OAXACA impressions et surimpressions

Premier matin à Oaxaca. Comme une envie urgente de sortir dans la rue pour vérifier. Mais il suffit de regarder dehors et un bout de la Sierrra Madre apparaît. Le ciel semble différent, les nuages aussi. Trouver une autre tessiture à l’air, un autre relief à la réalité. C’est peut-être ça le voyage, regarder différemment des choses de la vie quotidienne.

Marcher, courir, voler vers le centre. Le long de l’aqueduc, des maisons colorées nous plongent de suite dans le Oaxaca que nous avons rêvé, là-bas à Marseille. Des façades jaunes, bleues, une route pavée et comme une impression de remonter le temps. De suivre un rêve éveillé. Puis le zocalo, le centre du centre. Le cœur de la ville. Partout des bâches bleues tendues en l’air, dessous des vendeur de sacs bariolés, de blouses aux motifs mexicains, des cd, des dvd à même le sol. Les odeurs de tacos se mêlent aux effluves de café et de chocolat. Où que le regard se pose, il y a des visages. Fatigués pour la plupart. Une fourmilière d’indiens et d’indiennes, levés bien avant l’aube pour installer leur modeste étal. Et les touristes qui passent indifférents, marchandant de ridicules pesos, échangeant de faux sourires condescendants, s’enthousiasmant de la richesse de  cette culture prestigieuse. Et l’indien serre les dents, négocie habilement pour finalement arriver à vendre sa camelote made in Misère. Qui est le perdant ? Le gagnant ? Personne. Chacun joue son rôle dans cette arène sans âme qu’est le tourisme de masse.

Au milieu de la place, le kiosque semble pris d’assaut par des affiches de protestation et une marée de tentes. Des hommes et des femmes patientent devant le palais du gouverneur. Parmi eux, le syndicat national des travailleurs de l’éducation (CNTE) qui refuse la réforme au rabais de l’éducation. Certains sont là depuis trois mois. Ils s’organisent à tour de rôle, en fonction de la région dont ils dépendent. (région de Oaxaca, région de l’isthme, etc), chaque groupe reste une semaine puis un autre vient le remplacer. Une lutte tout en continuité. Les maestros ont installé leurs tentes sur des cartons de fortune, dressé des bâches. Personne ne pourra les déloger même pas Trudy, la dépression tropicale qui déboule comme une furie d’eau dans la ville.

Au sol, des portraits de jeunes hommes. Juste un prénom, un nom, un âge. 43 affiches, du nombre des étudiants d’Ayotzinapa disparus depuis le 26 septembre 2014. Juste à côté des cercueils recouverts de plastique noir, une croix.  Des bougies, Des joncs sur les photos. Et le slogan : « Ils les ont pris vivants. Nous voulons qu’ils nous les rendent VIVANTS» sonne douloureusement. Presque une supplique. Plus les jours passent et plus l’espoir diminue.

Derrière le zocalo, le marché du 20 novembre, refuge idéal pour se protéger de l’averse. Dès l’entrée, le Mexique nous saute à la gorge. Des guirlandes de papiers colorées comme des fanions. Un autel en l’honneur de la vierge de la Guadelupe. Sur le mur de face, Lupita inscrit en noir désigne un kiosque qui vend des jus de fruits frais. Assises par terres, près de leur panier en osier , de vieilles indiennes proposent de drôles de petites choses rouges. On dirait presque des cacahuètes mais en s’approchant de plus près, on se rend compte qu’il s’agit de sauterelles grillées . Il ya même des gusanos, petits vers grillés. C’est encore un peu tôt pour y goûter. On verra plus tard…

Dans l’entrepôt central, un labyrinthe d’objets divers et variés nous fait tourner la tête. Des sacs Frida Khalo au-dessus de nos têtes, des ustensiles en bois sur les étals, des squelettes souriants. des friandises à tête de mort. Le jour des morts approche, cela se sent et se voit. Plus loin, des dessins de paysages naïfs, des petites poteries grossières, des chemises rouges, des pantalons rayés, des blouses fleuries. Des vêtements. Partout. De l’artisanat. Par millier. On prend à gauche. On se cogne contre des sacs. A droite, on tombe sur une tête de mort violette. On sursaute, retour en arrière.  On se perd. Les vendeurs nous interpellent. Gentiment. On fait non d’un signe de tête discret. Plus loin, un autre nous hèle. On refuse par un sourire. Bon perdant, il éclate de rire. Peu de mots, juste le corps qui parle, les yeux sourient, la tête dodeline et la déambulation devient un jeu. Un brouhaha  nous accompagne, mélange de musique populaire, d’interjections et de mots jetés par ci par là.

Plus loin, le secteur alimentaire, la viande est posée sans façon sur les étals. Les poulets pendouillent. Ici, les technocrates de l’hygiène s’arracheraient les cheveux. Une femme prend un blanc de poulet informe, la pose sur un bloc de bois puis elle le frappe avec force, le retourne et paf et lui donne une forme d’escalope. Elle recommence avec les autres morceaux. Pas envie de faire la maligne devant cette matrone au pilon féroce. Au fond, les odeurs de marée nous laissent deviner les étals de poissons, arrosés régulièrement pour leur donner un peu de fraîcheur. Pour ces pauvres poissons, le Pacifique n’est plus qu’un lointain souvenir. Puis des crevettes par centaines posées sur des paniers en osier, séchées, roses, grises, fines, bien charnues. Pour tous les goûts. Pour toutes les bourses. Les effluves de viande molle et de poisson deviennent difficiles à supporter et pourtant, devant tant de possibilités de manger, la faim se fait sentir.

Au bout de ce labyrinthe de couleurs et de sons se trouve l’entrepôt des cantines. Dès l’entrée, on est assailli par le fumet des marmites. Toujours ces fanions multicolores qui donnent comme un air de fête dans ce décor  fait de simples tables en carrelage. Tout autour des bancs avec vue panoramique sur les fourneaux où mijotent des casseroles surveillées par des femmes qui n’hésitent pas à lever les yeux pour héler le passant et lui proposer les plats les plus alléchants : mole negro, mole coloradito, chile relleno, tlayudas, chocolate con leche, jugo. Le passant passe, hésite mais il est aussitôt rattrapé par une autre cuisinière. Il aimerait bien s’arrêter là mais une autre femme l’interpelle, lui tend une carte. Il ne sait pas comment choisir. Il se sent au centre de toutes les attentions.Il se dandine sur un pied, esquisse un sourire. Il continue son avancée sous les yeux des cuisinières qui le couvent du regard.  Et il sent bien que son choix le condamnera au peloton d’exécution par toutes les autres. Vaincu, il choisit en fonction du nom « Comedor Lupita», qui sonne mexicain selon son référentiel propre. Pas sur que la femme au visage las s’appelle vraiment Lupita, mais le  harcèlement discret mais ferme des cuisinières aura eu raison de sa quête. Il a juste envie de manger, pas envie d’élire la meilleure table de la cantine. Demain, promis, il ira en face. Dès qu’il s’est assis, les autres cuisinières lui tournent aussitôt le dos… et interpellent aussi sec une autre proie. Pas d’atermoiement, pas de gêne. L’important est de remplir sa table jusqu’à  la nuit tombée. Et de recommencer chaque jour. Sans fin.

Aujourd’hui, la  pluie crépite sur les tôles ondulées. Les bruits se mélangent. L’ambiance se fait sonore. Peu de passage, il est encore tôt. Les femmes s’interpellent depuis les comedores, rient, plaisantent, nettoient, récurent. Jamais elles ne soufflent. Les corridos mexicains rythment leurs gestes mécaniques. Ici, le temps s’effiloche. Le comedor devient une scène vivante. Un aveugle avec une guitare tente une pauvre sérénade. Un homme s’esclaffe et lui tend cinq pesos. Le vieil homme lève son sombrero et remercie par un sourire édenté. Aussitôt remplacé par des joueurs de marimba, sorte d’imposant xylophone sur pied. Personne ne les écoutent. Ils repartent vers un ailleurs plus prometteur. Leur instrument comme un poids mort.

Un couple de touriste s’installe à une table, ils sont immédiatement entourés d’indiennes qui vendent des peignes, des grands et des tout petits, tellement petits que personne ne sait à quoi ils servent véritablement. Mais qui se pose vraiment la question ? Qui cela intéresse-t-il vraiment ? Personne n’est dupe, l’important c’est juste d’en retirer quelques misérables pesos. Rien de plus. Rien de moins. La dignité de ne pas faire la charité. Vendre même le plus infime des objets pour ne pas se compromettre totalement. D’autres indiennes vendent des cuillères, des marque-pages en bois, des colliers de pacotille. Objets insignifiants, produits par centaine, de mauvaise qualité mais ces femmes s’en fichent, s’en contrefichent, elles passent et repassent. Inlassablement. Flux et reflux de leur obstination à vendre. Malgré l’indifférence générale, elle continuent, les enfants dans leurs jupons et les plus grands qui tentent aussi de vendre des mini-bonbons, des chewing-gum. La relève semble assurée.

Dehors, la pluie continue sa triste danse. De plus en plus fort. Une ambiance de fin du monde se dessine. Le marché ferme ses portes. Chacun rentre chez soi et demain, la ronde se poursuivra. Chacun reprendra sa place. Son rôle. Sans état d’âme ou presque…

Oaxaca, 22 octobre 2014

Une deambulation musicale dans le marche d’Oaxaca

Bonne ecoute!

La cumbia del mole Lila Downs

A cambio de que Jenni Rivera

https://www.youtube.com/watch?v=fBftawfdpfQ

Chayito Valdez 

https://www.youtube.com/watch?v=69CAhxjYnvM

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Une réflexion sur “OAXACA impressions et surimpressions

  1. Super ! Je pensais avant de lire: « quoi ya pas de photos?! », mais c’est pas la peine ! Ça donne envie de créer un blog marseillais pour vous dire ce qui se passe ici. Bonne route et continuation, j’aimerais voir quelques photos quand même, bisous, Flo

  2. Super le blog ! ça fait plaisir de vous savoir heureux là-bas, ce qui transparait bien dans ce texte sur Oaxaca et que de souvenirs cela soulève en moi ! « Où sont à présent les musiques suaves qu’ils jouèrent au kiosque du Zocalo ? …A l’attaque, conquérant les barricades et leurs villes. Quel grand sens ! Naître ici-bas, parmi nous nous, Vivre sur cette terre. Oaxaca. » (stance pour Oaxaca, 4 décembre 2006) – Bonne continuation, bon voyage, je vous embrasse. gérard

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