Au Mexique, il y a plusieurs façons de voyager, de se déplacer. Une des plus simples consiste de prendre un bus pour aller d’un point A à un point B. Facile mais sans réel intérêt, si ce n’est la certitude d’arriver à bon port, à une heure décente. Une autre est « transbordarse », se transborder, aller de bord en bord. Pour les pressés, les empêcheurs de rêver en rond, ce n’est même pas la peine. Pour les autres, c’est le Mexique qui s’offre dans toute sa lenteur, dans toute sa splendeur.
Marichuy et le CIG avaient promis de parcourir tout le pays, d’aller dans les zones les plus isolées pour écouter et ramener les douleurs du peuple d’en bas. Elle n’a pas menti. La région Chontal, dans l’État de Oaxaca en est la preuve vivante. Un monde rude entre montagne et Pacifique. Un monde indigène qui attend avec ferveur l’arrivée d’une femme qui leur ressemble. Pour dénoncer encore et toujours ces projets de mines mortifères qui gangrènent le pays.
Auteur : Traba , Patxi Beltzaiz
Conciencia por la Humanidad. Ciencia frente al muro
Participer à une rencontre autour des sciences dures, écouter en espagnol des conférences sur l’agro-écologie, l’astronomie, la génétique, et autres thèmes obscurs. Qui l’aurait cru ? Moi, qui sais à peine résoudre une équation et qui m’endors à la première explication sur la physique quantique. Non, mais vraiment les zapatistes me font tout faire…
Et voilà que je me retrouve à la seconde rencontre internationale « Conciencia por la Humanidad. Las ciencias frente al muro » proposée par l’EZLN. J’avoue que ma sensibilité me poussait plus vers un Comparte, un échange autour des Arts mais c’était l’été dernier et j’étais à plus de dix mille kilomètres de là ! Et donc, j’ai droit à un repêchage, pas de chance, c’est les sciences… Mais bon, il faut savoir aller aussi vers les choses qui vous répugnent pour en apprendre quelque chose. On verra bien. Peut-être que j’en sortirai plus intelligente!
San Cristobal de las Casas. Un marché aux mille facettes
Adieu paure carnavàs
Le Chiapas, terre de contraste où la beauté côtoie l’horreur, où l’espoir fraye avec le plus indécent des désespoirs. Ici, tout y est, peut-être, plus intense qu’ailleurs. La lumière du ciel, la lutte des femmes, la brutalité des hommes, la bêtise des puissants et la cupidité des faibles d’esprit. Une terre dont on ne sort pas indemne et parfois, il y a comme un besoin de se trouver un havre de paix, un lieu pour se ressourcer. Et oublier que, dehors, le monde fulmine de mille colères..
Á San Cristobal de las Casas, il existe un tel endroit, le marché indigène où l’on peut trouver tout ce qu’on veut, et même ce dont on a absolument aucun besoin. Un lieu incontournable, vibrant de vie et lorsque le moral flanche un peu, il suffit d’y aller faire une petit tour pour recharger ses batteries. Une auto-thérapie qui ne coûte presque rien. Juste quelques pesitos.
Acteal II. 20 ans d’impunité
Á Laura qui aimait tant ces montagnes des Altos
Le ciel d’Acteal résonne encore des cris des morts. Les montagnes portent toujours l’écho de leurs douleurs. Á jamais figés dans leur hurlement ultime. Celui de la colonne de l’infamie, sculpture en bronze posée à l’entrée de la communauté. Un hommage tout autant qu’une dénonciation. Saisissante de vérité et d’horreur.
Vingt ans après, le massacre d’Acteal est toujours une plaie vivante dans l’histoire du Mexique contemporain. Une balafre sanglante qui a pour nom impunité et mépris. Et la beauté des montagnes des Altos ne peut nous faire oublier qu’en ce 22 décembre, nous entrons dans la terre sacrée des martyrs d’Acteal. Et le vent ramène leurs voix qui nous chuchotent à l’oreille : Somos voces que emergen del silencio y de la muerte. Somos esperanza y ejemplo ».
Et le ciel insolemment bleu recueille ces précieux mots pour les éparpiller aux quatre coins du globe. Pour que le martyr des 45 morts d’Acteal devienne la mémoire de l’Humanité. Telle est la tâche de ces journées de commémoration du 21-22 décembre 2017. Une lutte contre l’oubli, l’arrogance, l’impunité des assassins.
Ejido Tila. Une histoire en train de s’écrire
« Si no hay justicia para el pueblo que no haya paz para el gobierno ». Depuis le 16 décembre 2015, les ejidatarios (1) de Tila ont repris cette formule à la lettre. Ce jour-là, ils ont expulsé la mairie qui les avait abusés depuis bien trop longtemps. Deux ans plus tard, ils sont toujours là et ils s’apprêtent à fêter leur anniversaire en tant que peuple originaire autonome. Et comme cadeau d’anniversaire, la présence de Marichuy, la porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement (CIG).
Mais pour comprendre la lutte qui se joue sur ce territoire ch’ole, il nous faut revenir aux temps de la révolution mexicaine qui avait pour devise, la fameuse phrase d’Emiliano Zapata : « La terre appartient à ceux qui la travaillent ».
Sous le signe de la Vierge.
Au départ était Tonantzin. Déesse de la fertilité. Puis vinrent les conquistadors avec leur croix et leurs épées. Face à cette évangélisation forcée, le culte à la terre Mère a dû s’adapter, a dû changer de visage et prendre celui plus policé de la Sainte Vierge. Avec une nuance de taille, ici, la Vierge a la peau cuivrée, comme ces indigènes qui la vénérent.
Le 12 décembre 1531, très exactement, elle apparut à Juan Diego, un jeune paysan indigène près de la ville de Mexico. Le culte à la Vierge de Guadalupe était né. À la fois sainte Vierge, déesse de la Terre, reine de Mexico, protectrice des Indiens et des plus pauvres.
Première rencontre en 2011 dans les rues enfiévrées de San Cristobal de las Casas. Première sensation d’une fête religieuse pas vraiment catholique. Six années, plus tard, la vierge est toujours là, dans ses plus beaux atours. Même ferveur, même scène de liesse. Comme un flash-back au cœur même d’un mélange de genre entre religion et paganisme. Et ce texte qui se ré-écrit au présent tout en puisant dans les mots d’hier.
Puis se laisser porter par la foule, suivre les pèlerins et rentrer dans la danse. Honorer cette vierge presque humaine, accessible. À l’instar d’une parente, une sœur, une confidente. Proche de soi. À même le cœur. À même la rue. Lire la suite
Guerrero blues
En voyage, il est tellement facile de rencontrer des gens. Se faire des amitiés comme on vivrait un amour d’été. Intense, rapide, pour finalement, rentrer chez soi, dans son univers rassurant où on oublierait tout. Puis, un jour, l’envie revient. Rejoindre ce Mexique qui ne nous a jamais vraiment quittés.
Une évidence, retrouver les gens de la CIPEC dans le Guerrero, avec un peu la crainte que ces trois années n’est changé quelque chose. Mais, il suffit de s’asseoir à leur table, retrouver le sourire d’Edna, la faconde de Don Robert, la douceur de Doña Clara pour qu’en seulement quelques minutes, tout redevienne comme avant. La discussion reprend son fil où on l’avait laissée ou presque. Mais à l’intonation des voix, on sent que quelque chose a changé. Pas eux, non ! Plutôt la situation dans le Guerrero. À voir, leur regard s’égarer, leurs mots buter sur un silence, on se dit qu’il y a comme une désespérance dans l’air. Poisseuse et triste. Inédite… Lire la suite
Pas de paix pour la communauté de paix.
Une fois n’est pas coutume, ce texte n’est pas écrit depuis là où nous sommes. Juste un petit pas de coté. Parce que les nouvelles qui nous proviennent de Colombie ne sont pas bonnes. Parce que la paix n’est rien de plus qu’un bout de papier signé à la Havane. Nous le pressentions. Nous en avons la preuve aujourd’hui.
Etat de Mexico, Marichuy et la douleur des femmes.
Depuis deux mois, Marichuy parcourt le pays. Comme promis, elle est allée à la rencontre des peuples originaires de l’État de Morelos, de Puebla, de Vera Cruz, du Tabasco, de Campeche, de Jalisco. Comme promis, elle a écouté, partagé leurs espoirs, leur souffrance. À chaque fois, les mêmes litanies de douleurs et d’impunité. Marichuy et le CIG, en côtoyant ces luttes, sèment des graines de résistances à chaque rendez-vous. Comme un écho de ce Mexique rebelle qu’elle arpente avec force et conviction, avec comme unique ambition d’armer les consciences et de : « Décoloniser la pensée capitaliste et patriarcale. Nous rendre à l’évidence qu’une autre forme de gouvernement est possible et qu’entre les ruines naissent les espoirs d’un monde nouveau».
Fin Novembre, Marichuy a fait quatre escales dans l’état de Mexico, un des plus violents du pays. Deux pôles urbains où violences, féminicides et expropriations régissent le quotidien de millions de personnes (Texcoco, Ecatepec). Dans un des quartiers les plus sensibles de la capitale, Nezahuacoyotl, mais également à l’UNAM (1), où elle a longuement traité de la violence faite aux femmes.
Pour Marichuy, ces rencontres représentent un véritable défi dans un territoire où la question indigène est exsangue, où les liens de communauté n’existent quasiment plus, où les espoirs de changement sont annihilés par les stratégies de survie dans cette ville monstre qui dévore ses enfants. Chaque jour un peu plus…
Ayotzinapa. Un noël de trop.
26 novembre 2017. Un froid glacial parcourt les rues de Mexico DF, la capitale du pays. Des buildings de vitres et d’acier reflètent un pâle soleil d’hiver. Même l’ange de l’indépendance tout en haut de son piédestal semble frigorifié. En bas, une clameur aussi glaçante que l’air ambiant « Vivos se los llevaron, vivos los queremos » (1). Depuis ce funeste 26 septembre 2014, c’est le cri de ralliement des parents et soutiens des 43 disparus de l’école normale d’Ayotzinapa (2).
38 mois, plus de 1000 jours que des mères pleurent leur fils, que des pères attendent des nouvelles, que des familles recherchent la vérité. Et toutes ces nuits sans sommeil, toutes ces manifs pour réclamer justice, tous ces rendez-vous inutiles avec le gouvernement pour tenter d’approcher l’innommable. Aujourd’hui, cette marche en est une parmi tant d’autres. Une de plus. Mais ce ne sera pas la dernière. Les parents ne renonceront jamais. Leur seul credo : « Verdad y Justicia ».