Au Mexique, il y a plusieurs façons de voyager, de se déplacer. Une des plus simples consiste de prendre un bus pour aller d’un point A à un point B. Facile mais sans réel intérêt, si ce n’est la certitude d’arriver à bon port, à une heure décente. Une autre est « transbordarse », se transborder, aller de bord en bord. Pour les pressés, les empêcheurs de rêver en rond, ce n’est même pas la peine. Pour les autres, c’est le Mexique qui s’offre dans toute sa lenteur, dans toute sa splendeur.
Marichuy et le CIG avaient promis de parcourir tout le pays, d’aller dans les zones les plus isolées pour écouter et ramener les douleurs du peuple d’en bas. Elle n’a pas menti. La région Chontal, dans l’État de Oaxaca en est la preuve vivante. Un monde rude entre montagne et Pacifique. Un monde indigène qui attend avec ferveur l’arrivée d’une femme qui leur ressemble. Pour dénoncer encore et toujours ces projets de mines mortifères qui gangrènent le pays.
Départ depuis Oaxaca. Petit matin blême. La camionnette prend d’assaut une route qui se fait de plus en plus sinueuse au fil des kilomètres. Au bout de quatre heures, on nous dépose à un croisement improbable et de là, un taxi nous amène vers un village au nom imprononçable. La chaleur nous prend à la gorge, elle ne nous lâchera pas. Un vieux bus brinquebalant, couleur lie-de-vin d’un autre âge, arrive dans un chuintement pas très rassurant. On prend une piste de terre. Forcément, les fenêtres ne ferment pas et on se retrouve en quelques secondes saturés d’air chaud et de poussière. Le bus grimpe vers les cimes. À chaque changement de vitesse, on se dit qu’il va nous faire un arrête cardiaque et mourir de sa vieille mort. Quelques heures plus tard, toujours assis dans ce bus suffocant. Encore un croisement et à nouveau on s’arrête pour attendre un autre transport. Le paysage est à couper le souffle. On oublie les courbatures, les yeux rougis par ces insidieux petits grains de sable et les cheveux collés par une sueur poussiéreuse. Ici, la montagne est sublime, d’une solennelle solitude. Difficile d’imaginer que derrière toute cette beauté se cache des projets de destruction et de contamination. Tout ce territoire est en prise avec des multinationales qui veulent exploiter des concessions minières. Lors des premières exploration, il a été découvert du zinc, de l’or, du cuivre. Assez pour aiguiser les appétits du monstre capitaliste. Une nouvelle fièvre de l’or et autres minéraux précieux est en train de voir le jour. L’Histoire bafouille, elle semble vouloir rejouer la sombre époque des conquistadors espagnols. Ceux d’aujourd’hui sont du côté du Nord, Canada essentiellement. Et le mauvais gouvernement se fait soudain amnésique.
Soudain, une camionnette pick-up surgit de nulle part et nous embarque. On est presque au bout du voyage mais bon, on ne compte plus les heures. Le temps s’est fait élastique. Immobile dans le soleil couchant. Deux poulains effrayés courent devant la voiture. La crinière au vent, les sommets qui rougeoient au loin, le pacifique qui scintille. C’est beau comme un calendrier de la Poste…
Au détour d’un virage, un homme avec un fusil. Militaire, para-militaire ? Petite frayeur. Non, juste un chasseur qui traque le chevreuil pour le repas de bienvenue à Marichuy. Heureusement, il est bredouille et on n’a pas à voyager avec le cadavre de l’animal.
Santa María Zapotitlán enfin ! Presque un bout du monde mais il se dit qu’il y a d’autres villages qui viennent derrière. Encore plus reculés… La nuit vient de tomber et pourtant, le village vit encore. Des gamins jouent au basket à la lueur d’un réverbère. Les hommes découpent une bête tuée la veille. Quelques jeunes filles papotent sous les étoiles. Les femmes s’affairent en cuisine et nous offrent un café de bienvenu. Toujours la même générosité et le cœur sur la main.
Le lendemain, tout le village est en effervescence. Deux bœufs ont été tués ainsi que trois chevreuils. Dans la cuisine collective, ça dissèque, ça tranche, ça coupe. Des filets de sang coulent au sol. Végétarien s’abstenir ! Dehors, la tête inerte du bœuf est découpée à la hache pour en faire du bouillon. Un gamin facétieux joue avec les cornes. Torero de fortune, il tourne et vire comme Manolete à ses heures de gloire. Il a le sourire immense d’un bonheur tout simple. Plus loin, les hommes s’activent. Ils creusent un trou qui pourrait s’apparenter à une tombe mais non, c’est pour la barbacoa. Au fond, ils posent des bûches puis les marmites de viande et le tout est recouvert de terre. La viande va mijoter toute la nuit. Deux gardiens se relaieront pour surveiller ce précieux trésor.
Dans la cour de l’école, les gamins répètent des danses traditionnelles. Un couple se trompe, on se moque gentiment puis ils repartent en rythme. D’autres gonflent des ballons ou posent les banderoles : « Maman, Papa, il faut continuer à lutter. La terre est mon meilleur héritage ». Et un percutant « La Mine tue ». Les femmes, elles, ne sortent plus de la cuisine. C’est l’effervescence. Digne d’un palace parisien, à l’heure de pointe.
Un brouhaha. Les discussions cessent. Marichuy est à l’entrée du village. Deux consejales de la région l’accompagnent, Reyna Cruz López et Simón Martínez Rodríguez. Une délégation part à sa rencontre. Une banderole portée par trois jeunes filles, intimidées, lui souhaite la bienvenue. Des fleurs, un abrazo. Un accueil simple et chaleureux comme seul sait le faire une communauté en lutte. Le terrain de basket s’est transformé, orné de fleurs blanches et vertes, qui se déroulent comme un soleil, symbole de la vie qui revient chaque jour. Des musiciens rythment l’attente. Puis vient le temps d’une démonstration de danses de l’Isthme au son de la chanson « Paulina ». La foule se fait de plus en plus nombreuse.
La venue de Marichuy est une nouvelle occasion de dénoncer les projets de mort amenés par les entreprises minières. Et les bénéfices à venir sont si alléchants que tout le pays est en train d’être vendu comme un vulgaire gâteau, au plus offrant. Selon Tequio Juridico, association civile, au 31 décembre 2012, le service géologique mexicain a enregistré un total de 26 071 concessions minières opérées par 285 entreprises et concernant 853 projets (1). Sur le territoire Chontal cela concerne 16 concessions.
Une terre où vivent et travaillent des paysans qui se consacrent essentiellement à l’agriculture d’auto-subsistance, la milpa. Des hommes et des femmes qui prennent soin de la Terre-Mère depuis des temps immémoriaux. Une terre tant nourricière que spirituelle où les montagnes, les rivières, les arbres, les animaux sont à aimer et à protéger. Des paysans combatifs qui ont crée l’assemblée du Peuple Chontal, lieu de rencontre et d’informations pour toutes les communautés impactées par les méga-projets de mines dans la région. D’autant plus aujourd’hui que la zone de Salina Cruz dont l’isthme de Tehuantepec est devenue une Zone Economique Spéciale (2). Ces zones ont été décrétées un mois après les terribles tremblements de terre de septembre 2017. Nous sommes bien en pleine stratégie du choc de Naomi Klein (3).
Les conséquences de l’implantation d’une mine peuvent être dramatiques tant sur le plan environnemental avec la déforestation, la contamination de l’air, des sols et des rivières, source de graves problèmes de santé que sur un plan social pouvant amener une fracture dans le tissu communautaire, créer des tensions au sein des familles, obliger à une migration forcée due à la perte de sa terre. Une autre préoccupation est l’arrivée des groupes armés pour « protéger » les intérêts des grandes entreprises et son corollaire bien connu : intimidations, assassinats, disparitions forcées de tous ceux qui osent s’opposer. Lors de cette journée, il a été rappelé que les entreprises minières, Minarum Gold et Salamera SA de CV, avec l’accord du gouvernement, se sont accaparés illégalement des territoires sans préalablement avoir consulté l’assemblée des six communautés concernées. Des méthodes dignes de voyous aux cols blancs.
Une gamine au ton exalté, déclame une poésie « No engañas a mi gente ». Un message à l’intention de ceux d’entre eux qui pourraient céder à la tentation de l’argent facile, pour signifier et ré-insister sur la fragilité de la Terre-Mère et que le moindre mal qui lui est fait, peut être irréversible. Ici, les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, tous sont concernés par la défense de leur terre. Unis dans le même désir de chasser les mines de leur paysage : « Fuera la mina ! ». Le message est clair et catégorique.
Les femmes prennent la parole, haut et fort « Nous, comme femmes Chontales nous ne voulons pas que la mine arrive sur nos terres, nous ne voulons pas que cesse l’eau pure et que la terre soit contaminée. Nous ne voulons pas que nos enfants souffrent de maladies et nous ne voulons pas non plus que meurent nos villages, ni notre identité indigène et notre organisation communautaire. Pour cela, nous disons NON A LA MINE et OUI A LA VIE pour toutes les femmes, filles, garçons jeunes et hommes de notre village et nous demandons à ce que nos droits soient respectés ».
Marichuy ne dira pas autre chose « Dans chaque village, je rencontre la même somme de douleurs et d’impunité. Une stratégie faite par ceux qui détiennent le pouvoir, l’argent et qui ont comme unique motivation de s’accaparer nos richesses ». En final, elle recevra un cadeau inestimable, un épi de mais cultivé dans cette terre. Aussi précieux, si ce n’est plus, qu’un collier de perles. Parce qu’il y a des évidences qu’il faut rappeler, l’argent ne se mange pas.
La solidarité, l’entraide, la lutte est une autre forme de nourriture qui alimente une communauté et lui permet de faire face. La musique aussi. Et c’est pourquoi, cette belle journée se terminera par un bal. Toutes les générations sont sur la piste et dansent. Une pause et on savoure la délicieuse barbacoa. Une file immense patiente sous le soleil, les sourires fusent de partout. La viande fond comme du beurre et les femmes nous regardent dévorer avec plaisir et lorsqu’on en redemande l’air gourmand, elles sont aux anges. Aussi fière qu’une Mamma italienne devant une assiette vidée en un tour de mains. Et si j’avais eu un tupperware, j’aurais même pu ramener des restes. C’est dire si elles avaient prévu large, les dames de la Chontal. Encore un vrai moment de partage comme le CIG et les communautés en lutte ont su le créer durant tous ce parcours à la rencontre des peuples originaires.
Reyna Cruz López, une des consejala, suit Marchuy dans tout l’État de Oaxaca. Elle est originaire de la région Chontal. Elle dégage toute la force de ses ancêtres, elle a le visage de la sagesse et une voix profonde qui nous ramènerait presque à l’origine du monde. Mais surtout, elle a le sourire qui illuminerait l’Humanité toute entière. Elle est heureuse d’être là, au service du CIG et pour sa communauté. Elle est belle comme le jour qui se lève. Pleine d’espoir et de puissance. Une des forces du CIG, c’est d’avoir révélé ces femmes et ces hommes qui œuvraient dans l’ombre de leur communauté et qui vont continuer ce travail de coordination entre les différentes communautés en lutte. Créer un pont entre tous les peuples originaires du Mexique. Un espace d’organisation pour détruire enfin ce monstre capitaliste. Reyna y croit de toutes ses forces et son entrain en est presque contagieux.
Marichuy n’a pas ménagé ses forces, elle est allée dans les zones oubliées du Nord au Sud. De l’Ouest à l’Est, déterminée à rendre visible la douleur indigène. Elle n’a pas dormi dans des palaces, elle n’a pas voyagé en première classe, elle a mangé à la même la table que les gens qui l’invitaient. Mais la tâche était immense et la fatalité a voulu qu’un malheureux coup du sort endeuille cette belle initiative. Un accident de la route, banal, dû à la fatigue ou à des mauvaises conditions de route aura coûté la vie à Eloísa Vega Castro, soutien de l’équipe du CIG de Basse-Californie. Marichuy en sortira avec un bras cassé mais avec un vrai traumatisme personnel. Une sortie de route presque symbolique…
Il y a quelques semaines, la mauvaise nouvelle est arrivée. On le pressentait déjà dans la Chontal mais malgré les efforts fournis, malgré la solide détermination de Marichuy, la mise en avant systématiquement des femmes indigènes du pays, le CIG n’a pas réussi son pari. 281 955 signatures ont été collectées sur les 861 000 requises. La clôture de l’INE était fixé au 19 février mais depuis ce jour, elle n’a fait aucune déclaration publique. Tout le monde attendait son discours à la rencontre internationale des femmes qui luttent, et même si elle était belle et bien présente, elle n’a pas prononcer le moindre mot. Le bras en écharpe, l’air fatigué. Discrète, presque trop…
Comme souvent chez les zapatistes, la première déclaration s’est fait sous forme de communiqué le 16 mars 2018 « Convocation au pas suivant de la lutte » (4). Quelques jours plus tard, ils ont annoncé un séminaire « Miradas, escuchas y palabras : ¿ Prohibido pensar ? » (5), du 15 au 25 avril. Patiemment, ils avancent leurs pions, bougent leurs lignes. La partie d’échec se poursuit, mais tout cela reste encore bien abstrait. Il n’y a peut-être que nous qui sommes impatients de connaître la suite. Eux, ils suivent leur propre rythme, très éloigné de notre tempo occidental ; « Avanzo, lento pero seguro ! ».
Autant pour eux que pour nous, la déception est grande mais ce bulletin électoral n’était qu’une manière d’être médiatisé et d’avoir un espace pour les luttes indigènes. Le système était vicié dès le début et il était risqué de prendre part au jeu. Pour autant, Marichuy sort la tête haute et avec les félicitations de l’INE pour sa probité. 95,03% des signatures obtenues ont été validées comme authentiques, ce qui n’est pas le cas de El Bronco et Ríos Piter, purs produits de l’oligarchie en place, qui se targuaient d’avoir le nombre requis de signatures. Mais ces signatures, au final, ont été invalidées car elles provenaient soient de personnes décédées, inexistantes ou de fausses cartes d’électeurs. Rien que ça ! Retour à la case départ. Pour ces deux fanfarons. Comme au Monopoly, ils pourraient aussi passer par la case prison mais il ne faut pas trop rêver quand même. Juste se réjouir de leur défaite. Mais la joie ne durera que le temps d’une bulle de savon. Margarita Zavala, femme de l’ex-président de Felipe Calderon, elle, a réussi à se présenter comme la seule candidate indépendante. Il serait mesquin de préciser que le 29 mars, date officielle du début de la campagne présidentielle, l’INE a invalidé 45% de ces signatures pour irrégularités, soit près de 578 000.
Les candidats officiels sont donc : Meade pour le PRI, Anaya pour le PAN et Lopez Obrador de MORENA. Le même paysage politique avec les mêmes partis depuis des lustres. La seule « nouveauté », la présence de Zavala. Une vaste blague non ? Et ces félicitation de l’INE ne sont que du mépris et une nouvelle preuve de la commisération pour le monde indigène.
Le Mexique est exsangue, plié par mille douleurs et même si les indigènes ont répondu largement présents, les villes n’ont pas vraiment rallier l’initiative. À Zaachila ou à Texcoco, les divisions internes, les guerres de chapelle et d’ego ont pris le dessus sur les intérêt communs. Une des forces du capitalisme, c’est d’inoculer la peur, de monter les uns contre les autres, d’acheter les plus faibles et d’assassiner les plus coriaces. Il était donc difficile pour le CIG de faire tomber ce mur. Malgré tout, il a su créer une brèche, les luttes contre les méga-projets de mort, les féminicides ont été dénoncés. Haut et fort. Sur la place publique. Maintenant, ils doivent inventer une nouvelle étape. Et l’imagination, c’est peut-être ce qu’il y a de plus fertile chez les zapatistes. À suivre donc…
Traba. San Juan de Nicaragua, 23 mars 2018
Et une chanson en bonus
https://www.youtube.com/watch?v=Y-Mlj8zqKLc&list=RDY-Mlj8zqKLc
(1)http://tequiojuridico.org/tequiojuridico/2016/04/reedicion-mineria-revisionFINAL7dic.pdf
(2) Aire délimitée géographiquement, avec des caractéristiques naturelles et logistiques pour se convertir en région productive avec de nombreux avantages fiscaux, douaniers et de circulation de marchandises.
(3) Revoir l’article de notre blog, « Séisme et coups bas »
https://delautrecoteducharco.wordpress.com/2017/12/13/seisme-et-coup-bas/
(4) https://www.congresonacionalindigena.org/2018/03/16/convocatoria-al-siguiente-paso-la-lucha/
« C’est beau comme un calendrier de la Poste », j’aime bien et c’est vrai!! Les images et photos sont souvent réussies. C’est d’ailleurs pour ça et d’autres raisons que je ne faillis jamais à son achat en début d’année.
Et tout le reste est beau, je m’imagine seulement les rencontres, les émois, et j’aurai bien aimé y être.
Bon séjour au Nica pour mettre en forme et en ligne tous vos écrits et photos.
Je vous embrasse