Oaxaca, novembre 2014, une marche pour les 43 disparus d’Ayotzinapa. Á la fin du défilé, une jeune femme prend le micro. Elle rappe sa rage. Son flow est un cri. Une colère à fleur de peau. Un hurlement qui vient du plus profond d’elle-même. Sa voix nous scotche au mur. Nous bouleverse. Elle a pour nom Mare Advertencia Lirika. Après un tel choc, nous n’avons qu’une envie la rencontrer. Connaître cette jeune femme qui utilise le rap comme une arme pour dénoncer les violences faites aux femmes, qui n’hésite pas à braquer les projecteurs sur le racisme dont sont victime les minorités de ce pays. Une musique engagée qui sert aussi à valoriser les langues, la culture, les solidarités des peuples originaires. Mare Advertencia Lirika, à vous l’honneur.
Octobre 2019, rencontre dans un petit café de Oaxaca. Assise sur une banquette, une thé brûlant sur un coin de table, son regard ne nous quitte pas. Elle est là. Totalement disponible. Une présence qui s’affirme sans s’imposer. Comme une autorité naturelle. Dans sa posture. Dans sa voix. Mare Advertencia Lirika se définit, sans détour comme « Rappeuse, zapotèque, féministe, migrante en transit de manière permanente ». L’essence même de Mare Advertencia Lirika. Et surtout, ne pas la cataloguer comme activiste sociale. Cela pourrait presque l’irriter…
Mare est une jeune femme qui puise son énergie dans la culture zapotèque de la Sierra Norte, dont elle est originaire. Selon elle, c’est à partir de ce territoire qu’elle à pris conscience de l’oppression dont était victime les peuples originaires. D’une voix ferme, elle affirme « J’ai vécu un processus de migration, de déplacement forcé et de racisme en tant que Zapotèque. Ces processus rendent invisibles les peuples originaires. Il y a comme une instrumentation des gouvernements qui vise seulement à montrer le folklore, les couleurs des peuples de Oaxaca sans pour autant répondre à leurs demandes réelles, sans pour autant les prendre en considération ».
Pour Mare Advertencia Lirika, la migration marque le début de son histoire, c’est peut-être le terreau de ses premières colères, mais très vite, elle va interroger sa place en tant que femme dans un pays où le taux de féminicides est l’un des plus élevés au monde. Son identité déjà multiple va alors s’agréger d’un féminisme combatif et sans ambiguïté, elle nous déclare « Je suis féministe. J’assume totalement cette charge de vivre dans une société machiste et mon devoir est de changer les choses. La musique me semble un excellent moyen pour y arriver ». Par sa posture, Mare veut dénoncer le silence complice des hommes. Démontrer que l’oppression, les différentes formes de violences ne sont pas innées mais structurelles, liées à un système patriarcal millénaire. Sa musique est un combat. Une lutte de chaque instant. Pour redonner une histoire, de la voix, de la chair, de l’humanité, à toutes les invisibles du monde. Son flow est une véritable arme pour rendre de la dignité à tous les relégués, les opprimés, les humiliés de ce capitalisme sans foi ni loi.
Le rap de Mare est un rap politique dans le noble sens du terme. Elle utilise la parole comme une arme. Une parole qu’elle a apprise de son peuple, pour qui l’oralité n’est pas seulement vecteur de communication mais aussi de solidarité et de résistance. Elle chante pour revendiquer les valeurs qu’on lui a transmis « Quand je parle de la tradition orale, je parle directement de la préservation de la cosmovision d’un peuple à partir de sa langue. Quand tu nommes une chose dans une langue, tu la nommes à partir de ta façon de voir le monde. Les peuples originaires ont une forme de nommer le monde. Les pays capitalistes ont une autre forme pour nommer le monde. Et cette façon de nommer le monde, c’est ce que nous appelons la tradition orale, c’est notre héritage culturel ». Pour Mare, il est évident que la colonisation n’a pas réussi son travail de destruction et elle est très fière de dire que sa grand-mère lui a transmis sa langue maternelle. Indéniablement, et elle le soulignerait presque avec une pointe d’orgueil, la culture zapotèque a survécu et se retrouve dans ses rituels, dans ses plats, dans ses danses et ses croyances.
Mare semble intarissable sur la cosmovision de son peuple face à un capitalisme qui ravage tout sur son passage. Pour les peuples originaires, la nature est sacrée, vivante. Il y a comme une énergie qui habite le lieu. Certain même parle d’une déesse. Et à chaque fois que l’on entre sur son territoire, il faut lui demander la permission, la remercier pour ses bienfaits, la traiter avec le plus grand respect. Pour les zapotèques, la nature représente la Mère, la Terre Mère. Une croyance que les occidentaux piétinent allégrement. Pour eux, la nature est seulement un bout de terre. Il leur importe peu de la trouer avec les mines, de contaminer les rivières, de rendre irrespirable l’air, de déboiser le plus possible, et cela pour un profit maximum. Saccageurs d’une terre qu’il ne leur appartient pas. Horrifiés, les peuples originaires regardent leur monde souffrir, balafré par la bêtise des hommes. Ce type d’homme qui ne se rend pas compte des dommages, peut-être irréversibles, qu’il cause. Si peu soucieux du devenir de l’humanité. Inconscient qu’il court à sa perte, trop occupé à accumuler des richesses. Oublieux d’une chose, pourtant fondamentale, c’est que l’argent ne se mange pas…
C’est pour cela que Mare chante. Parce qu’elle refuse que ce massacre continue. C’est contre cela que Mare rappe. Pour dénoncer la sauvagerie du monde capitalisme. Pour faire disparaître, une bonne fois pour toutes, ces patriarcats archaïques. Portée par ses croyances, Mare gronde sa colère. Ses mots sont comme des bombes à retardements. Aussi puissantes qu’une déflagration à longue portée.
Au-delà de sa culture originelle, Mare dans sa construction de femme, rappeuse, engagée, rend aussi hommage à l’école, à l’éducation qui lui permis de prendre conscience des enjeux du monde dans lequel elle évolue : « Quand j’avais cinq ans, mon père a été assassiné suite à un conflit agraire où il n’était pas impliqué. Á partir de là, avec ma mère, nous avons dû affronter le monde d’une autre manière. On a dû tout recommencer à zéro. Á l’école primaire, j’ai appris une adaptation d’une poésie nationaliste qui s’intitulait « México, je crois en toi ». Cette adaptation s’intitulait « México, qui croit en toi ? ». Cela parlait de l’injustice, de la persécution des étudiants. Je me rappelle que cela a changé ma vie. Cette poésie m’expliquait une réalité qui était la mienne. Et c’était mon maître d’école qui me l’a apprise ».
L’histoire du rap et de Mare est celle d’une rencontre. Celle d’une jeune fille qui voulait s’émanciper, guérir ses blessures personnelles et sortir cette colère qu’elle ressentait au fond d’elle-même « J’ai commencé pour une nécessité de catharsis. J’étais très jeune, j’avais besoin de me trouver. C’était l’adolescence et je ne savais pas qui j’étais ni où j’allais. J’avais 16 ans. J’ai commencé sans avoir conscience de ce que je faisais. Petit à petit, je me suis rendue compte du pouvoir de la parole aussi bien pour se soigner que pour dénoncer. Au début, je le faisais de manière très intuitive. Je ne le réfléchissais pas vraiment ». Mare s’est découverte dans le rap, elle a su affiner son instinct, canaliser ses pulsions. La révolte du peuple de Oaxaca en 2006 va déclencher sa vocation de rap engagé « C’est là que j’ai saisi l’importance de la parole. Je me suis rendue plus responsable de ce que je faisais et de ce que je disais. C’est après cette date que je suis vraiment entrée dans la musique et que j’ai compris que c’était un outil. Je pouvais enfin faire quelque chose qui me plaisait tout en soutenant les causes qui m’importaient. ».
Lorsqu’on lui demande si cela est difficile d’être une femme dans le milieu du rap, elle sourit, avale une galette d’un geste rapide, presque agacée « Cette question me paraît toujours curieuse. Quel secteur de la culture n’est pas machiste ? Moi, je sens que le rap me donne une liberté que d’autres ne me donnent pas. Je pense que si j’avais fait de la pop ou autre chose, j’aurais été désavantagée. Je ne remplis pas les canons esthétiques, je n’appartiens pas à une élite. Je sens que le rap a une liberté créative qui permet de faire depuis ce que tu es. J’ai été de la première génération du rap à Oaxaca, il n’y avait donc rien à se disputer. On a commencé dans un groupe de 7 personnes, 2 femmes et 5 hommes. Bien sûr que le machisme existait mais il était moins visible car il fallait nous unir pour créer notre propre culture musicale, celle du rap oaxaqueño ». Question suivante, semble-t-elle dire en recommandant un thé !
Au niveau de ses influences, Mare s’est bien évidemment intéressée au mouvement Hip-Hop, qui a débarqué en force dans les années 90 au Mexique. Selon ses dires, cette musique rageuse résonnait avec ses propres colères. Elle a également côtoyé les mouvements de contre-culture qui écoutaient du ska espagnol, du rock, du punk, des musiques à messages politiques. Elle peut tout aussi bien écouter des corridos, de la cumbia. Bien évidemment, la poésie dite « de protesta » l’a fortement marquée même si parfois, elle l’a trouvée un peu trop rigide. En énonçant toutes ces influences si différentes, elle éclate de rire et nous avoue « J’ai beaucoup d’influences et c’est peut-être pour cela que ce que je fais est si bizarre ».
Mare n’a pas peur de sortir de son confort, de casser les codes et de sauter les frontières imposées. Elle refuse clairement de s’enfermer dans le monde du rap qui parfois peut montrer ses limites. Et c’est pour cela qu’elle n’hésite pas à délaisser la scène rap pour se mélanger avec des musiciens de son jarocho comme Raices. Mare aime expérimenter, rejoindre des gens qui partagent le même amour de la musique et les mêmes valeurs de solidarité qu’elle. Une musique ouverte au monde, ouverte à tous et toutes ! C’est le seul credo de Mare Advertencia Lirika.
Une artiste qui se refuse à être un modèle tout en sachant que ses paroles peuvent avoir une portée auprès de ceux et celles qui l’écoutent. De ce fait, elle se sent responsable de ces mots, de ces actes et son énergie est telle qu’elle va chanter, dénoncer partout où cela est nécessaire. Sur les huit régions qui composent l’état de Oaxaca, il n’y en a pas une qui ne l’ai pas entendu porter son cri de guerre et de paix.
Elle ne se veut experte de rien et avec humilité, elle nous raconte « Je suis allée dans beaucoup de communautés autant pour chanter que pour écouter et apprendre de ces processus communautaires. C’est important de faire cet exercice de rétro-alimentation en allant dans les communautés rurales comme dans les quartiers périphériques des villes. Ce n’est pas la même chose de parler de féminisme, à Mexico DF ou à la centrale de abastos. Il faut avoir conscience dans quel espace tu te trouves et d’où tu viens ».
Une jeune femme qui ne se veut surtout pas donneuse de leçon. Elle veut seulement partager sa musique avec le plus de respect possible pour les personnes qui l’écoutent. Être le plus accessible possible, ne pas se perdre dans les jargons féminino-militant et faire que ces textes soient compréhensibles par le plus grand nombre. Portée par la volonté de simplifier le langage tout en gardant la force du message.
Pour Mare, l’émancipation est la clé de voûte d’un féminisme réussi. C’est pour cela qu’elle a mis en place des ateliers de rap notamment pour les filles. Des ateliers qui ne sont que prétexte à une prise de conscience personnelle. Des rencontres où elle apprend à ces jeunes filles que la voix ne sert pas seulement à chanter mais aussi à occuper l’espace. Á se positionner comme femme consciente des dangers d’un monde à la solde des hommes. Dans ces ateliers, elle leur apprend aussi à utiliser leur voix comme un outil d’autodéfense, à sortir leurs maux pour ne plus les subir. L’enjeu de ces ateliers n’est pas seulement d’acquérir une bonne technique vocale mais de leur faire prendre conscience de ce qu’implique leur voix, de les amener à se questionner sur le système qui les entoure. Des ateliers qui n’ont finalement qu’une seule et unique ambition, les aider à transformer leur réalité. Se servir de leur voix pour trouver leur voie.
Dans sa posture de femme et de rappeuse, Mare démontre son intelligence collective et une réelle volonté de conscientiser tous les rapports humains afin de ne plus se laisser imposer sa vie. Des ateliers qui sont comme un grand sac où l’on amasserait des petits cailloux pour baliser sa route selon ses propres choix, ses désirs les plus intimes « Nous avons besoin d’avoir plus d’espaces critiques. Des espaces où tu peux te tromper, où tu peux expérimenter et où personne ne te jugera. Sortir de la rivalité, de la compétition. Dans ces ateliers, j’essaie toujours de travailler l’auto-estime, d’amener les personnes non pas à être expertes mais à réaliser des choses qu’elles ne pensaient pas pouvoir faire ».
Il pourrait se passer des heures à écouter Mare. Á regarder ses yeux briller d’énergie. Á l’écouter chanter ses espoirs, ses colères et ses défaites. Et finir par s’envelopper dans sa chaleur humaine. Puis la laisser partir. Presque à regret…
Le rap de Mare Advertencia Lirika est un rap sensible, poétique, et engagé. Un rap qui dérange, dénonce, dévoile les dessous d’un monde qui court à sa perte. Un flow qui se veut aussi témoin de la richesse des peuples originaires, de la force et de la solidarité des femmes entre elles. La musique de Mare Advertencia Lirika est de celle qui donne de la force pour construire un monde meilleur, l’envie de se battre ensemble. Et lorsque le monde paraît trop laid, ne pas hésiter à écouter très fort Mare Advertencia Lirika. Le meilleur remède contre toute forme de renoncement. À se positionner comme femme consciente des dangers d’un monde à la solde des hommes. Dans ces ateliers, elle leur apprend aussi à utiliser leur voix comme un outil d’autodéfense, à sortir leurs maux pour ne plus les subir. L’enjeu de ces ateliers n’est pas seulement d’acquérir une bonne technique vocale mais de leur faire prendre conscience de ce qu’implique leur voix, de les amener à se questionner sur le système qui les entoure. Des ateliers qui n’ont finalement qu’une seule et unique ambition, les aider à transformer leur réalité. Se servir de leur voix pour trouver leur voie.
Dans sa posture de femme et de rappeuse, Mare démontre son intelligence collective et une réelle volonté de conscientiser tous les rapports humains afin de ne plus se laisser imposer sa vie. Des ateliers qui sont comme un grand sac où l’on amasserait des petits cailloux pour baliser sa route selon ses propres choix, ses désirs les plus intimes « Nous avons besoin d’avoir plus d’espaces critiques. Des espaces où tu peux te tromper, où tu peux expérimenter et où personne ne te jugera. Sortir de la rivalité, de la compétition. Dans ces ateliers, j’essaie toujours de travailler l’auto-estime, d’amener les personnes non pas à être expertes mais à réaliser des choses qu’elles ne pensaient pas pouvoir faire ».
Il pourrait se passer des heures à écouter Mare. À regarder ses yeux briller d’énergie. Á l’écouter chanter ses espoirs, ses colères et ses défaites. Et finir par s’envelopper dans sa chaleur humaine. Puis la laisser partir. Presque à regret…
Le rap de Mare Advertencia Lirika est un rap sensible, poétique, et engagé. Un rap qui dérange, dénonce, dévoile les dessous d’un monde qui court à sa perte. Un flow qui se veut aussi témoin de la richesse des peuples originaires, de la force et de la solidarité des femmes entre elles. La musique de Mare Advertencia Lirika est de celle qui donne de la force pour construire un monde meilleur, l’envie de se battre ensemble. Et lorsque le monde paraît trop laid, ne pas hésiter à écouter très fort Mare Advertencia Lirika. Le meilleur remède contre toute forme de renoncement.
San Cristóbal de las casas, Décembre 2019
Et pour finir l’année en musique
On ne dira jamais assez combien Oaxaca 2006 aura marqué une génération de jeunes dans toutes les facettes de la contre-culture ou de la création tout simplement. Ce rap vaut tous les slogans du monde. C’est un beau cri dans la nuit noire : je reste toujours effaré devant les chiffres monstrueux des féminicides, des morts violentes, des rapts d’enfants…Vive Mare !
Et merci pour ce beau texte et la présentation de la vidéo
Ben c’est con, nous on était 43 à table hier. Ca m’a fait pensé à eux surtout après avoir lu « L’invention des corps » de Pierre Decrozet.