Le peuple Nasa entretien un lien particulier avec la terre, une cosmovision (1) qui lui est propre. Pour les Nasa, la terre est la Mère, celle qui leur offre une subsistance alimentaire, un refuge, la base de leur harmonie et de leur équilibre. Pour l’indigène Nasa, la terre n’est pas un simple composant du système productif, elle représente l’essence même de la vie et une source de sécurité. Leur spiritualité tire leur force de la loi des Origines (2) qui concerne tous les indigènes du continent sud-américain. Tout comme la libération de la terre, la célébration de rituel et les offrandes sont une façon d’honorer la Terre Mère. Les rituels sont le noyau de la culture Nasa, la clé de la vie de la communauté et force de spiritualité, c’est aussi le moyen de transcender le banal, de se connecter avec l’esprit des choses et de la Nature.
Les 20 et 21 juin, à Jambaló, se déroule le rituel du Sek Buy. Nous savons juste que c’est la fête du solstice d’été. Sek Buy , nom étrange et plein de promesses à la fois. Le mystère reste entier. Tout reste à découvrir !
Le Sek Buy. solstice en Nasa Yuwe, est une cérémonie pour célébrer un nouveau cycle de vie, pour débuter la nouvelle année. Avec la fin de la récolte arrive le repos de la terre puis revient le temps des semences, c’est la période où la Nature se régénère. Ce rituel est la preuve tangible de la survivance de la culture Nasa à travers les siècles. Abandonné après la conquête des Espagnols, il a été repris à Jambaló en 2011 par un groupe désireux de retrouver le lien avec cette culture ancestrale et de ce fai,t restaurer une tradition malmenée par la force des armes et l’imposition d’une religion où le caractère sacré de la Nature n’avait pas droit de cité.
Jambaló, en plein cœur de la montagne colombienne. Le soleil joue avec les nuages et un patchwork de vert se détache du paysage. Un vert sombre touche le ciel alors qu’un vert plus timide traverse une pente douce. Le rituel de Sek Buy se déroule à Loma Gorda, à seulement quelques kilomètres de Jambaló.
Devant l’entrée des chivas, bus colorés emblématique de la Colombie, déposent des grappes d’hommes, de femmes et d’enfants. Trente-cinq vereda ont répondu présent. Sur le chemin qui monte sur le site, un homme bénit les participants avec une plante médicinale. Chacun baisse la tête et reçoit les gouttes purificatrices, pour laisser sa colère et sa rage avant de pénétrer sur le lieu sacré. Certains se sont dessiné un soleil sur le visage.
En haut, la vue est spectaculaire, la Nature est grandiose et l’être humain ne peut que se sentir tout petit. Une force quasi-surnaturelle se dégage de ces montagnes. Comme si nous étions à l’origine du monde, comme si ces montagnes portaient les traces de tous ceux qui les ont traversées. Comme un livre ouvert qui nous montrerait le visage des ancêtres, la puissance des rivières, l’agilité des animaux et la beauté de la flore. Le coucher de soleil sublime l’ensemble. Tout s’irise de lumière. C’est la fin d’un cycle. Demain, un nouveau soleil. Un nouveau cycle.
En milieu de soirée, départ pour la rivière, autre site sacré. Pour les Nasa, l’eau est fondamentale et représente la vie et l’harmonie. Sur le chemin, l’ambiance est au recueillement, chacun pense à ce qu’il va laisser derrière lui, les mauvais souvenirs de l’année, les échecs, les rancœurs, toutes ces mauvaises ondes qui parfois parasitent la vie de chacun.
Face à une tienda, le groupe s’arrête devant une barrière. On grimpe dans la nuit. Très peu de lampes, juste le murmure du vent et le souffle de la foule silencieuse. Seules quelques étoiles scintillent et la lune discrète ne montre qu’un demi-croissant. La nuit est dense et l’obscurité rajoute une intensité à cette marche nocturne. Juste quelques silhouettes, comme des âmes perdues à la recherche de la lumière. La foule serpente jusqu’à arriver à la rivière. Les groupes se posent à même le sol. La nuit nous enveloppe. La voûte céleste se dévoile et des milliers d’étoiles patientent avec nous. Impossible dans l’obscurité de deviner l’endroit mais tout respire l’harmonie et la sérénité. Même sans voir, il y a une force mystique qui se détache de tout ce que le regard peut saisir. Cette branche immobile, ce rocher figé, ce nuage qui trottine. Petit à petit, des files se forment. Les gens se mettent en tenue de bain. C’est l’heure de déposer son énergie négative, de se purifier pour commencer une nouvelle année. Un vent frisquet fait frissonner les audacieux baigneurs. Personne ne se défile, ils sont tous là pour honorer la nouvelle année, tisser un lien avec le monde de leurs ancêtres, avec l’esprit de la Nature. À la rivière, les anciens et les autorités locales enveloppées dans des ponchos, mâchent de la coca, feuille sacrée pour les indigènes, et regardent d’un œil bienveillant leur peuple perpétuer une tradition millénaire. Au bord de la rivière, un purificateur attend ses pénitents. Un homme s’approche et s’incline pour recevoir la bénédiction. Puis, il tend ses mains et reçoit l’eau sacrée, il se frotte le visage avec. Il ressort grelottant, avec un sourire aux lèvres. Une autre prend sa place, dans une attitude aussi humble que le précédent. Sur le chemin du retour, trois boissons fermentées attendent les nouveaux purifiés. Une gorgée pour eux et une gorgée qu’ils crachent, pour la Terre Mère, celle qu’ils doivent aimer et protéger afin qu’elle leur rende la pareille en favorisant les bonnes récoltes et en empêchant les catastrophes naturelles comme les inondations fréquentes dans la région.
Le retour se fait à la lumière de bougie. Les visages respirent la paix et la douceur. La garde indigène en tête ramène son peuple vers la montagne, vers les pierres sacrées. Chacun dépose sa bougie, ses rêves, ses espoirs secrets pour cette année qui commence.
Vers cinq heures du matin, un groupe se forme et monte vers l’ancien volcan pour récolter les premiers rayons du soleil. Les traits sont fatigués, la nuit a été longue et certains ont patienté en buvant de la chicha, alcool de canne fermentée. Ce jour-là, le soleil refuse de sortir, seule une lumière grise inonde le ciel mais qu’importe, l’important est d’être là, ensemble pour ce premier jour du Sek Buy.
La fin de journée se passe tranquillement, c’est le changement d’autorité et le relais des bâtons de commandement. L’ambiance est solennelle et ceux qui reçoivent leur charge pour les deux années qui viennent sont légèrement crispés mais fiers d’être au service de leur communauté.
Pendant ce temps, un autre rituel de purification se déroule sur-le-champ. Une corde tendue entre deux poteaux, deux bouteilles suspendues et en face, une file qui patiente. Soudain, le premier accourt vers les bouteilles mais un type vient de lever la corde. C’est un peu le principe du pompon des auto-tamponneuses mais là, il s’agit de gagner un coq. Des femmes, des hommes, des enfants participent. Tout le monde les encourage et éclate de rire quand un se vautre au sol ou lorsqu’une femme se suspend sans réussir à décrocher les bouteilles. Le gagnant brandit son coq, encore vivant et doit courir jusqu’aux pierres sacrées en arrachant les plumes puis un purificateur le bénit lui et sa bête. Le soir, c’est la danse qui prendra le dessus, et ce, jusqu’au bout de la nuit.
Le rituel de Sek buy une authentique fête à la nature, un moment de partage et de purification mais aussi un acte de résistance d’une culture qui se refuse à abdiquer. Après plus de cinq cent ans d’oubli, le peuple Nasa récupère ses dieux et ses croyances.
Bogotá, 3 juillet 2015.
(1) Manière de voir et d’interpréter le monde selon un ensemble de croyances qui permet d’analyser et de reconnaître la réalité à partir de sa propre existence.
(2) Il s’agit de la sagesse traditionnelle indigène ancestrale et des connaissances nécessaires pour gérer l’aspect matériel et spirituel du monde. Une loi pour assurer l’équilibre et l’harmonie de la nature, l’ordre et la permanence de la vie, désigner les peuples autochtones comme gardiens de la nature.
Je propose d’introduire le Sek Buy dans les Cévennes. Moi la Terre-Mère m’apaise c’est certain. Besos
Excusez du peu, mais j’ai vu les deux voyageurs à l’apéro à Marseille alors les NASA cosmogoniques… ça me laisse pantois!
Ah la photo! C’est pas du tout les Cévennes. On dirait l’Auvergne mais avant la colonisation…
Coucou les voyageurs,
On m’a dit (plusieurs sources !) que vous étiez rentrés de l’autre côté du Charco, ce qui m’a bien réjoui, mais comme je continue à vous lire, je me demande si tout cela n’était pas un voyage imaginaire et qu’en fait vous écriviez quelque part au frais en Ardèche … Je déconne !
Bienvenue chez nous et merci de nous avoir fait rêver tous ces derniers mois,
Bises, Claudine
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