Mi casa es tu casa. Feliciano, peintre à Juchitán.

             À Juchitán, il y a des iguanes dans les arbres. Et des muxes dans la rue. Tout cela fait partie du décorum de la ville. Mais finalement ce qui restera le plus important pour nous, c’est la rencontre avec Feliciano. Croisé au zocaló, une bicyclette à la main. Un sourire avenant. Une coupe afro et des yeux rieurs. Il aime discuter avec les étrangers. Il se présente. Il est peintre. Bières après bières. Mezcals après mezcals, la nuit ouvre les confidences.

 Feliciano

             Le lendemain, la conversation se poursuit dans sa maison. Au bout d’une petite rue. Une maison blanche. On entre par son atelier. Des toiles aux murs. Abstraites. Des cadres au sol qu’il fabrique lui-même. On traverse sa petite chambre pour déboucher dans le patio. Deux hamacs appellent à la flânerie. Une chienne passe indifférente tout autant que le chat indolent. Il nous a préparé un poisson à l’ananas. Délicieux.

             L’après-midi se passe. Une enfance à Juchitán. Un père ingénieur à la PEMEX, société de pétrole du Mexique. Une vie simple jusqu’à l’accident de travail du père survenu en 1989 qui le laissera diminué et affaibli. Il mourra d’un infarctus quelques années plus tard. La PEMEX n’a pas voulu reconnaître la notion d’accident de travail. Pour autant, les médecins experts ont conclu à une relation de cause à effet entre l’accident et la mort de son père. La PEMEX toute puissante n’hésite pas à renier les droits les plus élémentaires. Mais Feliciano, le petit poucet veut en découdre. Il décide de lancer une procédure en justice. Pour réclamer une indemnisation. Pour aider sa mère à survivre dans sa petite maison familiale. La PEMEX continue de l’ignorer. Son affaire est classée sans suite. Au mépris de la vérité. Sa mère faute de ne pouvoir se payer des soins pour son diabète mourra de cette maladie. Feliciano a la rage et décide de porter l’affaire devant la cour suprême de justice. Plus de vingt ans après les faits, Feliciano est toujours aussi combatif. Et même si la vie lui fait subir toutes sortes d’épreuves, il se croit protégé par la Vierge de Guadalupe. Rien ne semble pouvoir altérer sa soif de vivre. Pas même la mort de la chair de sa chair. Rapidement, il nous parlera de son fils mort dans un accident de voiture. Il roulait à plus de 180 km/h. Il sort un journal. Son regard se trouble. Il nous tend une photo de son fils dans une voiture toute cabossée. Un journal à sensations comme il y a en des dizaines au Mexique. Lui, il s’en fout, c’est la dernière image de son fils. Ce bout de papier froissé et jauni est devenu une relique. Il chasse sa tristesse d’un geste et nous offre un verre de biere. La vie continue. Asi es!

              Il parle aussi de peinture. Il raconte sa culture zapotèque. Son peuple. Sa langue. Sa voix est douce. Son regard exalté. Il parle avec les mains. Avec le cœur. Il parle comme il peint. Avec passion. Sa seule volonté est de vivre de son art. Mais, au Mexique, c’est encore plus difficile qu’en Europe. Il avoue mener une vie simple et se contenter du minimum. Il vend quelques toiles, participe à des ateliers de sérigraphie. Il fait des muraux pour des locaux associatifs. Il a mille projets en tête. Sa voix s’anime. Il semble vouloir décrocher la lune. En le regardant danser avec ses mains, on n’a qu’une envie le croire.

              Et malgré une vie modeste, il n’a pas hésité à nous préparer un plat de prince. Juste pour partager un moment. Juste pour nous offrir un bout de sa culture. Mi casa es tu casa, une vraie réalité au Mexique. Merci Feliciano.

Mexico DF, 25 décembre 2014

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