Du 21 décembre 2014 au 3 janvier 2015 s’est tenu au Mexique, le premier festival mondial des résistances et des rebellions anticapitalistes organisé par l’EZLN ( Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional ) et le CNI ( Congreso Nacional Indigena). Cinq rendez-vous dans quatre états du pays (qui en comporte sept): Xochicuautla (état de Mexico), Amilcingo (état de Morelos), Mexico Districto Federal (la capitale du pays), Monclova (état de Campeche), Oventik et San Cristobal de las Casas (état du Chiapas). Ces rencontres ont pour objectif de faire un inventaire à la Prévert de toutes les luttes contre les méga-projets capitalistes (la plupart issues de multinationales occidentales) et d’inventer de nouvelles formes d’organisations et de solidarité ici et ailleurs. Un véritable défi en quinze jours.
Xochicuautla, en terre Otomi, à presque trois mille mètres d’altitude. Une immense tente orange plantée au milieu d’un champ. Tout autour des montagnes arborées. Partout, des jeunes sacs sur le dos. Des femmes au piercing sur les lèvres. Des vieux à barbe blanche et casquette à étoile rouge. Des hommes tatoués des pieds à la tête. Des étudiants par centaine. Tous les âges, tous les styles, toutes les nationalités. Plus de quarante-deux pays représentés. Le monde entier à rendez-vous avec les zapatistes.
À la table d’accueil, lors de l’enregistrement, on nous remet un badge, un « gafete ». Chaque personne pourra alors se promener, son gafete autour du cou informant de son identité, son pays, son collectif. Un sésame à surtout ne pas perdre…
Au centre de la tente, une immense banderole écrite en rouge et noir sur fond blanc : « Primero festival mundial de las resistencias y de las rebeldias contra el capitalismo ». Sur la gauche, une étoile rouge EZLN et une simple phrase qui résume le pourquoi nous sommes tous réunis dans cette petite ville mexicaine : « Donde los de arriba destruyen, los de abajo reconstruimos ». Devant la scène quarante-trois chaises vides. Juste pour rappeler qu’il manque les étudiants disparus à Iguala.
Une clameur se fait entendre. Les invités d’honneur arrivent. Il s’agit d’une délégation de parents des quarante-trois étudiants d’Ayotzinapa. L’EZLN a décidé de céder sa place en affirmant « Su dolor es nuestro dolor, su rabia es nuetra rabia ». Les zapatistes seront présents mais visage découvert autant dire que personne ne saura qui est qui.
La mère de Julio César Nava Ramirez, tué lors du premier assaut du 26 septembre, porte dignement son chagrin. Elle exige avec force la présentation en vie des camarades de son fils. Elle trébuche sur les initiales EZLN. Simple paysanne, c’est une organisation qu’elle ne connaissait pas avant que son fils soit au centre de toute cette horreur. Avec la mort de José, elle apprend les luttes du Mexique, elle reçoit une solidarité dont elle ne soupçonnait même pas l’existence. La foule crie « No estan solos ». L’émotion est palpable. La rage aussi.
La cérémonie d’inauguration commence, mélange de prières catholiques et de rites pré-hispanique, un syncrétisme étonnant. Des femmes portent du copal et de l’encens pour honorer le 21 décembre, date importante dans le cycle agricole. C’est la fin d’une saison, le début d’une nouvelle.
Un représentant de Xochicuautla vient sur scène. Ils sont en lutte depuis 2007 contre la construction d’une autoroute entre le DF et Toluca, zone privilégiée par les gens de la capitale pour passer un dimanche à la campagne. Une autoroute synonyme de destruction de terres, de pollution et d’expropriation. Toute la communauté est entrée en résistance ce qui a entraîné de multiples arrestations arbitraires. Un représentant d’une communauté indigène prend la parole : . Un bon résumé de la folie capitaliste.
Puis viennent « les comparticiones », moment de partage d’expériences des luttes. Chaque collectif, chaque communauté peut venir au micro et raconter sa résistance. Un homme prend la parole et parle de la répression systématique de la force publique contre tout militant sociaux. Des morts, des disparus par dizaines, des condamnations sans fondement, des prisonniers politiques dans les prisons de haute sécurité. Les droits de l’Homme n’existent qu’en théorie. Ici, la réalité est bien plus sanglante.
Un représentant d’une communauté indigène prend la parole : « Nous souffrons de quatre maladies, l’ignorance du danger que coure la Terre Mère, l’apathie qui empêche de lutter, la peur qui crée l’immobilisme, l’avarice de ceux prêt à tout pour gagner plus ». Un bon résumé de la folie capitaliste.
Amicinlgo. Une caravane de quatre bus débarquent dans le petit village. C’est la nuit, les groupes descendent les yeux pleins de sommeil. Leur sac sur le dos, ils se dirigent vers le centre. Face à nous, un petit groupe nous accueille en chantant « Zapata Vive ». Aussitôt, nous répondons « La lucha sigue ». De partout, les villageois sortent pour nous accueillir. Le village est en fête. C’est un peu magique de marcher dans ces rues, de croiser les silhouettes, d’entendre les murmures et de deviner les sourires des gens
L’organisation est sans faille. On s’enregistre, on nous attribue un lieu pour dormir. On nous distribue un café et un pain sucré pendant que les danseurs « Chinelos » nous souhaitent la bienvenue. On part se coucher dans une maison en construction. On déplie nos duvets sur le sol. La nuit sera courte.
Sept heures, réveil en musique. Sous la bâche tendue, des centaines de sièges. On patiente. Les parents arrivent. Une haie d’honneur se crée spontanément. Ils sont vraiment au centre de l’attention. Amilcingo est d’autant plus sensible que José Luis Luna Torres, vingt ans, est originaire de ce village. La mère de Julio César, les yeux cernés, semble fatiguée mais dès qu’elle monte sur scène, elle retrouve l’éclat de son sourire. Sûrement que cette solidarité et tout l’amour qui leur est adressé les aident à soulager leur impossible douleur.
Au sol, une vingtaine de croix pour commémorer le massacre d’Acteal, le 22 décembre 1997. Quarante-cinq morts innocents. Des coupables qui viennent juste d’être libérés. Un sentiment d’impunité et d’horreur lie à jamais Acteal et Ayotzinapa.
Plusieurs collectifs français ont fait le déplacement. On croisera ceux de la ZAD de notre-Dame des Landes, de LongoMaï de Forcalquier, ceux du plateau des Milles Vaches englobant le village de Tarnac, la Fédération Anarchiste, SUD éducation, le Comité de Solidarité aux Peuples du Chiapas en Lutte de Paris et pleins d’autres venus à titre individuel. Les échanges avec les luttes locales sont riches et porteurs d’espoir pour un monde plus humain.
À Amilcingo, les habitants sont en résistance contre un projet de gazoduc, qui fait partie d’un plan plus global appelé Projet Intégral Morelos (PIM). Un projet synonyme d’expropriation et contamination des sols. Un écocide qui ne dit pas son nom. Un représentant de la commune s’avance, il porte un beau sombrero blanc et parle avec force et amour de la terre. Il affirme que la terre n’est pas à vendre, ce n’est ni un commerce ni une marchandise : « La tierra no se vende. Se ama y se defiende ». Il veut juste travailler et laisser un bout de terre à ses enfants. Rien de plus. Rien de moins. Il parle de dignité. Sa voix est forte et déterminée. Il se dit prêt à la lutte, le village est derrière lui. Prêt à défendre ses us et coutumes face aux multinationales les plus vénales. L’avertissement est lancé. À bon entendeur, salut !
À Amilcingo, tout le village vit au rythme des rencontres. Les cuisinières préparent du café, du thé, du riz, des frijoles dans la bonne humeur. Et incroyable, le dernier jour, on aura même droit à un poulet au mole, pour plus de trois cent personnes ! Le poste de santé reçoit les dizaines de personnes malades. D’autres s’occupent des toilettes sèches, d’autres de la sécurité. La radio Amalcinko, crée seulement en 2013, accueille tous ceux qui veulent la rencontrer. Tous les habitants sont aux petits soins pour que tout se passe au mieux.
À la fin des deux jours de rencontre, tout le monde monte sur scène. Un bal spontané se prépare. Les femmes de la cuisine balancent des cotillons en riant. On s’embrasse. On danse. On fait une ronde et tout le monde se prend la main. Le village est en fête. On part à regret en se disant que nous avons été reçus comme des rois. A posteriori, on pourra-même dire que ce fut la meilleur expérience de cette caravane.
Direction la capitale, Mexico DF. Festival culturel pour faire une pause dans les débats. Il pleut. L’ambiance est un peu triste. Les gens déambulent dans les stands. Ils achètent t-shirt, poster à l’effigie des zapatistes. Un peu marché de noël quand même… Dans un coin, des documentaires passent. Le toit troué laisse passer la pluie. Derrière, sur la scène d’à-côté, des rappeuses énervées couvrent le son des dialogues. Ce n’est pas le meilleur endroit pour voir un film. Le lendemain, le soleil revient. L’air est à la fête. Lutter, c’est aussi danser. Pour nous, l’étape Mexico DF sera une parenthèse dans ce marathon anti-capitaliste.
Le lendemain, une caravane de huit bus se prépare. Départ pour Monclova prévu vers huit heures du matin. À plus de mille kilomètre de là ! L’enregistrement tarde. On part vers midi. Seulement quatre heures de retard, ce n’est rien ici ! En cours de route, on apprendra que le bus numéro sept est en panne et que le numéro six doit l’attendre. Le trajet s’éternise. On se perd un peu. On se fait parfois escorter par la police fédérale pour notre sécurité ce qui ne nous rassure pas vraiment en fait. On fait de longues pauses sur des aires d’autoroutes insignifiantes. La queue pour les toilettes est aussi longue que les heures de bus que l’on a dans les pattes. Les rayons chips et sodas sont dévalisés. Sans commentaire…
Le petit jour pointe nez mort de rire, toujours coincé dans notre bus. Un huis-clos de plus en plus éprouvant. Finalement, l’aventure se termine vers neuf heures du matin. Plus de vingt heures de bus pour les premiers. Les autres n’arrivent que le soir vers vingt et une heures. Exténués mais vivants ! Les chauffeurs sont au bout du rouleau. Heureusement, ils gardent le sourire.
Dans une jolie clairière, une centaine de chaises nous attendent. Des banderoles accrochées dans les arbres balancent leur slogan. À Monclova, la communauté à lancé dès 2006, une offensive contre l’augmentation des tarifs d’électricité en créant un mouvement de résistance civil pour le non-paiement de l’électricité. Après les remerciements d’usages des représentants de Monclova, les parents arrivent sous les applaudissements. Ils sont toujours aussi émus de l’accueil qu’on leur réserve. Soudain, la pluie sème la panique. On se précipite sous le préau. On patauge dans la boue. Les moustiques deviennent féroces. Une ambiance de fin du monde se fait sentir. Finalement, on trouve refuge dans le cirque ambulant. Les présentations se poursuivent rythmées par la pluie tropicale. Personne n’a envie de mettre le nez dehors. Une ambiance studieuse se fait. La solidarité affleure dans tous les messages. Tout l’après-midi, la présentation des luttes se poursuit. Contre l’expulsion des terres. Contre des méga-projets inutiles (aéroport, parc éolien, complexe hôtelier, golf). Contre l’hypocrisie de l’écotourisme. Contre les déplacements forcés. Contre les violences policières. Contre tous ces projets de mort.
L’autre coté du monde monte sur scène. Lui aussi, il a ses résistances. Il n’est pas seulement celui des conquistadors modernes, des dominants sans pitié. Des jeunes de Norvège, des femmes de France, d’autres visages de Grèce, d’Italie, d’Espagne. Le soutien aux zapatistes devient concret. Il a une voix, un corps, un sourire. Le partage des expériences alimente la solidarité, donne envie de s’organiser tous ensemble et de vivre dans un monde où tous les mondes sont possibles.
Après deux jours sous les tropiques, on part pour San Cristobal de las Casas à plus de deux mille mètres d’altitude. Le contraste va être terrible. Nos corps sont en perpétuel changement. Beaucoup ne résisteront pas…
Le réveillon du nouvel an se passe dans le caracol d’Oventic. Tout le monde nous prédit un froid terrible et une petite brume perfide. Rien de tout cela. La soirée sera très supportable. On est accueilli par des zapatistes en passe-montagne. Des milliers de cagoules noires. Rien que des yeux. On a envie d’imaginer les sourires derrière. Pour les zapatistes, le premier janvier, c’est avant tout le vingt et unième anniversaire de l’insurrection qui fit connaître le Chiapas au monde entier.
En descendant vers la grande scène, on croise des stands d’artisanat fait par les femmes zapatistes, des vendeurs de t-shirts. D’autres stands pour boire un café, un thé. Ici, c’est la loi sèche. Pas d’alcool. Original pour un réveillon non ?
Sur scène, un accordéoniste, en passe-montagne, essaie de faire danser la foule. Derrière lui, un drapeau noir frappé d’un EZLN rouge vif. Plus tard, le sous-commandement Moïse fait un discours fleuve. Il conclue humblement: « Il n’y a pas une seule réponse, une conclusion unique. Pas un seul manuel. Ni un seul dogme. Il y a plusieurs réponses, plusieurs manières, différentes formes de lutter. Et celui qui voit ses résultats, apprend de sa propre lutte et d’autres luttes. Chacun avec sa douleur, sa lutte, son espérance, son cœur digne. Nous savons que l’ennemi est commun et qu’il se nomme capitalisme; Tous les gouvernements et les partis politiques ne sont que les marionnettes des maîtres du capital « ».
Derrière les familles des disparus patientent. Au milieu de son discours, Moïse s’arrête et va faire un abrazo à chacun des parents des quarante-trois disparus. À sa suite, plus d’une trentaine de zapatiste montent sur scène, sûrement la junta d’Oventic et serrent chaque parent dans ses bras. Certains pleurent. D’autres lèvent le poing. Et lorsque les quarante-trois prénoms sont scandés un par un plus ceux des trois assassinés, la foule répond « PRESENTE», l’émotion est à son comble. Pas une personne dans la foule qui renifle ou qui essuie furtivement, une larme.
Un groupe de musique revient et le gars au clavier s’envole. Des couples de zapatistes dansent. Les européens sont de leur côté. Puis soudain, tout le monde se mélange. Un petit blond tout sourire fait danser une jeune zapatiste à la robe rose virevoltante. Les yeux se croisent et se sourient. Pas de race, pas de pays. Juste un couple qui danse sous les étoiles du Chiapas.
La nuit s’avance, tout le monde se trémousse. Pour oublier la petite brume persistante qui vient de pointer son nez. C’est minuit. On se saute dans les bras. On se fait des bises. C’est amusant d’embrasser une cagoule ! Dans un coin, les parents des quarante-trois disparus s’embrassent Pas besoin d’être devin. On sait pertinemment ce qu’ils se souhaitent…
Sans vraiment réfléchir, je m’approche de leur groupe et je serre chacun d’entre eux. On échange pas un seul mot. Seuls les corps se parlent. On est les yeux dans les yeux. Le cœur en résonance. En larmes. Eux vibrants d’espoir dans cette nouvelle année qui vient. J’aurais tellement envie d’y croire aussi fort qu’eux…
Les rencontres se poursuivent au CIDECI, l’université de la Terre du Chiapas. On nous avait présenté cela comme les conclusions mais finalement, ce sera encore un inventaire des luttes sur le même modèle que les jours précédents. Un peu ennuyeux pour ceux qui venaient de faire le circuit dans sa totalité. La frustration est d’autant plus grande que les présentations n’ont jamais été suivies de questions ou d’échanges. Tout s’est joué dans l’informel entre petit groupe en fonction de l’intérêt qu’on avait pour telle ou telle lutte.
Au final, les conclusions n’ont pas été transcendantes. Le seul point d’émotion, c’est encore les parents qui nous l’ont donné. Avant de quitter définitivement le festival, la mère de José prend la parole et remercie le CNI et l’EZLN. Après plus de dix jours, elle ne trébuche plus sur les initiales. Elle ne murmure plus, sa voix est forte, résolue. Elle a appris à les connaître et à mesurer l’ampleur du soutien d’une telle organisation. Elle irradie de rage et d’émotion. Il est l’heure de se séparer. Ils sortent de scène. On a tous le cœur serré en imaginant leur désarroi en retrouvant leur maison vide. Après tout ce plein que vont-ils faire face à l’absence ? Repartir. Combattre. Chercher la vérité. Sans peur et sans relâche ? Il n’y a aucun doute.On peut leur faire confiance.
Que dire sur les conclusions ? Toute cette rencontre a permis de montrer un réel intérêt à partager sa lutte, à se connaître, à recenser ses outils contre la répression. Des centaines de propositions ont fusé. Elles ne demandent qu’à maturer pour devenir réalité dans les années qui viennent. Rien n’est imposé, tout est à construire.
De toutes ces idées, une retient notre attention à savoir organiser collectivement, une tournée des parents en Europe pour faire entendre leurs voix. Pour témoigner de ce qu’ils ont vécu et pointer du doigt le responsable, l’état Mexicain. Une mise en lumière qui peut faire bouger les lignes.
Peut-être pour faire un résumé rapide, nous pouvons trouver un dénominateur à toutes ces luttes à savoir la répression d’un état tout-puissant, avec son bras armé la police, qui nie la moindre opposition, qui criminalise toute tentative d’action sociale. Un terrorisme d’état qui tue ici et là-bas. Une résistance qui n’a peur de rien. Ici et là-bas.
Un festival pour ne pas oublier Rémi Fraisse, Julio César Mondragadon et tous ceux qui tombent sous les coups d’une police de plus en plus hors contrôle.
Boca del Cielo/La realidad, Chiapas, 24 janvier 2015
De bons textes à lire en complément de cet article sur
http://www.lavoiedujaguar.net/
Vous êtes passés à Boca del Cielo ! il y a toujours les petits restos ? Bonne continuation et LA LUCHA SIGUE