leurs péchés. Les pénitents chaloupent. Le char ressemble à un bateau au milieu d’un naufrage. Les musiciens l’accompagnent par une marche funèbre. Les tambours vibrent de beauté solennelle. Nous sommes au cœur de la foi. L’ambiance est dense, la douleur est palpable. L’air devient plus lourd. Presque angoissant.
Le christ imperturbable porte sa croix. À un autre carrefour, un char avec la vierge Marie, portée par des femmes. Le changement de fidèles va se faire au rythme d’une cloche. Cette scène se répétera des dizaines de fois. Plusieurs milliers de fidèles auront eu l’honneur de porter le char. Un honneur qui se paie (1) et certains sont prêts à tous sacrifier pour être présents, ce jour-là.
Les femmes patientent, Madones éplorées, avant l’arrivée du cortège. Une femme déguisée en bonne sœur surveille la longueur de la jupe, vérifie que la tenue est réglementaire. Presque une sergente chef, au visage sévère, pas vraiment envie de rigoler avec elle. Elle aurait un fouet que cela ne m’étonnerait pas…
Les femmes, têtes sous le char, ont le regard vague de celles qui sont ailleurs. Certaines pleurent. Leur pas martèlent le bitume. Un battement de cœur collectif.. Tangible dans leurs gestes et dans leurs corps. La musique se fait lugubre.  On se croirait presque à un enterrement. Mais n’oublions pas que nous sommes là pour accompagner Jésus vers la crucifixion !! Vu la situation, on ne peut quand même pas leur demander de danser la samba…

             À Livingston, sur la côte caraïbe, l’ambiance est totalement différente. Ici, c’est la terre d’accueil des Garifunas, dont les ancêtres étaient les esclaves noirs venus d’Afrique (2). Le jeudi soir, dans le quartier Minerva, une hutte de palmes et de tôles trône au milieu de la rue. Juste un rideau blanc. Derrière une statue du Christ patiente. Devant, trois petits centurions, noirs de peau, cape rouge et chapeau de shérif, une lance à la main gardent l’entrée. En fond sonore, on entend une musique de suspense. Les petits gamins jouent leur rôle très au sérieux. Ils s’avancent vers la foule, la scrutent. Dans la petite hutte, les silhouettes en ombre chinoise des fidèles qui se recueillent. Une étoile filante traverse le ciel comme une invitation à faire sortir le prophète.
La foule, majoritairement Garifuna, est souriante, volubile. Les enfants courent partout. Les femmes s’interpellent en riant. Les hommes patientent sous les auvents, une bière fraîche à la main. Les femmes sont élégantes, sans fioriture. Il n’y pas vraiment une tenue spécifique. Peut-être que la couleur violette revient plus fréquemment sur les tuniques, les foulards et les cravates. On est quand même bien loin de la solennité de Ciudad Guatemala.
Soudain, la lumière s’éteint. La musique s’amplifie. Bonne gestion de l’ambiance et du suspense. On se croirait dans un film Hitchcock. Les centurions multiplient les tours. Ils semblent stressés, aux aguets. Puis, une clameur. Jésus apparaît, s’avance vers la foule. Il a la peau noir et ses cheveux ondulés tombent sur un visage quasi-parfait. On est en plein show, Jésus Super Star. Il prêche, il essaie de convaincre de sa sincérité de prophète mais personne ne l’écoute. Les centurions l’encerclent et l’arrêtent. Direction la prison. La musique est dramatique. De la hutte, quatre hommes portent un Christ de bois sur sa croix La foule, silencieuse, le regarde partir vers une mort certaine. Demain, c’est la Via Crusis. Une autre reconstitution. En version hollywoodienne encore une fois ;

             Le lendemain, Jésus a été jugé et reconnu coupable. Son châtiment sera d’être supplicié sur une croix avec deux autres comparses, des voleurs de droit commun.
Aujourd’hui vendredi saint, c’est la reconstitution des souffrances du Christ. Pour ceux qui ont louper le catéchisme et qui préférait bavasser avec ses copines au fond de l’église, la passion du christ se décline en quatorze stations immortalisant chacune des épreuves affligées au pauvre prophète. Quatorze étapes sous un soleil de plomb, c’est sûr, nous sommes bien dans le registre de la pénitence !
Au sol, comme a Ciudad Guatemala, les alfombras, sont beaucoup plus simples, moins ostentatoires qu’à la capitale. Ce vendredi de souffrance, les centurions se sont vêtus de violet. Ils sont bien fringants ces jeunes pénitents blacks. Jésus et sa croix, sont sur un char de taille normale, le poids semble largement supportable. Ils ne sont pas fous ici, ils ne peuvent pas porter une charge trop lourde. Ils n’ont pas envie de se retrouver asphyxier par cette chaleur digne des bouches de l’enfer. Jésus, à genoux, porte une tunique orange sombre. A droite et à gauche, des petits angelots blancs l’escortent. En plein cœur du kitsch, digne d’un film de Pedro Amoldovar.
Il fait une chaleur épouvantable, le soleil est incandescent et brûle la moindre parcelle de peau. Pour cette raison, les jupes sont plus courtes, les t-shirts se font minis et les marcel  laissent deviner les muscles des gars. Ici, les hommes ont sûrement perdus quelque chose. Inquiets, toutes les cinq secondes, ils cherchent, ils touchent, tâtent. Au cas où ils l’auraient laisser tomber par mégarde. Mais non, leur attirail et toujours là, bien en place, toujours au centre de leurs petites personnes.
L’ambiance est plutôt détendue, et lorsque deux copines qui papotent se font reprendre par une bigote, elles baissent la tête faussement contrites mais avec un sourire d »insoumises aux lèvres. Il me vient alors à l’esprit la chanson de Boris Vian : « On n’est pas là pour se faire engueuler, on est là pour voir le défilé ».
Les pénitents, dédiés au char, sont grands et costauds, la plupart portent des lunettes de soleil dans leurs costumes sombres. Comme un remake de Men in Black.
Par terre, une alfombra faite de fleurs et de fruits. Aussitôt, la foule passée, les gens se précipitent pour ramasser tout ce qui a été épargné: ananas, mangues, bananes. Dieu est grand c’est sûr mais c’est pas lui qui donne à bouffer chaque jour…
La vierge Marie, portée par des femmes dont certaines vêtues de mini-jupe zébrée,va rejoindre son fils vers sa dernière demeure. Ils se font face. Peut-être qu’ils vont se tomber dans les bras l’un de l’autre. Mais non, ce n’est pas possible, Jésus est attaché à sa croix ! Il se croise. Sans un regard. Sans un sourire. Chacun repartant vers sa douleur.
Puis soudain, Jésus se personnifie. La rock star de la veille, moins fringante, cheveux hirsutes, tunique tâchée de sang avance vers la foule. Il tombe, il se fait fouetter, il se relève, trébuche. Nous sommes à l’acmé de la passion du Christ. C’est l’agonie, la montée vers le mont du calvaire, au sommet du Golgotha. Un nom qui fait peur non ?
Jésus est en larmes, en sang. On a beau connaître la fin, on espère qu’il va se sauver. On se prend à rêver qu’il va finir ses jours tranquilles au bord d’une plage des Caraïbes. On aurait presque envie de le décrocher et de l’aider à s’enfuir. Seul la peur de se faire lyncher par des catholiques frustrés de ne pas voir la fin du film, nous fait renoncer à cette idée saugrenue. On reste à l’ombre. Il n’y a rien d’autre à faire.
Sincèrement, si un homme ou une femme s’était insurgé pour sauver Jésus, ce jour fatidique de Pâques, est-ce que le destin de l’humanité n’en aurait pas été changé ? Est-ce que quelqu’un s’est déjà posé cette question ? Mais qu’est-ce qu’il me prend d’avoir des idées pareilles, je crois que le soleil me fait un peu perdre le sens des réalités. Je vais finir par avoir une insolation avec ce Christ qui n’en finit pas de mourir. Comme César, j’ai presque envie de mettre mon pouce vers le bas pour accélérer sa mort. Mais, cela ne se  fait pas non?
Finalement, la fin est telle qu’elle se présente dans la bible ou dans le sanguinolent film de Mel Gibson. « La passion du Christ ». Jésus est crucifié pour nos péchés, pour nous sauver, nous pauvres mortels que nous sommes. Une reconstitution digne d’un péplum américain. Mais bon, le jour où il y aura la rediffusion, je ne serais pas là…

             Il paraît que le dimanche, ils ont remis ça. Il paraît que Jésus a ressuscité mais nous, on n’a pas pu y assister, nous étions à la plage en train de boire une bière bien fraîche. Sous ces latitudes surchauffées, c’était la seule chose intelligente à faire. Et Dieu nous en est témoin. Amen !

Triunfo de la Cruz, Honduras, 13 avril2015.

 

(1) Chaque année, certains s’endettent pour payer leur tour de charge, leur costume, les fleurs. Porter est un véritable honneur pour un catholique, s’infliger les mêmes souffrances que le Christ. Et évidemment, nous sommes aussi dans un spectacle où les apparences comptent autant que le symbole et il y a des tours qui sont plus prestigieux que d’autres comme l’entrée ou la sortie de la cathédrale. Et ceux-la n’ont pas de prix…

(2) Un article ultérieur reviendra sur l’aventure des Garifunas en Amérique centrale.

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Une réflexion sur “Semaine sainte au Guatemala. Jésus super star.

  1. Véro, sérieux, je note un réel enrichissement dans le vocabulaire religieux et des progrès titanesques dans la compréhension du sens de certains mots ou notions… 😉 Vive les Latinos ! Vivre ensemble c’est aussi faire l’effort d’essayer de comprendre avec respect ce qui est important pour l’autre… Et eux auront bien compris qu’une bière fraiche en face l’océan… pour vous, c’est sacré ! 🙂 En Côte d’Ivoire, le vendredi Saint est aussi souvent théâtralisé et une foule nombreuse assiste au chemin de croix dans la rue. Les musulmans en sont aussi très respectueux. Le vendredi Saint après-midi n’est pas travaillé… et on chante, on danse de joie à la veillée Pascale !

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