Jour de marché à San Francisco El alto.

           San Francisco El Alto, un des plus grands marchés d’Amérique centrale. Aujourd’hui, c’est jeudi, c’est un petit jour de marché. C’est la fin d’après-midi et la tranquillité semble être revenue dans la petite ville. En fait, le grand jour, c’est le vendredi. Un marché traditionnel d’alimentation et de foire aux bestiaux. Pas vraiment un marché pour touristes. Pour le folklore, les vêtements Made in Guatemala, faudra repasser. Pas vraiment de jolies tuniques colorées à ramener de son voyage. Pour cela, il vaut mieux prendre un tour-opérator et se rendre à Chichicastenango. C’est une des attractions phare du pays.
À San Francisco El Alto, il y a quelques touristes égarés mais majoritairement, c’est un marché pour les gens du coin. Le vendredi, tous les indigènes des alentours descendent à San Francisco pour vendre, acheter. Une bien belle expérience en perspective.

Au centre du village, une église immaculée. Devant des centaines de tables patientent jusqu’au lendemain. Certains rangent leur matériel, des centaines de t-shirts s’empilent dans les sacs. Demain, ils les déferont de nouveau. Un vrai travail digne de Sisyphe. Un petit vieux, de plus de soixante-dix ans, porte son étal sur le dos. Il ploie sous l’âge ou le poids, on ne sait plus trop. De toute part, des odeurs de poulets grillés, de maïs. On a envie de s’arrêter à tous les stands et de goûter.
Dans chaque rue, un vendeur de tissus, de chaussures, de vêtements, de téléphone mobile, des restaurants entre chaque magasin. Clairement, cette petite ville se dédie au commerce. Le marché du vendredi n’est que l’apothéose de toute cette frénésie à vendre et à acheter.
Partout, des chiens faméliques, poils fatigués et blessures diverses. Ils traînent en meute. Certains grognent à votre passage, ça en serait presque angoissant. Ils n’ont plus que la peau sur les os et ils reniflent le moindre étal, fouille la moindre poubelle à la recherche d’un peu de nourriture. Dès qu’ils s’approchent de trop près, un vendeur les frappent d’un coup de pied bien senti. Les chiens déguerpissent sans demander leurs restes. Certains supportent les coups en gémissant. La même scène se reproduit à chaque coin de rue. Ce n’est pas vraiment le paradis des chiens par ici…

C’est le jour J. Vendredi, sept heures du matin. Les rues sont envahies de stands. On ne reconnaît plus le centre. Il semble s’être métamorphosé en une foire géante. Partout, des bâches de couleurs, rouges, bleues, délavées par le soleil. Dessous, c’est déjà l’agitation. Difficile de se frayer un passage. Les femmes indigènes, toutes menues, jouent des coudes et arrivent à leur fin. Sans difficulté. Pour nous, c’est un peu plus compliqué même si on est bien habitué avec le marché de la Plaine, à Marseille. Mais là, c’est puissance cent. « Nada que ver » comme ils disent si bien. Bien gentil, on laisse passer les hommes chargés de ballots et paf, une minuscule indigène nous passe devant. On fait du sur-place. On veut laisser passer la vieille mamie et de nouveau, deux jeunes nous bousculent et nous jetteraient presque sur le barbecue brûlant. Bon, je crois qu’il va falloir la jouer façon ailier de rugby. Se jeter en avant, se faufiler corps tendu et ne rien laisser passer parce que sinon on risque de se retrouver grillé comme le poulet. De plus, impossible de rester là, face au stand de morue et crevettes séchées, l’odeur est à vous soulever le cœur.
Au stand de bouffe, les marmites chauffent. Les lève-tôt prennent déjà leur deuxième café. Les tortillas cuisent sur des comals (1) de fortune. Tous les indigènes sont là. La plupart se sont levés à quatre heures du matin et ils sont descendus des villages environnants pour être les premiers à faire des affaires.
Sur le haut du village, un grand terrain vague envahi par les animaux. Une Toyota quitte la scène avec cinq cochons sur son plateau arrière. Il y a toutes les espèces d’animaux : des cochons par centaines, des vaches, des veaux, des moutons noirs, des poules, des coqs, des lapins. Il y a aussi des dizaines de dindons. Mais qu’est-ce que ça peut-être affreux un dindon quand même. Une tête en forme de S. Des verrues plein la tête. Peut-être même que c’est des pustules. Une couleur qui mélange le bleu moche et un rouge sale. Je ne sais pas pourquoi mais ils me font systématiquement penser aux courtisans de la cour de Louis XIV, en perruque et froufrou noir. Un air hautain presque méprisant, des petits yeux mesquins, un double menton, un déhanché ridicule. Il m’en vient de ces idées quand même. Je n’aurais pas dû rester autant à les regarder. Il faut vite que je sorte de là avant de psychanalyser les poussins…
Il règne, un joyeux brouhaha entre les bêlements et les cris des cochons qui viennent de comprendre qui ne sont pas là pour prendre l’air. Contre un mur, une femme pose énergiquement un panier et enfourne des poules vivantes dedans. Elle en fait rentrer une quantité incroyable, prête à battre le record de poules dans un espace le plus réduit possible.
Par contre, les indigènes ne parlent pas beaucoup. Les femmes, visages austères, tiennent les bêtes en laisse et ne se laisse pas distraire. Sur leurs têtes, un bout de tissus pliés, le tzutze, qui sert à tout : porter un panier en hauteur, caser un enfant dans le dos, ranger ses affaires à même le sol. Ces femmes ont le visage fermé par une vie de labeur et de misère. D’ailleurs, dans cette zone, la guerre civile a été cruelle et des dizaines de villages ont subit l’innommable.
Plus loin, étonnamment, vu comment ils sont traités, un couple vend des chiots qui semblent être destinés pour la vie domestique. Il y a aussi des chatons. Comme partout dans le monde devant des petites têtes à poils, les enfants émerveillés s’arrêtent et réclament le petit chien. Les parents résistent et tirent le gamin en larmes. S’ils le peuvent, ils lui achèteront une glace pour lui faire oublier son grand chagrin. Mais, le plus souvent l’enfant reste avec ses pleurs. Ici, l’enfance n’est pas vraiment une cour de récréation. Et l’âge adulte arrive bien trop vite. Et leurs rêves de glaces fondent comme neige au soleil. Et ces enfants sans jeu viennent rejoindre l’armée d’ombres de leurs parents brisés.

Mais le plus saisissant, c’est le silence. Indéniablement, nous ne sommes pas sur un marché latin où les gens s’interpellent, où les vendeurs font tout un cinéma pour vous vendre trois tomates. Ici, les gens murmurent plus qu’ils ne crient les prix. La foule ressemble à une colonie de fourmis venue acheter et vendre. Il n’y a pas le sentiment de flânerie, de ballade. Ici, on vient acheter ce dont on a besoin, on ne s’occupe pas du superflu, on vient vendre, pour avoir de l’argent pour subvenir à ses besoins. L’idée de plaisir, de déguster, rire, partager un moment ne semble pas être leurs préoccupations principales…
Sur les stands, on trouve des tennis converses, des jeans Levi’s qualifiés d’authentiques, des blouses indigènes. Un peu plus loin, à même le sol, des fripes avec des montagnes de fringues de seconde mains. Plus d’une dizaine de stands de tissus couleur pastel, rien qui n’éclate vraiment de couleurs. Des stands utilitaires : des mobiles, des chargeurs, des piles, des torches, des carnets, des stylos. Des stands de fruits et légumes : frijoles, maïs, mangues, tomates, manioc, laitues. Des stands tout en couleurs tenues par des femmes aux yeux tristes. D’ailleurs même le ciel gris rend l’ambiance couleur laiteuse et un peu morose. Mais le plus important étant de ramener de l’argent à la maison comme le démontre le geste vif de cette femme assisse en tailleur qui sort une poche plastique et y fourre un billet de cinquante quetzales. Elle refera ce geste des dizaines de fois et ré-ajustera à chaque fois son bustier. Une des planques les plus sûres cela va de soi. Et puis, vu sa tête de vieille indigène aguerrie, personne n’ira lui chercher des noises.

Fin d’après-midi, la frénésie s’estompe, la foule repart chez elle, les gens rangent leurs ballots. Ils refont les sacs qu’ils redéferont pour le prochain jour de marché. Un éternel recommencement dans cette petite ville de San Francisco El Alto.

Livingston, 5 avril 2015.

(1) Mot espagnol d’origine nahuatl (« comalli») utilisé au Mexique et en Amérique centrale depuis une haute antiquité pour désigner un ustensile de cuisine traditionnel servant à cuire les tortilla.

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Une réflexion sur “Jour de marché à San Francisco El alto.

  1. Et pourkoi k’on peut plus vous envoyer de commentaires sur votre blog? Je vous l’envoie donc mailé: Ben ça a bien l’air d’être un peu le blues au Guatemala!… Quand j’y suis allé en 2006, je voulais faire du camping sauvage au bord d’un lac. On m’a dit  » Oh la la! gringo tu vas te faire dépouiller, il faut te faire couleur locale ». Me suis donc équipé d’une super machette à la ceinture et d’un chapeau tout ce qu’il y’a de plus guatémaltèque et suis allé planté ma guitoune au bord du superbe lac Atitlan au pied du volcan du même nom. Au bout de 3 jours de douce harmonie avec Tierra Madre y Lago Atitlan, un pêcheur avec qui j’avais sympathisé et commencé à m’initier grossièrement à la pêche autochtone dans sa barque,m’a laissé gratos sa belle cabane en bois qu’il n’utilisait pas pendant une semaine avec grand balcon à balustrades, rocking-chair, bougainvillier en fleur et tout et tout . J’allais faire mon petit marché à San Pedro de la Laguna et au bout d’une semaine, quelques z’indigénes me saluaient et on pouvait papoter un peu. Ce fut une semaine totale magique! Après la très belle cité d’Antigua où l’histoire parle à murs ouverts, un festivals de volcans pour arriver aux impressionnantes plages de sable complètement noir du Pacifique. Les familles viennent y pique-niquer sous des paillotes de fortune et s’y baigner tout habillés. Ça sent le poisson grillé et ça rigole beaucoup. Photos du plus bel effet sur fond d’écume blanche des vagues sur sable noir ébène… La population maya du nord du Guatemala est toujours gravement traumatisée par le quasi génocide qu’ils ont subi dans les années 80 d’où la moindre apparence de joie de vivre exubérante qu’au Mexique… Merci de m’avoir permis de me remémorer ces bons souvenirs. Bon anniversaire au jeunot de 42 balais de Paxi! T’inkétes pas p’tit gars, suis passé par là, on s’en sort généralement bien et n’oublies ke la vraie jeunesse ne commence qu’à 50 balais… Bises à tous les deux et bonnes suites de vadrouille et merci pour votre super blog!Quetza Date: Sat, 11 Apr 2015 14:55:23 +0000 To: lesindiensdanslaville@hotmail.com

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