Mazateca. Terre de légendes

          Au Nord de l’État de Oaxaca s’étend la sierra Mazateca. Des sommets couverts d’arbres, de la brume, des oiseaux qui naviguent dans un ciel laiteux. Un soleil fuyant, une atmosphère pleine de promesses. Ici, on a aucun mal à imaginer que de tels lieux aient pu inspirer deux grandes figures du XXe siècle. Maria Sabina et Ricardo Flores Magon.

Je suis la femme qui sait nager dans le sacré “

      À Huautla de Jiménez, petite ville toute en hauteur, il n’y aucune trace de dévotion à la grande chamane. Il y a bien une statue à l’entrée mais sinon pas de posters, pas de tasses ni de sacs à son effigie. Le syndrome Frida Kahlo n’a pas encore frappé ici. Huautla semble être passée à autre chose. Seul le regard mi-narquois, mi-méprisant envers les touristes rappelle qu’Huautla fut dans les années 70 aussi couru que Katmandou. Ici tout gringo est “suspecté” de venir chercher des champignons hallucinogènes.

Maria Sabina Magdalena Garcia, née en 1894, découvre les vertus curatives des champignons dès l’âge de huit ans alors qu’elle gardait ses chèvres. Elle les appelait affectueusement “ les enfants sacrés”. Sa vie était simple et sans façon. Elle soignait son entourage, les champignons étaient ingurgités lors de cérémonies nocturnes dans un seul but curatif. Tout était rituel, dialogue avec les esprits. De sa bouche sortait des paraboles, des métaphores poétiques. Maria psalmodiait plus qu’elle ne parlait. Un langage à elle pour vaincre les forces de la maladie. Les enfants sacrés la guidaient dans l’infra-monde.

Tout changea en 1955 lorsque Robert Gordon Wasson, un anthropologue américain, vint la rencontrer dans sa misérable hutte perchée sur la montagne. Par la suite, il écrivit un article pour la revue « Life » puis un livre en 1968. Curieux, assoiffé d’expériences psychédéliques, le monde entier se rua à Huautla. Des célébrités, Lennon, Jagger mais aussi tout une faune de jeunes à la recherche de plaisirs immédiats et de sensations inoubliables. Au grand dam des habitants.

Tous voulaient entrer en communication avec leur âme au mépris des vertus curatives. En effet, la plupart n’étaient pas malade. Ou simplement de la maladie du siècle: être dans le coup ou la recherche effrénée du bonheur. Certains pris dans l’effet des substances se mirent à disjoncter. On raconte même qu’un touriste, avec une dinde vivante entre les dents, couru comme un dératé dans les rues de Huautla. Le village était devenu un cirque à ciel ouvert. Maria s’en alarma mais le mal était fait :« Ils prennent des enfants sacrés n’importe quand et n’importe où. Ils ne le font pas la nuit, ni en suivant les indications des Sages. Les enfants sacrés ont perdu leur pureté, leur force, on les a gâchés. Désormais, ils ne feront plus d’effet. On n’y peut rien »

Des anthropologues vinrent des quatre coins de la planète pour étudier son savoir. Elle en retira un peu d’argent. Maria fut alors accusée de vendre la culture séculaire de son peuple. Elle en fut profondément affectée.Quelques années après, un vieux sage déclarera avec humour : «  Le champignon sacré ne nous appartient plus. Son Langage sacré a été profané, il est devenu indéchiffrable pour nous. Maintenant les champignons parlent anglais ! » .

      Maria Sabina mourut seule et pauvre. Sa notoriété planétaire ne fut qu’une fatale illusion. Il ne restera d’elle qu’un visage austère, un regard pénétrant et quelques mots murmurés à la face du monde.

« La rébellion c’est la vie, la soumission c’est la mort ».

      Eloxochitlán, petit village au fond d’une vallée a mis une particule à son nom. Ici, on dit Eloxochitlán de Flores Magon. Partout des statues du grand homme. Une à l’entrée du village. Deux sur le zocaló et une au cimetière. Difficile d’ignorer que cette terre ait vu naître un des grands révolutionnaires à l’égal de Zapata ou Villa.

Ricardo Flores Magon, né en 1873, partira dès l’âge de huit ans pour la capitale. Pour autant, le village lui voue depuis une fraternelle dévotion. À Mexico, il suivit des études de droit et très vite, il s’opposa au régime du dictateur Porfirio Diaz. Il ne termina jamais ses études et se passionna pour le journalisme. Il fonda, en 1900, avec Enrique, un de ses frères, le journal “Regeneracion”. L’objectif principal était de dénoncer la corruption effarante du vieux dictateur. C’est dans ce journal que fut pensée la célèbre phrase « Tierra y Libertad », souvent attribuée, à tort, à Zapata. Son opposition le conduisit directement à la case prison. Le journal fut bien entendu interdit. Désormais, sa vie se déroulera plus souvent derrière les barreaux que derrière une machine à écrire. Pour finir, il s’exilera au États-Unis pour ne pas finir sa vie au cachot.

Flores Magon était un homme éclairé qui portait en lui des idées avant-gardistes comme la suppression de la réélection, la suppression de la peine de mort pour les prisonniers politiques, l’éducation obligatoire jusqu’à 14 ans, l’instauration d’un salaire minimum, l’expropriation des grands propriétaires terriens. Avec de telles idées, il fut en quelque sorte le précurseur intellectuel de la Révolution Mexicaine de 1910. Ricardo Flores Magon ne maniait pas que les mots. Il prônait aussi la lutte armée face aux nantis qui s’accaparaient les terres.

À chaque fois qu’il sortait de prison, il recréait le journal « Regeneracion » qui connut trois éditions. Comme le sphinx qui renaît à chaque fois de ses cendres.Depuis son exil en Basse-Californie, il s’intéressera et développera des idées anarchistes. Il osera même parler de l’abolition de l’État et de la propriété privée. Il dira de lui-même: “ je ne suis pas magoniste, je suis anarchiste. Un anarchiste n’a pas d’idole”.

Le gouvernant américain ne vit pas tout cela d’un très bon œil et il fut à nouveau incarcéré. Pour autant, il continuera de penser, protester, s’opposer et d’affirmer haut et fort ses convictions. Il n’aura de cesse de réclamer la fin de l’autorité, du capital et du clergé.Emiliano Zapata et Pancho Villa gardèrent toujours une certaine méfiance envers cet intellectuel aux mains propres.

Pourtant ses mots frappaient comme des balles lancées contre tous les oppresseurs: La liberté ne se conquiert pas à genoux mais debout, en rendant coups par coups, infligeant mille blessures, morts pour morts, humiliations pour humiliations, châtiments pour châtiments ». Il meurt en prison à l’âge de quarante-neuf ans et comble d’ironie, le gouvernement mexicain transférera ses restes dans le panthéon des hommes illustres à la capitale. Et le magonisme devint « une religion » pour des générations de jeunes anarchistes.

       Aujourd’hui, dans les rues du Mexique, au bord de l’insurrection, ses mots résonnent étrangement : «  avant qu’ils ne te tirent dessus, toi qui ne peux même pas acheter du pain ni du plomb, utilises une arme bon marché au résultat efficace : l’incendie social ». Un appel à la lutte armée qui pourrait séduire plus d’un Mexicain en ces temps troublés. Cela fait plus de quatre-vingt dix ans que Ricardo Flores Magon s’est tu (21 novembre 1922) mais son aura reste entière. Et au lendemain de la commémoration de la révolution mexicaine de 1910, le pays ne demande qu’à s’embraser. « Fue el estado » se plairait à dire Flores Magon en chœur avec le peuple en colère.

Et pour finir, un corrido en l’honneur du grand révolutionnaire :

Puerto Escondido, 24 novembre 2014

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Une réflexion sur “Mazateca. Terre de légendes

  1. La Californie, et plus particulièrement Los Angeles, garde encore le souvenir du passage des frères Magon: au centre-ville et dans le quartier chinois.

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