Petite histoire du Nicaragua

             Nicaragua. Sandino. Révolution. Des mots qui sommeillent au fond de soi, qui donnent envie d’aller à la rencontre de ses vieux rêves d’adolescence, de se frotter à la réalité du pays. Mais avant de partir sur les chemins de la révolution, se replonger dans son Histoire mouvementée depuis la conquête des Espagnols jusqu’à l’omnipotence de Daniel Ortega, son ex-guérillero devenu président à vie ou presque…

             Comme la plupart des pays en Amérique latine, l’arrivée des colons espagnols marque un brutal changement de civilisation. Une ère de sang et de larmes. Christophe Colomb foulera rapidement cette terre en 1502 mais il faudra attendre vingt ans pour voir débarquer une autre âme noire, Gil Gonzáles Dávila qui débarque avec la croix en bandoulière et une inextinguible soif de richesse. Le pays est d’autant plus convoité qu’il représente la principale voie de communication entre l’océan atlantique et l’océan pacifique. D’où cette idée folle de faire un canal inter-océanique. Un projet qui continue d’agiter les esprits et d’aiguiser les appétits encore aujourd’hui…
La domination durera plus de trois cent ans jusqu’à l’indépendance proclamée en 1838. S’ensuit, non sans rivalités, une alternance entre libéraux et conservateurs. Les libéraux reprennent le pouvoir en 1893 mais, en 1909, un coup d’État soutenu par les États-Unis redonne le pouvoir aux conservateurs. Le pays devient une sorte de colonie américaine : les douanes, les ports, les banques, les postes, le chemin de fer sont sous leur contrôle. Et comme si cela ne suffisait pas, en 1916, le traité Bryan Chamarro donne aux États-Unis, le droit inaliénable de construire le canal inter-océanique et d’établir une base militaire. Les présidents qui se succèdent sont tous des hommes de paille, destinés à obéir aux ordres. Mais cette ingérence ne plaît pas à tout le monde et en 1926 et suite à une révolte de la bourgeoise libérale, un homme sort de l’ombre Augusto Cesar Sandino. Il fonde « l’Armée de défense de la souveraineté du Nicaragua », composée en grand nombre de paysans qui fuient la répression et la misère liée aux terribles conséquences de la crise de 1929. Les ouvriers rejoignent aussi ce mouvement. En 1930, l’armée Sandiniste compte près de 6 000 hommes. Sandino devient « Le général des hommes libres ». Son credo le retrait des troupes américaines stationnées au Nicaragua.
L’armée Sandiniste inflige des pertes spectaculaires aux Américains et de fait, en 1933, les États-Unis, retirent leurs troupes tout en organisant une Garde Nationale, la force armée du pays, qui écrira les heures les plus sanglantes du pays. En février de cette même année, Sandino entre en triomphateur à Managua. Ses troupes déposent les armes mais la Garde Nationale poursuit son impitoyable répression, traquant, torturant, assassinant les ex-guérilleros. Le 21 février 1934, Sandino se rend alors au palais présidentiel pour protester. Á la sortie, sur ordre des États-Unis, il est assassiné. Sandino mort, devient plus vivant que jamais ! Sa légende est en marche.
En 1936, Anastasio Somoza remplace le vieux président Sacasa. Il devient le plus grand propriétaire terrien du pays et sait se servir habilement de la Garde Nationale pour implanter sa dictature ; elle se fait toute-puissante, une sorte d’organisation de racket légal, l’instrument privilégié de la répression du régime. Pour autant, en 1956, Anastasio Somoza est assassiné par un jeune homme qui se revendique poète, Rigoberto López Perez. Mais la dynastie se perpétue avec le fils Luis Somoza Debayle puis son fils cadet, en 1961, Anastasio Somoza Debayle. Il est souvent dit que ce fut le plus cruel et le plus démentiel des trois. Pendant que les Somoza s’enrichissent, le peuple lui crie famine. Dans les années 70, le pays est le plus pauvre d’Amérique centrale, juste derrière Haïti, Face à cette situation de grande injustice sociale, un petit groupe s’organise, dès les années 60, dans l’objectif de chasser les Somoza du pays. Il s’agit du Front Sandiniste de Libération du Nicaragua (FSLN), fondé en 1961 par Carlos Fonseca, Sylvio Mayorca et Tomas Borge, affilié au Parti communiste. En 1967, suite à une mascarade électorale qui voit le second fils Somoza être intronisé président de la République, une marche de protestation est organisée le 22 janvier de cette même année. La Garde National opère un véritable massacre.
Le FSLN se structure dans les villes auprès des ouvriers et des étudiants, en particulier avec la Fédération des Etudiants Révolutionnaires (FER). C’est à cette période-là que se créent des comités populaires dans les quartiers ainsi que des organisations paysannes. En parallèle, le FSNL renforçait son organisation militaire à travers la création de groupes de guérilleros.
En 1972, un terrible tremblement de terre, secoue le pays. Managua est quasiment rayée de la carte. Et que font les Somoza pendant ce temps-là ? Rien ! Ou plutôt si, ils s’appliquent à détourner les aides internationales sans se préoccuper ni de la spéculation qui flambe, ni des exactions de la Garde Nationale. La colère gronde. Profitant du mécontentement général, le FSNL peaufine son action et le 21 décembre 1974, elle organise une prise d’otages spectaculaire dans la maison de Chema Castillo, celle du ministre des affaires étrangères, de l’ambassadeur des États-Unis et du Chili au Nicaragua. Leur exigences seront toutes acceptées dont une rançon de deux millions de dollars, la libération des prisonniers politiques, tels que Daniel Ortega qui deviendra très fameux dans le temps, et des revendications sociales pour les travailleurs. La répression fut à la hauteur de l’humiliation subit et l’instauration de la loi martiale durera près de 33 mois (bombardements aux napalms sur les villages, population déplacée, tortures, viols, assassinats). Carlos Fonseca est tué lors d’un affrontement avec la Garde Nationale le 7 novembre 1976. Un martyr de la révolution Sandiniste vient de naître.
En 1977, c’est la levée de l’État de siège. Le FSNL éclate en trois tendances, divisées quant à la forme que devait prendre la lutte révolutionnaire. Une tendance prolétarienne qui veut concentrer son effort parmi les travailleurs, dans les centres de production. Une autre défendant l’idée « d’une guerre populaire prolongée », au cœur même des montagnes et des campagnes. Et enfin une autre voie, celle dite tercériste dont l’objectif est d’accentuer la pression sur la Garde Nationale tout en recherchant des alliances auprès de la bourgeoise opposée à Somoza. Une stratégie qui s’avérera payante et qui mettra en pleine lumière, un des personnages incontournables du Nicaragua contemporain, Daniel Ortega.
En cette année 1977, le règne de Somoza vacille et le FSNL en profite pour démontrer toute l’étendue de sa force d’opposition. Le 12 octobre, un commando s’empare de deux casernes de la Garde Nationale. Le FSNL devient une force politique incontournable. Mais un événement accélère la chute des Somoza : l’assassinat, en 1978, de Pedro Joachim Chamorro, directeur de La Prensa, principal journal d’opposition. Une pression forte s’exerce sur Somoza pour qu’il se retire. Le patronat appelle à la grève nationale. Le FSLN occupe les villes de Rivas et Grenade. Á Massaya, le quartier indigène, Monimbo, se lance dans une insurrection spontanée (barricades, bombes artisanales, etc…). La répression est féroce et malgré quelques miettes accordées par Somoza, l’indésirable dictateur se maintient au pouvoir. Chancelant mais déterminé à ne pas abdiquer…
Le FSNL passe alors à l’offensive et le 22 août 1978, un commando s’empare du palais National et prend en otage plus de 2 500 personnes dont le ministre de l’Intérieur, journalistes et familiers de Somoza. Cette action spectaculaire se solde par la libération de 58 prisonniers politiques.
Le pays est en ébullition, les heures de Somoza sont comptées. Au bout d’une année pleine de tensions, les USA finissent par lâcher leur marionnette et le 17 juillet 1979, Somoza abdique et s’enfuit chez ses petits copains. Après plus de 43 ans, la dynastie des Somoza prend fin. Le FSNL entre victorieux à Managua le 18 juillet 1979. La révolution a triomphé ! Le rêve peut commencer…

             Mais comme disait John Reed à propos de la révolution mexicaine : « Une révolution qui dégénére en gouvernement ». Les Sandinistes créent la Junta de Gouvernement pour la Reconstruction Nationale (JGRN) dont Daniel Ortega fait partie. Ils lancent une réforme agraire, un vaste programme d’alphabétisation, de nationalisation des ressources naturelles mais ils hésitent à aller radicalement vers la révolution sociale. Il faut aussi souligner que l’ingérence des États-Unis est toujours aussi prégnante et que cela n’a pas aidé à créer les vraies conditions d’émancipation sociale. D’ailleurs, c’est au début des années 80 que se sont écrites les heures les plus noires du pays ; celle des contras ; groupes armés anti-sandiniste composé d’anciens de la Garde Nationale et de mercenaires entraînés par la CIA. Ils séviront pendant plusieurs années et ne seront désarmés qu’en 1990.
Un véritable traumatisme pour tout le pays. Un embargo commercial vient réduire les espoirs de la révolution. La misère frappe de plein fouet un peuple déjà bien mal en point. La guerre civile s’enlise. Elle fera plus de 50 000 morts et 100 000 blessés. Le pays est ruiné. L’espoir a pris du plomb dans l’aile. Le libéralisme peut faire son nid de la défaite.
Daniel Ortega, président en 1984, ne résistera pas au mécontentement général et vivra une longue traversée du désert pour ensuite envisager une présidence à vie (1). Nombreux de ses détracteurs disent qu’il a pris goût au pouvoir, qu’il a vidé la révolution de ses principes fondateurs et le fait d’avoir changé la loi pour pouvoir briguer des mandats successifs corrobore ces dires. La démocratie n’étant plus vraiment une de ses priorités. Pour exemple, en 2006, il ne sera élu qu’avec 38 % des voix. Sa femme, depuis plus de 40 ans, Rosario Murillo apparaît comme l’éminence noire de ses quinquennats. Omniprésente, poétesse, ésotérique, charismatique et autoritaire à la fois. Elle a mis en place des Brigades de bien-vivre pour aider le peuple à vivre plus allègrement. D’ailleurs, toute sa communication se fait sous la couleur rose fushia, bien plus gaie et chatoyante que le noir et rouge révolutionnaire. En 2016, elle devient vice-présidente dans le souci de démontrer que les femmes peuvent agir en politique au plus haut niveau. Que ceux qui crient au népotisme, se taisent à jamais !
Un couple présidentiel qui se veut sympathique et qui use de trésors d’ingénuités pour le faire croire. Ils apparaissent sur tous les supports. Les bus, les affiches publicitaires géantes, les magazines avec leurs deux prénoms, Daniel y Rosario. Pour ne laisser aucun vide, aucun espace de réflexion personnelle et encore moins politique. Madame, quotidiennement, parle à la radio, à la télé pour rester en contact avec son peuple. Elle fait littéralement la pluie et le beau temps. Tout cela pourrait laisser croire à un populisme sans complexe. Tout comme cette récupération systématique des symboles de la révolution ; le drapeau noir et rouge, Sandino jusqu’à l’overdose, le monument à Carlos Fonseca, l’avenue des martyrs, etc…
Un des projets phare porté par Ortega est la construction du canal inter-océanique (2). En 2013, la concession a été attribuée à l’entreprise hongkongaise HKND appartenant à Wang Jing, un milliardaire chinois. Une dizaine de sous-projets sont prévus : un aéroport, deux ports en eau profonde, des routes, des viaducs, un lac de 395 km2 pour alimenter le canal en eau, des usines de ciment et d’acier, une zone commerciale de 35 km2, quatre complexes touristiques et des îles artificielles. Une démesure totale! L’opposition des paysans impactés par ce projet pharaonique s’organise et des manifestations sont brutalement réprimées. Depuis, le projet semble être tombé aux oubliettes ou alors tout se joue en coulisse…
Nicaragua, un pays dont il est difficile d’appréhender la réalité. Personne ne critique ouvertement le régime. Les paroles sont tempérées, les avis modérés. Beaucoup mettent en avant la gratuité de l’éducation et de la santé développé par le couple Ortega. Mais à marcher dans les places désertes de la ville, on est très vite frappé par le silence des gens de la rue, la propension à parler de base-ball, le sport national, ou du temps qu’il fait. Il s’en faut de peu alors, pour penser que, dans le secret de son palais présidentiel, le Nicaragua vit une dictature qui ne dit pas son nom.

              Avril 2018, Ortega montre enfin son vrai visage. Suite à un incendie dans la réserve Indio Maiz, près de 5 000 hectares partent en fumée. Le gouvernement ne réagit pas. Des marches de protestation sont organisées d’autant plus que ces terres sont sur le trajet de l’hypothétique canal interocéanique. Hasard ou pas ? La rue n’a plus envie de se poser de telles questions et lorsque Ortega tente d’imposer sa réforme de la sécurité sociale et des retraites, il devra compter avec l’opposition farouche des étudiants qui prennent la rue le 18 avril 2018 (3). C’est la première émeute populaire à laquelle le président doit faire face depuis 11 ans qu’il est au pouvoir et presque par réflexe, il lâche sa meute policière. La répression est brutale. Les derniers bilans font état de 87 morts et plus de 860 blessés, imputables pour l’essentiel à un usage « excessif » de la force publique, selon les conclusions d’une enquête de la Commission Interaméricaine des Droits de Humains publié le 22 mai.
Le mépris affiché par Daniel et Rosario se fait chaque jour un plus insolent. Pour autant, les étudiants ne renoncent pas. L’exaspération est à son comble. Trop longtemps contenue, bridée par un couple à la main de fer. La peur n’est plus aussi anesthésiante. Les insurrections spontanées prennent le relais dans les quartiers. Les routes sont coupées. Les étudiants ont été rejoints par des représentants de la société civile, des mouvements paysans et du secteur privé pour constituer une Alliance civique pour la justice et la démocratie.

              Le peuple ne veut plus subir. Le souvenir de la révolution coule encore dans ses veines. Face à la crispation de l’opinion publique et l’indignation internationale, Ortega se voit obligé de retirer sa loi le 22 avril. Il accepte de participer à des pourparlers, qui ont commencé le 16 mai avec les manifestants, le clergé faisant office de médiateur. L’armée elle-même, annonce qu’elle ne réprimera pas les manifestations. La rue reprend confiance et demande le départ de son couple de pacotille et propose d’avancer l’élection présidentielle, prévue en 2021. Le gouvernement rejette cette idée, qu’il qualifie « d’agenda pour un coup d’Etat ». Daniel et Rosario ont du souci à se faire…

Et en attendant ne pas hésiter à fredonner la chanson la plus emblématique du pays https://www.youtube.com/watch?v=nJEdkr-bOuc

Traba. Oaxaca. 28 Mai 2018

(1) Président en 1984-2006-2011-2016
(2) « Le canal du Nicaragua, projet pharaonique ou vaste escroquerie ? » par Frédéric Saliba, Le monde, 03/11/16.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/11/03/le-canal-du-nicaragua-projet-pharaonique-ou-vaste-escroquerie_5024606_3234.html
(3) Subversiones. Brenda Burgoa. 23 avril 2018 « Jóvenes autoconvocados toman las calles en Nicaragua »

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Une réflexion sur “Petite histoire du Nicaragua

  1. 1984, ce sont les premières élections libres au NICARAGUA. La politique révolutionnaire de justice sociale et économique est vite sabotée par les contre-révolutionnaires armés et financés par la CIA. Le Monde publie une pétition de pseudo intellos (on y retrouve BHL) demandant au congrès des Etats-Unis de financer la contra. En 1990, le peuple nicaraguayen découragé par tant d’années de guerre vote pour la paix et la fin du service militaire obligatoire, donc c’est la droite qui gagne. La violence de la guerre laisse place à la violence du capitalisme pur et dur en détruisant le tissu économique par la construction de grands hôtels, de centres commerciaux et de maquillas. Le pouvoir de l’argent arrogant et dominant reprend ses droits….

  2. Pingback: Carte postale de Managua | de l'autre coté du charco

  3. Merci et bravo pour cet article que je vais m’empresser de transférer à de jeunes militants de la solidarité latino-américaine qui ne connaissent pas cette histoire et ont bien besoin de s’y retrouver dans le contexte terrible actuel. Je rajouterai juste quelque chose que vous êtes trop jeunes tous les deux pour connaître,q c’est le formidable enthousiasme suscité dans la jeunesse européenne des années 1980 (la mienne !) par cette révolution. On a été nombreux et nombreuses à partir en brigades de solidarité et certain.e.s d’entre nous ont perdu la vie dans les montagnes de Matagalpa, assassiné.e.s par la contra. Et on a le coeur brisé de voir ce que notre rêve sandiniste est devenu bientôt 40 ans après. Ay Nicaragua Nicaragüita, la flor más linda de mi querer….

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