Au Mexique, il est une tradition des plus agréables. Toute personne qui vous reçoit se fait un devoir de vous faire sentir comme à la maison. Même le plus parfait inconnu. Le proverbe « Mi casa es tu casa » devient une réalité dans ce pays aux prodigalités reconnues. Cette petite série de textes, tout au long du voyage, essaiera de raconter un moment, une personne prise sur le vif. Avec comme unique envie de partager le hasard des rencontres. Saisir la beauté de l’instant. Puis repartir vers d’autres horizons. Toujours plus au Sud du monde.
Fête des morts avec Miguel et sa famille.
À Eloxochitán, les morts se sont donnés rendez-vous dès le 27 octobre. Déguisés avec un masque en bois ou en latex. Entourés de musiciens. Pour chanter la vie, la mort. Et trinquer aux retrouvailles. Toutes les nuits. Jusqu’au petit matin pâle. Sans discontinuer, et ce, jusqu’au 4 novembre, date où ils retourneront dans leur monde invisible.
Avec Miguel et sa famille, nous allons faire bien plus que faire le tour des autels dédiés aux morts, nous allons partager un bout de cette tradition ancestrale. Cette mort qui fait si peur en Europe va nous prendre par le bras et nous obliger à l’honorer. Sans larme et sans tristesse. En dansant. En chantant. En buvant. Et ces morts que l’on ne connaissait pas avant de débarquer dans ce petit village perdu, vont désormais faire partie de notre petit panthéon intérieur. Et peut-être même que quelque chose, aussi infime soit-il, aura changé dans notre manière d’appréhender la mort. « Asi es » comme dirait les Mexicains…
L’autel du souvenir
Le 1er et le 2 novembre, c’est l’apogée de la fête des morts. Mais les morts impatients viennent bien avant. Ou bien peut-être que c’est les familles qui n’en peuvent plus de l’absence.
Pendant, cette semaine, chacun dans sa maison s’affaire à la construction d’un autel. Un arc de bambou posé sur une table. Des feuilles de bananiers tout autour. Les fleurs de saisons, les cempasúchils, toutes empourprées d’orange donnent une note gaie. Posés de ci de là, de l’encens et du copal qui symbolisent le passage de la vie à la mort. Le papier picado, papier coloré et découpé dont les trous forment des motifs, illumine l’ensemble. Sur la table, une quantité de petites choses au milieu de laquelle trône un portait du défunt qui souvent se dispute la place avec la vierge de la Guadalupe. Postées comme des vigies, des dizaines de bougies, ont la mission d’éclairer la route du revenant. Sur le côté, un verre d’eau pour que le mort, après son long voyage dans les ténèbres puisse étancher sa soif. Qu’il ne doit pas confondre avec le verre d’aguardiente ou mescal qui est là pour trinquer à son retour! Il y a aussi tous les aliments que le mort aimait bien dans sa vie charnelle. Des fruits, du poulet au mole, des tamales, de la bière, des chips, des gâteaux, des sodas, des cigarettes. Des petites attentions pour honorer le mort qui nous a tant manqué le reste de l’année. Pour le remercier de revenir d’entre la terre.
Dans la famille de Miguel, l’autel est dédié à la grand-mère. C’est les femmes du clan qui s’en occupe. La jeune sœur coupe des bambous, les plie pour en faire un arc. Un savoir-faire ancestral qui semble comme une évidence. La mère, elle arrache des feuilles de bananiers et recouvre l’arc en bois. Puis chacun est embauché pour faire des petits bouquets de fleurs séchées. Oranges, violettes se complètent avec le jaune des bananes. Les bougies allument le visage de la vieille femme. On pourrait presque imaginer qu’elle sourit face à toute cette agitation. Et par moment, en posant un détail sur la table, on se surprend à guetter son assentiment. Un signal et elle viendra nous rejoindre dans la ronde. Pour une semaine. Les musiciens peuvent entrer. La fête va commencer. Bailando la vida. Y que viva la muerte !!!
Des morts bien vivants
Un autre rituel important est la visite au panthéon, le cimetière pour les Mexicains. Un jour sans soleil, une camionnette avec un plateau à l’arrière vient chercher toute la famille. Direction Santa-Ana où est enterrée la grand-mère paternelle de Miguel. Au sol du véhicule, une couronne de cempasúchils. La route n’est qu’une piste caillouteuse. Sinueuse. Au cœur de la Sierra Madre. La voiture trace sa route, crache, semble ne jamais vouloir monter. Soudain, la brume nous encercle. On ne se devine plus les uns des autres. La voiture s’arrête après un dernier virage. Au milieu de nulle part. Des croix de bois émergent. Des fleurs oranges. Du papier picado de toutes les couleurs transpercent la brume. Des mouvements. Furtifs, presque glissés. On ne sait pas si c’est les vivants ou bien les morts qui nous attendent. La famille s’affaire. Parle. Pose les fleurs, arrange la tombe. Puis, départ à la petite maison de la grand-mère au milieu des maïs, une simple hutte d’adobe. La mère ouvre la porte et au centre de la pièce vide un autel, les bougies éclairent un beau visage d’indienne. La mère me demande de m’approcher et me présente. Je me dandine. Je ne sais trop quoi faire. Quoi dire. Me signer. Faire un signe de tête. Finalement, je dis un simple « Hola » comme si je venais de la rencontrer. Je me sens tout engoncée de moi… La mère me raconte la vie de sa belle-mère tout en déposant des offrandes, lui parle comme si elle était avec nous. L’air est chargé d’émotion mais peut-être que c’est moi qui suis triste. Parce qu’on m’a appris que chez nous la mort c’est d’abord la tristesse. Parce que je n’ai pas encore réussi à me débarrasser de cette satanée tradition judéo-chrétienne. Je sors précipitamment. Pour chercher de l’air. Pour ne pas pleurer. La nuit m’enveloppe comme un doux châle. Je crache toutes mes croyances. Et lorsqu’un cavalier traverse la brume, j’ai bien envie de croire que c’est un revenant qui vient à notre rencontre. Je lui souris. Il me salue d’un geste avec son chapeau et se dissout dans l’obscurité. Je ne suis même plus sûre de l’avoir vu. Mirage ou réalité ? Qu’importe. Je suis prête pour danser avec la mort. Toute la nuit.
Au contact de Miguel et de sa famille, nous avons partagé beaucoup plus qu’un simple fête. Nous avons mangé avec eux, partager un peu de leur vie quotidienne. Bien sûr, l’absence du père était une évidence. Il était sûrement mort. De toute façon, c’est le genre de question qui ne se pose pas quand on ne connaît pas les gens. C’est sûrement pour cette raison que Martin, le frère aîné avait repris la petite boucherie familiale. D’ailleurs, un jour à cinq heures du matin, nous avons été réveillés par le cri du cochon qu’on égorge. Et le soir même nous buvions avec Miguel et Mariana, son amie, une bière dans la salle dédiée à la vente de la viande. Au-dessus, de nous, une tête de cochon encore fraîche semblait vouloir trinquer avec nous. Mais j’avais l’impression qu’il n’y avait que moi qui trouvée cela un peu surréaliste.
Un jour, face au mur de leur maison, un pochoir ; « Libertad. Pedro Perralta ». Sans conséquence, je demande qui est ce type. Mariana me répond que c’est le père de Miguel. Par la suite, ils nous raconterons une sale histoire, comme il s’en passe des centaines au Mexique. Pedro Peralta Carillo, 65 ans, est incarcéré depuis deux ans. Pour avoir demandé la révocation du maire, Manuel Zepeda Cortes, il fut pris dans un traquenard et embarqué par la police sous prétexte qu’il avait une arme. C’est la police, elle-même qui déposa l’arme sur lui. Il fut torturé. Presque laissé pour mort. Et depuis, sa situation judiciaire n’avance pas. La justice semble ne semble pas faire grand cas d’un prisonnier politique de plus.Une famille meurtrie par l’injustice. Qui ne laisse rien paraître. Qui ne se plaint pas de son sort, mais qui bataille avec acharnement pour le faire sortir de prison. Une lutte fatigante, parfois désespérante dans ce pays où l’on bafoue allégrement les droits des prisonniers. Une famille qui vous reçoit le cœur ouvert et leur maison devient votre maison. Mi casa es tu casa. Plus qu’une réalité. Un véritable cadeau d’humanité.
Une vidéo, en espagnol, pour mieux comprendre la situation du père de Miguel :
Puerto escondido, 28 novembre 2014
Mi casa tambien
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