À Juchitan, au sud de Oaxaca, les « Auténticas Intrépidas Buscadoras del Peligro » (1) organisent chaque année une grande fête. C’est la vela (2) dite des Muxes. Les muxes sont des personnes nées de sexe masculin qui assument un rôle féminin dans la société. En occident, elles pourraient s’apparenter à des travestis, transgenres ou transsexuelles. Les zapotèques considèrent les muxes comme faisant partie d’un troisième sexe, ni meilleur, ni pire que les hommes ou les femmes, simplement différent.
Le terme « muxe » est un dérivatif phonétique du mot espagnol « mujer ». Il a été utilisé dès le XVIè siècle. Juchitan est souvent présentée comme une société matrilinéaire où les femmes ont le commandement. Beaucoup d’hommes de Juchitan s’en offusquent. Ils travaillent, ils partent à la pêche. Un autre cliché serait que les muxes sont une bénédiction pour les familles. À la différence des fils hétérosexuels qui se marient et vont former une famille ailleurs, le fils muxe reste à la maison pour prendre soin de ses parents. La muxe serait alors une sorte de sécurité économique et un appui moral lorsque la vieillesse du père ou de la mère se fait sentir.
Certains présentent cette partie du Mexique comme un paradis de tolérance mais la réalité n’est pas aussi simple. À Juchitán, dans les dix dernières années, huit muxes ont été assassinées, meurtres le plus souvent classés sans suite. Les deux derniers cas sont ceux d’Adán Sánchez López (Adriana Fonseca) en mars 2009 et celui d’Elvis Aníbal Santiago Medina (Niza) en mai 2012. On occullte souvent que la réalité de ces muxes est le plus souvent la prostitution, l’exposition au VIH et MST diverses. Le paradis n’est pas toujours là où on le pense.
Pour autant, les muxes ne renoncent pas à leur liberté. Elles se vêtissent en habit traditionnel, travaillent en femme au vu et au su de tous. Et cette fierté homosexuelle trouve son paroxysme lors de la grande fête traditionnelle organisée cette année le 14 novembre. Plus de cinq mille personnes s’y pressent avec enthousiasme. Pour y assister, il suffit d’avoir été invité, d’acheter un carton de bières et de se vêtir correctement. Pour les muxes, c’est la fête du paraître. Elles sont en habit de la région. Les huipils brodés sont de toutes beautés. Les plus jeunes sont en robe du soir. Il règne un petit air de festival de Canne ou du bal des débutantes dans la haute-société française. Les muxes jouent et rejouent l’éternel féminin. Talons hauts, jupes courtes, sourire flamboyant. Et, elles dansent jusqu’au bout de la nuit.
La vela comme toute fête à sa fonction expiatoire. Ce soir-là, pas d’homophobie, pas de propos déplacés, pas de petites misères quotidiennes. Elles sont les reines. Pour un soir. Pour une semaine. La ville leur appartient. Danser pour oublier la laideur du monde. Devenir une princesse. Une femme fatale. Celle de ses rêves d’adolescents. Au vu et au su de tous.
DF, 17 décembre 2014
(1) Les authentiques et intrépides chercheuses de danger
(2) Terme désignant une fête qui dure toute la nuit
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