Carte postale de Yaxchilan

             Partir pour Yaxchilan, cité maya au bord du fleuve Usumacinta. Entre deux rives. Entre deux pays. D’un côté, le Mexique. De l’autre, le Guatemala. Face à ces deux berges jumelles, ressentir l’aberration des frontières bureaucratiques. Pour débusquer Yaxchilan, il faut s’aventurer en plein cœur de la selva. Le fleuve comme trait d’union. Descendre le fleuve en lancha, c’est devenir Indiana Jones à la recherche de la cité perdue. À la seule différence, par rapport à lui, c’est que nous, on sait où on va ! Enfin, c’est ce que l’on veut bien nous laisser croire…

             Frontera Corozal, le village est juste composé d’une route principale pavée, de simples rues en terre, de quelques maisons éparses et l’embarcadère où tout le monde se retrouve. Sur les berges, les embarcations patientent. Nous sommes hors-saison. Les touristes sont partis vers d’autres cieux. Ils ne restent que les pêcheurs et les locaux. Et quelques touristes qui ne résistent pas à l’idée d’être à contre-courant. Aussitôt arrivés, la première tâche est de faire baisser le prix prohibitif des lanchas. Il faut négocier, alpaguer le peu de touristes et se regrouper pour que le principe, plus on est de fous, moins on paie s’avère juste. Les singes hurleurs semblent se moquer de nous. Comme un écho dans nos négociations acharnées.
Puis se laisser happer par le coucher de soleil. Admirer le fleuve lisse comme un miroir. Les barques sont comme sens dessus-dessous. Au loin, un bateau pressé, fonce droit dans le jus du soleil. Juste en face, des flaques d’or scintillent. Les rochers se figent comme les gardiens ancestraux, qu’ils ont toujours été. Des aigrettes joueuses se déposent dessus. Avec nonchalance. Enfin, la nuit dépose ses étoiles au coin du ciel. Il nous faut attendre encore quelques heures. Apprendre la patience et se coucher en rêvant à cette cité du bout monde. Finalement, on n’a jamais été aussi près.
Au petit matin, le désir s’enflamme malgré une brume opaque. Encore ensommeillés, on ne devine pas encore les rives. Entre deux mondes. Comme si on quittait celui-là pour aller vers le monde des Mayas. La rivière est comme une charnière, un long fil qui se déroule à l’envers. On remonte le temps. Le soleil fait des percées. Les nuages bataillent avec lui. La brume, elle, continue de nous envelopper de sa grandeur. Les arbres ne sont que des ombres fugitives. Presque inquiétantes. L’embarcation glisse doucement. Comme si elle n’osait pas déranger ce monde qui était là avant elle, et qui sera là bien après elle. Assise dans cette lancha, perdue dans mes pensées, je m’imaginerais presque comme une exploratrice du début du siècle, à la recherche du secret des Mayas. Mais le seul nom qui me vient spontanément à l’esprit, c’est Dora. C’est un peu nul quand même… Soudain, le bruit du moteur me ramène à la réalité. On s’approche. Et lorsque le soleil gagne sa place dans le ciel, la lancha ralentit et s’échoue sur un semblant d’embarcadère. Juste quelques marches pour être aux portes de la cité de Yaxchilan. Juste quelques mètres encore. Les quatre autres touristes partent de leur côté. Nous ne sommes plus que tous les deux. Seuls dans une cité maya. L’émotion est totale…

             Entrer dans un silence, rempli du bruit de la jungle. Ça bruisse, ça s’envole, ça piaille. Mille sons à la minute et pourtant, on ne devine rien dans les arbres. Un monde invisible nous observe. Nous ne sommes que de passage. On se sent comme des invités qui ne doivent pas s’éterniser. On est juste toléré. On pénètre dans une allée d’arbres courbés et de lianes géantes. On s’entendrait presque à voir surgir Tarzan criant « Jaaaaaaane ». On grimpe vers la petite Acropolis. Les ruines sont solennelles, envahies par la végétation. Un bas-relief nous raconte l’histoire de Pájaro Jaguar. Dieu Maya omnipotent. On s’assoit sur les pierres, presque religieusement. On se laisse absorber par la magie du lieu. Il suffirait de fermer les yeux pour sentir la présence de ce  peuple ancien. En redescendant vers la plaza major, on rentre dans un édifice. Les pièces sont sombres. On tourne comme dans un labyrinthe. Les chauves-souris, mécontentes d’être dérangées, volent en bande organisée. Elles sont un peu inquiétantes. Leurs petits yeux luisent dans l’obscurité. Je me souviens alors des films d’horreur de mon adolescence où elles s’attaquaient aux cheveux. Je sors au pas de course, sans vouloir montrer la panique qui monte en moi. J’ai ma dignité quand même. Dehors, je reprends mon courage à deux mains. Ce n’est pas des chauves-souris, toutes moches, qui vont me gâcher mon plaisir. Rassérénée, je me pose sur une marche, vieille de milliers d’années, et là tout devient magique.
La plaza mayor s’offre à nous dans sa beauté ancestrale. Ses ruines nous racontent sa grandeur passée. Ses immenses arbres accueillent des singes facétieux, aux longs bras élastiques, qui caracolent de branches en branches. On ne se lasse pas de les admirer. Sur le côté, le jeu de pelote nous rappelle le temps où des hommes se battaient pour leurs Dieux. Les vainqueurs, ou les perdants selon les versions, avaient la tête décapitée. Leur sang versé comme une offrande.
Mais le plus somptueux reste à venir. Prendre l’escalier monumental. Doucement. Sans se presser. Faire une pause en plein milieu et contempler le silence. En bas, les fantômes des Mayas rôdent. Là, un prêtre prie. Plus loin, des hommes parlementent au pied d’un arbre. Des jeunes femmes, regards baissés, passent en chuchotant. Leurs âmes se connectent avec la mienne. Je me sens en totale communion avec ces silhouettes venues de l’infra-monde.

Ici, nous sommes en plein cœur d’un centre cérémoniel. Un lieu où les hommes parlaient à leurs Dieux. Les Mayas étaient une société organisée verticalement. Tout en haut de l’échelle, le prince et les prêtres. Leur monde n’était ordonné que par rapport aux présages et aux cultes qu’ils rendaient à leurs Dieux. Les offrandes n’existaient que dans le seul but d’assurer leur clémence.
Je reprends mon ascension. Au sommet, un temple. Sur sa façade, un gardien immuable. On se regarde. Longuement. Implicitement, il me donne son aval. Je peux rester un moment. Toucher sa pierre. Respirer les effluves d’un temps qui n’existe plus. Je m’adosse à son mur décrépi. Je le sens palpiter en moi. Je ferme les yeux. Je suis au cœur d’un rêve éveillé. Le temps file. Le temps me bouscule. Je rentre dans le monde Maya. Je perce enfin leurs secrets. Je deviens une Maya parmi les Mayas. Je m’imagine grande prêtresse, avec des milliers de fidèles qui me suivraient comme mon ombre. Prêts à tous les sacrifices. Ils m’offriraient leurs cœurs sanguinolents. Dans cette cité grandiose, je me sens grandir des rêves mégalomaniaques. Je me réveille. Il est temps de partir. Dommage, je ne serai jamais prêtresse Maya…
En sortant du site, les singes se mettent à hurler. Ils viennent de se réveiller. Ils sont les maîtres de la jungle. Comme le signal qu’il est temps de filer. À regret, on redescend vers le fleuve. Notre départ se fait sous le rugissement des singes. La clameur est affolante. Nous ne savons pas très bien si cela signifie un « Au-revoir » ou un « Bon débarras ». Un dernier regard et Yaxchilan se referme sur elle-même. Engloutie par la selva. Comme si elle n’avait jamais existé…

             Le retour en lancha se fait tout en douceur. Pour nous ramener à la réalité du monde moderne. Assisse à l’avant du bateau, les cheveux dans le vent, le soleil sur la peau, je me sens extrêmement vivante. Je me sens belle comme dans une pub de Ricorée. Absolument et totalement heureuse. Et le soir, lorsque la lune pleine jaillit derrière le fleuve, je ne peux que remercier la vie des cadeaux qu’elle m’offre. Je me perds dans sa lumière. Depuis le début de ce voyage, la lune amplifie la beauté des moments vécus, donne une fulgurance à ces morceaux de vie volés à l’ennui.
Une lune complice qui me donne envie de lui dédier des chansons :

https://www.youtube.com/watch?v=0Eq1qtm6Huk

https://www.youtube.com/watch?v=X2_K8JVViP4

Oaxaca, Février 2020

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2 réflexions sur “Carte postale de Yaxchilan

  1. Estoy completamente emocionada con las fotos y el texte ,pensado a vosotros dos,el mio corazon …camina con vosotros… Estoy llorando escuchando chavela vargas,Muchas gracias para todo eso! un tesoro! muchos besitos de guadalupe!

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