Samir Flores vive! VIVE !!

             Au Mexique, les peuples originaires n’acceptent plus de vivre comme des chiens. Déterminés à résister, à lutter contre tous ces méga-projets de mort que leur concocte le mauvais gouvernement. S’exposer non pas pour soi mais pour sa communauté, pour une vie décente avec la volonté absolue de préserver la terre qui les a vu naître. Une Terre Mère qu’ils sont prêt à défendre à tout prix. Samir Flores Soberanes en est un exemple des plus frappant. Le 20 février 2019, il est assassiné de plusieurs balles. Depuis, un an, son visage émacié, sa fine moustache s’affichent dans tous les lieux de résistance. Pour rappeler que la lutte continue. Malgré les hommes qui tombent…

             Samir vivait à Amilcingo dans l’état de Morelos. Pas très loin du volcan, Popocatépetl, actif et bienveillant, à l’image du jeune activiste. C’est ici qu’il a fourbi ses premières armes. En fidèle héritier de son oncle, Vinh Flores Laureano, personnage respecté d’Amilcingo qui y créa une école normale rurale. Indéniablement, dans le sang de Samir Flores Soberanes coule le refus de toutes les injustices, un sens innée pour la rébellion !
En 2011, les premières rumeurs, annonçant la construction d’une centrale thermo-électrique à Huexca, se font entendre. Ce projet a pour nom Proyecto Integral Moralos -PIM (1). Une des aberrations du projet est bien évidemment de mettre un gazoduc au pied d’un volcan actif. D’ailleurs, les centres de Géophysique de l’UNAM et celui  pour la prévention des catastrophes régionales de la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla ont mis en garde contre le risque d’une telle infrastructure dans une zone volcanique. Aussitôt informés des dommages que cela va causer à l’environnement, Samir entre dans l’opposition et essaie d’informer au maximum autour de lui. Il installe un haut-parleur sur sa voiture et part donner de la voix de villages en villages. Au début, beaucoup le prenaient pour un fou. Mais cela lui importait peu, il continue coûte que coûte. En 2013, Samir crée la « Radio Comunitaria Amiltzingo », sur la fréquence 100.7. Un lien essentiel pour le village et ses alentours. Pour exemple, au moment du séisme de 2017, la radio sera un pilier de l’organisation pour tous les sinistrés de l’état de Morelos. Une vraie onde de solidarité.
Samir entre de plein cœur dans la lutte. Toute son âme est dédiée à empêcher ce projet. Sans s’imposer, il devient un leader naturel, et participe au Front des Peuples en Défense de la Terre et de l’Eau (FPDTA) de Morelos, Puebla et Tlaxcala, et du Congrès National Indigène (CNI). Selon le FPDTA, plus de 90 % des 80 villages des trois États qui seront touchés par le PIM sont d’origine Nahua. Ainsi, non seulement la vie paysanne est touchée, mais aussi la culture indigène, la vie par les us et coutumes tels que les assemblées communautaires et les ejidos. Le risque étant bien évidemment la division dans les communautés. Samir emploiera un mot difficilement traduisible « descampezinar » mais qui signifie une menace pour les petits paysans, voués à devenir de la main d’œuvre bon marché. Pour autant, la lutte prend forme et le 28 août 2016, sur les rives de la rivière de Cuautla est installé el Campamento Zapatista en Defensa del Agua del Río Cuautla. Un campement pour empêcher que les tuyaux traversent la rivière et soient connectées à la thermo-électrique.

             Le 10 février 2019, à Cuautla, le président Andrés Manuel López Obrador annonce la tenue d’une consultation pour mettre en service la centrale. Samir, publiquement, réfute cette pseudo-consultation qui n’est, selon lui qu’un jeu de dupes, qui ne respecte absolument pas les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Agacé, le président déclare que la consultation aurait bien lieu et que ce n’est pas quelques « radicaux de gauche » qui allait empêcher ce grand projet énergétique. Samir devient un peu trop gênant au vu des intérêts qui sont en jeu. Et au Mexique, les financiers n’aiment pas beaucoup qu’on leur mette des bâtons dans les roues. Samir se sait au centre de toutes les mauvaises attentions, pour autant, il poursuit sa quête de vérité.
La veille de sa mort, il participait à une réunion organisée par le délégué du gouvernement de Morelos, Hugo Erik Flores où il a traqué les mensonges et contre-vérités de ce projet imposé de toutes parts. Samir hausse de nouveau la voix, s’expose un fois de plus. La fois de trop apparemment…
Le 20 février, au petit matin, des hommes dans une Nissan noire interpellent la mère de Samir sous le fallacieux prétexte de faire passer une annonce à la radio. Elle va le prévenir sans savoir qu’elle vient de parler aux assassins de son fils. Samir sort rapidement. Il sera abattu de deux balles dans la tête. Il s’écroule dans sa propre cour. Il décédera sur le chemin de l’hôpital. Samir n’avait pas encore 37 ans. Il était marié à Liliana Vázquez et père de quatre enfants de 3 à 15 ans. La nouvelle de sa mort va se propager comme une onde de déflagration de Morelos au Chiapas en passant par le monde entier. Samir est le premier activiste environnemental assassiné sous le mandat du supposé président de gauche.
Dans un communiqué du 21 février 2019, le CNI déclarera « Cet assassinat est le résultat de l’absence de volonté de ce gouvernement et des précédents, de résoudre par la voie du dialogue le conflit généré par cet irréalisable Projet Intégral Morelos, le résultat aussi du diktat du capital sur les peuples, de la justice qui n’existe pas pour les peuples originaires affectés, des sentences et des recommandations de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) qui arrivent trop tard et ne sont pas appliquées ».

             Un an après ce crime, aucune piste d’investigation digne de ce nom n’a été présentée. Ses proches ont demandé que l’enquête ne soit pas pris en charge par la parquet local car pour eux, il est évident que la mort de Samir est lié au contexte politique de la région. Ils exigent que le parquet fédéral reprenne le dossier. Et pour maintenir la pression et exiger la vérité, le CNI et l’EZLN convoquent des journées « Samir Flores, somos todxs » le 20, 21 et 22 février 2020. Des journées pour démontrer que les peuples n’oublient pas, que la colère et la dignité sont toujours aussi présentes dans les cœurs de ceux et celles qui résistent.
Tout a commencé le 20 février avec des actions disloquées dans 20 états du pays et dans 7 pays différents, en plus d’une émouvante cérémonie hommage à Amilcingo où était présente la famille et les proches de Samir.
Le 21 février, une marche réunissant plus de 7000 personnes a eut lieu à Ciudad Mexico. À la fin de la journée, les habitants d’Amilcingo ont installé sur le zócalo, un anti-monument représentant le buste de Samir. Posé face au palais national, comme un défi permanent au gouvernent, une injonction à chercher les coupables de sa mort. Pour que l’oubli ne fasse plus son sale travail…
Le dernier jour, à Amilcingo, s’est tenue une assemblée nationale et internationale, dans l’école primaire qui porte aujourd’hui le nom de Samir flores, à laquelle ont participé environ 700 personnes, du Kurdistan au Chiapas, de Tamaulipas à Mexico. Les personnes présentes ont pris la parole et se sont mises d’accord sur des actions futures pour continuer à unir leurs forces et à construire la résistance. Et ce jour-là, Samir était plus vivant que jamais !!!

              L’assassinat de Samir Flores n’est que le miroir tragique de tout ce qui se passe au Mexique. Parler, honorer sa mémoire, c’est aussi parler et honorer celle des activistes environnementaux qui continuent de mourir. Comme Raul Hernandez ou Homero Gomez, tués à deux semaines d’intervalles en février 2020. Tous deux défendaient le sanctuaire du fragile papillon monarque contre la déforestation et les intérêts des cartels. Et je repense alors à ce vieux slogan de manif « Nos vies valent plus que leurs profits ». Au Mexique, encore aujourd’hui, cela est exactement le contraire…

Confinée, mars 2020

 

(1) Le PIM consiste en deux centrales thermoélectriques situées dans la communauté de Huexca, Morelos, qui ont été attribuées à la société espagnole ABENGOA ; un gazoduc d’environ 160 kilomètres de long qui entend transporter 9 milliards de litres de gaz naturel par jour. Ce gazoduc a été concédé aux entreprises espagnoles ELECNOR et ANAGAS et à l’entreprise italienne BONATTI ; une ligne électrique de 20 km de long jusqu’à la sous-station de Yautepec et un aqueduc avec une longueur de 12 km devrait transporter environ 560 litres d’eau par seconde pour refroidir les turbines de deux centrales thermoélectriques

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