Participer à une rencontre autour des sciences dures, écouter en espagnol des conférences sur l’agro-écologie, l’astronomie, la génétique, et autres thèmes obscurs. Qui l’aurait cru ? Moi, qui sais à peine résoudre une équation et qui m’endors à la première explication sur la physique quantique. Non, mais vraiment les zapatistes me font tout faire…
Et voilà que je me retrouve à la seconde rencontre internationale « Conciencia por la Humanidad. Las ciencias frente al muro » proposée par l’EZLN. J’avoue que ma sensibilité me poussait plus vers un Comparte, un échange autour des Arts mais c’était l’été dernier et j’étais à plus de dix mille kilomètres de là ! Et donc, j’ai droit à un repêchage, pas de chance, c’est les sciences… Mais bon, il faut savoir aller aussi vers les choses qui vous répugnent pour en apprendre quelque chose. On verra bien. Peut-être que j’en sortirai plus intelligente!
Rendez-vous au CIDECI à San Cristóbal de las Casas. L’amphithéâtre est plein à craquer. Devant, les zapatistes, tous en passe-montagne avec leur petit cahier puis les invités et les conférenciers. Derrière, les cancres… Euh… pardon le public averti bien-sûr. Au regard de certains, je sens bien que je ne suis pas la seule à me demander ce que je fais là et à se poser près de la porte en cas d’une envie subite… Les vieilles habitudes du lycée ne se perdent pas vraiment. Mais, la majorité semble enthousiaste et pour une fois, les scientifiques paraissent souriants et accessibles. Pas de savants fous, petit pull en laine et lunettes rondes, qui vous sautent dessus avec des yeux exorbités pour vous expliquer leur découverte incroyable. Je sais, je suis un peu dans le cliché. Pardon !
L’objectif de ces rencontres est simple : démontrer que la science n’est pas seulement au service des entreprises. Ici, il s’agit d’inventer ou de ré-inventer une science utile au peuple, qui peut bénéficier à tous et qui n’ait pas seulement un but mercantile ou militaire. En ouverture, il est clairement signifié que « la science au service des capitalistes sert seulement à conquérir de nouveaux territoires ». Contre cette logique mortifère, les scientifiques ici présents ont comme volonté de s’organiser pour ouvrir de nouveaux espaces de liberté. De rêver à un monde où la science est un savoir intégral et universel. Où la science ne court pas après les dollars mais seulement faite et pensée pour améliorer la vie des gens. Une science qui serait humaniste et non cupide.
Les scientifiques présents sont bien conscients d’être parfois utilisé pour leur recherche et une formule reviendra souvent « La science n’est pas face au mur, elle fait partie du mur ». Et tous sont là pour ouvrir des brèches dans ce mur. Refuser cette déshumanisation que le monde capitaliste nous promet.
Pendant ces rencontres, l’agro-écologie est au centre des débats. Une question essentielle pour les zapatistes qui sont essentiellement des paysans qui se battent pour vivre de leurs terres. Des scientifiques du monde entier, hommes et femmes, viennent présenter leurs travaux. Par leurs études, ils proposent une agriculture durable, plus respectueuse des hommes, des terres et des animaux qui répond aux besoins alimentaires et économiques. Une science qui permet de préserver les ressources naturelles. À l’opposé d’une agriculture seulement faite pour engendrer des profits.
Les scientifiques se font poètes et parlent de « résister, survivre face à la tempête capitaliste ». Lutter ensemble contre le changement climatique, la contamination des rivières, les mauvaises constructions anti-sismiques, tout ce dont les mauvais scientifiques, payés grassement par l’hydre capitaliste, sont capables au nom d’une science pervertie et corrompue.
Le maïs est montré comme une guest-star. Ici, au Mexique, c’est un aliment incontournable presque sacré et d’ailleurs, les peuples indigènes se réclament « fils et filles du maïs ». Beaucoup d’études pour expérimenter les semences originelles, créer des réseaux autour des graines de chaque région. Ré-inventer l’échange de connaissance entre le monde scientifique et le monde traditionnel. Ré-écouter le savoir ancestral des paysans, le modéliser pour créer une nouvelle façon de faire l’agriculture qui s’adaptera aux changements climatiques qui seront de plus en plus préjudiciables dans des temps pas si lointains.
Le domaine de la médecine a été présent tout au long de ces journées. Une médecine plus humaine, débarrassée de ses oripeaux technologiques et qui retrouvent le sens du bien-être public. Geronimo, chercheur français proposait un sujet sur une médecine autonome et rebelle (1). Une présentation très concrète qui nous sortait des hauteurs de la science, de l’académie pour nous ramener sur le terrain, là où les gens souffrent et meurent de maladie. Il rappelle une évidence que nous avons parfois tort d’oublier : « Pour éviter l’accaparement de la santé par les entreprises commerciales, il convient de mettre en place une médecine autonome dans les centres de santé communautaires et d’adopter des pratiques non capitalistes de la médecine. Pour atteindre cet objectif, nous avons besoin de créer des lieux où nous pourrions générer nos propres solutions ouvertes, peu chères, faciles, coopératives, mais aussi y prohiber les intérêts commerciaux ». Des exemples didactiques, facile à comprendre comme l’importance de l’hygiène des mains avec des solutions hydro-alcoolique afin de réduire les risques de maladies nosocomiales. Un produit facile à fabriquer et qu’il propose de transmettre aux communautés zapatistes lors d’ateliers. Une proposition concrète qui sera saisie au bond par les zapatistes.
Geronimo souligne aussi le fait que dans le monde de la médecine, les laboratoires pharmaceutiques et la fabrication d’antibiotiques sont au cœur même du système capitaliste. Contre cette logique purement mercantile, il propose de fabriquer des antibiotiques non-toxiques, les bactériophages capables de détruire toutes les bactéries provoquant une infection. Dans l’idée de rendre disponible à la population cette thérapie, son équipe et lui ont mis en place un atelier de production de bactériophages dans un laboratoire « Faites-le vous-même » à Barcelone. Des mots simples mais percutants : « À l’image de l’expérience zapatiste, la mise en place de zones autonomes de créations scientifiques et médicales paraît indispensable à l’émancipation des populations dominées. Ces laboratoires populaires commencent déjà à fleurir ici et là dans le monde pour proposer des solutions ouvertes et non-commerciales. Aujourd’hui, face à l’offensive des savoirs capitalistes, nous devons lutter en posant nos questions avec nos maux, avec nos mots. Lutter en développant nos imaginaires, nos subjectivités et nos concepts. Lutter en testant scientifiquement nos idées, en proposant nos solutions dans un monde aux savoirs ouverts et coopératifs ».
Une autre face cachée de la science, c’est son accointance si ce n’est plus, avec les services de la défense nationale. La docteur Fabiola Méndez Arriaga, présente « la science et la technologie selon le bras armé du capitalisme versus une autre science »(2). Une science qui n’a pour but que de développer une technologie de guerre avec des buts agressifs et/ou répressifs. Le président Peña Nieto a fait de la science son cheval de bataille : « Faire du développement scientifique, technologique et de l’innovation, les piliers du progrès économique et social durable », tout cela dans le but de renforcer l’intelligence militaire, moderniser le matériel de guerre, améliorer les systèmes de surveillance et de communication. Big brother is watching you ! L’investigation militaire ne se dissimule même plus et nous promet un monde à la Orwell, qui fait froid dans le dos.
Pour autant, tout n’est pas perdu et la docteur conclue sur des notes d’espoirs, celles capable d’inventer « Une science autre, une science artisanale, capable de tisser un domaine exact avec la réalité, avec tous les fils disponibles de couleurs, de goûts, d’odeurs et de sentiments que nous disposons de par la science ». Et peut-être que l’intérêt principal de ces rencontres résident dans cette conviction intime d’une l’Humanité qui ne doit pas mourir, et faire que chacun y participe à sa manière.
Les zapatistes sont hyper assidus, ce qui n’est pas le cas de tous…. Ils sont appliqués, prennent des notes sur des sujets très pointus comme celle du Dr. Gabriel Ramos Fernández. « Complejidad, resiliencia e incertidumbre: Los socio-ecosistemas y la biodiversidad ». Le titre en lui même est une énigme mais le plus improbable, c’est d’imaginer le rapporteur zapatiste s’asseoir auprès des siens et d’essayer d’expliquer ces concepts d’un autre monde. Les passe-montagnes ont dû surchauffer… Il y a des fois où on aurait envie d’être une petite souris mais en même temps, on ressent bien que toute cette matière intellectuelle sert de carburant pour construire et faire avancer l’autonomie. Et lorsqu’on regarde les zapatistes, on comprend bien que l’implication est tout autant individuelle que collective. Ils ne s’agitent pas sur leur siège, ils ne gribouillent pas sur les pages blanches, ils ne papotent pas entre eux. Sérieux et déterminés. Parce qu’ils ne sont que les représentants de leurs communautés. Ils ne peuvent pas faillir ni se dérober à leur charge.
Un soir, le sous-commandant Galeano prend la parole pour conclure une des journées de réflexions. De sa voix profonde, il lit un texte intitulé « Depende » (3). À sa manière très particulière et poétique, il entamera son propos par « Je ne vais par parler ni de science, ni d’art, ni de politique pas plus que je ne vais vous raconter un conte ». Un pas de côté comme il sait si bien le faire et effectivement, il parlera d’autre chose, de crimes et plus précisément de la situation dramatique du Mexique. Mais est-ce que cela, n’est pas déjà de la politique. Parce que dans ce pays tout est politique, tout est affaire de pouvoir et d’argent et ceux qui les possèdent sont les tortionnaires de ceux qui n’ont rien. De celles qui se sont font assassiner parce qu’elles sont femmes : « Au Mexique, on peut dire que quelqu’un est mort de mort naturelle alors qu’elle est victime de violence ».
Aujourd’hui, la normalité d’une vie simple n’existe plus, seul l’incertitude domine, la mort n’est plus cette chose lointaine et impersonnelle. Elle est désormais à chaque coin de rue, à n’importe quelle heure, la nuit, le jour. La peur a pris sa place. Toute la place. Et des questions insolubles surgiront telles que « Arriverai-je vivante au travail, à la maison, à l’école, le lendemain ? Trouveront-ils mon corps ? Sera-t-il complet ? Diront-ils que je l’ai provoqué et me rendront-ils responsable de mon absence ? ». Est-il possible de vivre avec de telles questions en tête ? Mais ce sont des questions que les femmes mexicaines ne se posent plus depuis longtemps….
Galeano poursuivra par un long pamphlet contre les féminicides. Il rappellera l’horreur du massacre d’Acteal et le martyre de ses 45 victimes. Il terminera à chaque fois par un « Depende ». Un tout petit mot à jamais gravé dans ma mémoire avec comme bande-son la voix du Sub. Non pas parce que c’est sa voix, non ! Simplement parce que c’est une voix universelle, de celle qui agite les consciences. Depende…
En fin de journée, il y a comme une excitation dans l’air. L’intervention du Sub est attendue, même si chacun veut se détacher de cette pseudo focalisation. On fait semblant mais bon à l’heure dite, on est là. L’amphi se rempli à nouveau et les appareils photos se font plus nombreux. Un exposé se termine. La commandance de l’EZLN se présente, l’homme à la pipe bien connue est là, sans fioriture. On s’attend à un nouveau discours et soudain, les femmes zapatistes font irruption sur scène. On ne voit même pas disparaître les hommes. Ils s’évaporent. Les femmes face au micro, sûres d’elles, lisent un communiqué. Aux premières phrases, on se dit qu’on a dû mal comprendre mais non, elles nous invitent à la « Première rencontre internationale sportive et culturelle des femmes qui luttent » au Caracol de Morelia le 8 mars, jour international des droits des femmes (4). Il est clairement dit que les hommes ne sont pas invités. Cris de joie dans la salle. Les hommes font grise mine et ceux qui ont des passe-montagne rentrent leur tête dans les épaules. Comme de petits oiseaux en danger. Le monde semble s’inverser. Les femmes exultent. Une rencontre faite par les femmes. Pour les femmes. Juste pour elles. Pour jouer au foot, danser, chanter, refaire le monde. Et les hommes zapatistes à la cuisine ! Un retournement de situation digne des zapatistes, fidèles à leur intime conviction que la femme est aussi importante dans la lutte que l’homme. Les femmes en sont presque à trépigner de joie, ça en hurlerait presque de plaisir. C’est jouissif. Un moment dont on se souviendra longtemps. Et qui nous tiendra chaud dans les moments de doutes et d’insomnie. Et en jetant un coup d’œil sur la scène, on se rend compte que Moise et Galeano sont contre le mur, spctateurs au même titre que nous. Un vrai sens du spectable, là où on ne les attendaient pas. Encore une fois !
Ce jour-là, les femmes zapatistes n’ont pas proposé une simple invitation, non elles ont offert un véritable cadeau de vie. Et effectivement, ces rencontres entre femmes ont été à l’image de ce que l’on pouvait espérer. Voire bien au-delà. Mais chut… Cela sera l’objet d’un prochain texte. Juste dire que c’était fort, émouvant. Et encore aujourd’hui, je n’ai pas les mots pour dire ce que nous avons vécus toutes ensemble. « Incroyable » est celui qui pourrait s’y rapprocher le plus même s’il me paraît bien faible. Pourvu que les mots me viennent prochainement…
Ces rencontres autour de la science contre le mur capitaliste étaient intenses tant sur scène que dans les coulisses. Un petit groupe s’est formé en dehors pour discuter autour de la manière de faire une médecine plus humaine, alternative et opérationnelle. C’était difficile de tout voir, tout entendre et je regretterai presque d’avoir raté « La oscuridad de una física teórica », un titre plein de poésie presque prometteur mais je pouvais pas tout faire et il fallait bien que je choisisse entre prendre le soleil, boire un café ou faire la sieste en amphi. Il y a bien un darwinien qui a voulu me tenir compagnie mais j’ai eu l’indécence de lui fausser compagnie après un monologue de vingt minutes sur l’évolution de l’espèce… Et cela en version originale. Une sorte de supplice zapatiste qui permet d’apprendre le stoïcisme ou bien plus simple et moins glorieux, la fuite…
Mais trêve de plaisanterie, ces rencontres étaient passionnantes pas seulement par ses contenus mais aussi par la force de conviction de tous ces hommes et femmes qui veulent un autre monde et qui sont prêts à se relever les manches pour le faire ensemble. Et le titre de ces rencontres veut bien dire ce qu’il veut dire : « Una ciencia por la Humanidad ».
La force des zapatistes, encore une fois, est de proposer au Monde de venir discuter, échanger, débattre pour s’organiser face au monstre capitaliste. Démontrer qu’à plusieurs tout est possible. Maintenant plus que jamais. Et que l’espoir peut renaître de ses cendres. Ici, là-bas et dans tous les coins du monde.
Traba. Managua, Nicaragua. 17 Mars 2018.
(1) https://lavoiedujaguar.net/Vers-une-medecine-autonome-et-rebelle
(2) « Las ciencias frente al muro. De la militarización de las investigaciones a la posibilidad de una «ciencia compa». Subversiones, Valentina Valle, 5 janvier 2018.
https://subversiones.org/archivos/131569
(3) https://espoirchiapas.blogspot.com/2017/12/sub-galeano-en-mexico-ya-se-puede-decir.html
(4) http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2017/12/29/convocatoria-al-primer-encuentro-internacional-politico-artistico-deportivo-y-cultural-de-mujeres-que-luchan/
Un article qu’on aurait aimé lire dans CQFD. enfin…
Salut vero et patxi, merci pour vos nouvelles écrites et imagées. En ce moment j’aurais vraiment bien envie de voyager un peu et les couleurs, récits, rencontres dont vous parlez ont un peu cette fonction par procuration ! Des bises Mag