La danse aztèque n’est pas une danse pour les touristes. Ce n’est pas un folklore de plus, qu’on ramène dans ses souvenirs de voyage. Une danse comme la résurgence de la grandeur d’un peuple déchu (1). Une danse pour honorer Huitzilopochtli, dieu de la guerre et du soleil. Pour illustrer les mouvements du cosmos (2).
Cette danse représente la lutte perpétuelle entre le jour et la nuit, entre les forces du bien et du mal. Avec comme convergence de toutes les vénérations, les quatre éléments fondamentaux à toute vie humaine : l’air, le feu, le vent et l’eau.
La danse aztèque est une émotion, une sensation, une forme de communication, un riche mélange de musique, de chorégraphie, de poésie et surtout une immense expression de spiritualité.
Il n’y a pas de cours de danse aztèque, pas une méthode particulière nécessitant un âge ou un niveau adapté. Tout le monde peut danser, du plus jeune au plus vieux. Á chacun à son rythme. Selon ses forces et ses faiblesses. Avec la danse aztèque, tout est histoire d’émotion. Il suffit de la regarder, de mémoriser les pas, de ressentir le mouvement en soi, se laisser inviter par un danseur plus expérimenté puis se laisser guider par la musique. Rien de plus simple. Puis recommencer à la prochaine cérémonie. Une danse comme un apprentissage de la vie.
Hier, elle était dansée près des temples des Dieux. Aujourd’hui, elle se danse sur les zocaló, les places centrales des villes et des villages. Inchangée où presque.
Le soir, à Cuernavaca, les Aztèques reprennent possession du zocalò. Au sol, posée sur un foulard coloré, une statue précolombienne porte-encens, cernée de roses rouges. Un mandala, fait de minuscules graines de toutes sortes, bordé de petits bouts de maïs, rouge, jaune et pourpre. Pour inviter les Dieux aztèques à revenir de l’entre-deux monde. Les tambours sont prêts. Le copal diffuse sa lente fumée grise. Les Dieux sont impatients. Il faut entrer dans la danse. Maintenant !
Cinq tambours, plus d’une vingtaine de danseurs. Ils portent des masques de plumes colorés, les visages sont grimés. Le zocaló à rendez-vous avec son passé. Le maître de cérémonie, tout en plume et visage impassible invoque le ciel. Il parle d’obscurité, du chemin parcouru, de celui qu’il nous reste à faire. Du passé, du présent qui s’entremêlent dans une nuit sans âge.
Les danseurs agitent leurs chevillères dites ayoyotes (2). Un cercle se forme. Ils se font face. Pour une danse d’amour, sensuelle et sauvage. Presque une danse tribale. Un danseur avec un crâne sur le visage s’ébroue. La mort veut danser. La mort veut valser avec la nuit. Elle s’impatiente. Un homme brandit une conque. Un son d’un autre temps réveille les oiseaux. Ils s’éparpillent dans le ciel. Leur pépiement se mêle aux rythmes des tambours.
La danse se fait guerrière. Ils sautent. Ils hurlent au ciel. Les visages se font grimaçant. Le ciel se fait menaçant. Un cri aigu presque une supplique. La pluie fait son irruption sans crier garde. Un autre cri encore plus puissant. Presque un hululement. La pluie redouble. Le tonnerre gronde. Les Dieux sont réveillés. Les Dieux sont en colère.
La foule est partie se réfugier sous les arcades. Les danseurs restent seuls sous l’averse. Ils ne dansent pour personne. Ce n’est pas un spectacle. Juste une danse entre eux et les Dieux du passé. À la recherche de l’harmonie et de l’équilibre du monde.
Les danseurs redoublent de force. Les tambours deviennent sauvages. Ils s’incarnent. Ils crient à la nuit. Ils repoussent la pluie. Le copal enveloppe leurs âmes bondissantes. Les danseurs ne sont plus que rythmes et mouvements. La pluie ne peut plus les atteindre. Ils sont bien au-delà de cette place inondée d’eau et de lumière. Les éléments sont en furie. Les danseurs tout autant. Une danse comme une transe. Les flaques d’eau deviennent un terrain de jeux. Leurs pieds glissent sur elles. Leurs talons claquent. Avec force. Avec violence pour rejeter l’eau d’où elle vient. Pour frapper le sol. Faire revenir ceux de l’infra-monde. Les hommes bombent leur torse nu et s’offrent à la nuit dégoulinante. Comme une offrande aux Dieux autoritaires et tout-puissants.
Puis sans crier gare, les tambours s’apaisent, les chevillères d’ayoyote prennent le dessus tout en douceur. Un son mélodieux enveloppe la place. Les danseurs se prosternent face contre terre. La pluie s’efface. La nuit reprend sa place. Le temps redevient comptable. Les Dieux repartent vers l’invisible. Les musiciens tombent les masques. La danse est finie. Au sol, une plume abandonnée. Un signe manifeste de la visite des Dieux aztèques. Juste le temps d’une danse. Juste le temps d’un songe.
San Juan de la laguna, Guatemala, 23 mars 2015.
(1) Les Aztèques fondèrent leur capitale Tenochtitlan en 1325, à l’emplacement de l’actuelle Mexico. Ce peuple représentait une civilisation très évoluée, ils possédaient un calendrier propre, ils maîtrisaient l’écriture, l’astronomie; le commerce y était très développé. En 1519, rencontre fatale avec l’espagnol Hernan Cortés, assoiffé d’or et de puissance. Puis le 13 août 1521, au milieu des ruines de sa ville dévastée par les canons, le dernier empereur aztèque se rend aux Espagnols. Il s’appelle Cuauhtémoc, « l’Aigle-qui-tombe», c’est-à-dire le Soleil couchant; le soleil aztèque s’éteint pour toujours.
(2) Les aztèques sont polythéistes et se considèrent comme le peuple élu du Soleil. Selon le mythe, à l’origine le soleil n’existait pas. Ce sont les dieux qui une fois réunis à Tenochtitlan se sont sacrifiés pour éclairer le monde. Afin de régénérer le cosmos, les aztèques renouvelaient sans cesse le sacrifice divin pour empêcher le retour des ténèbres.
(3) Instrument composé d’un ensemble de noix creuse cousues sur une base de cuir ou de tissu, attaché aux chevilles ou poignets du danseur ou du musicien. Leur son ressemble à un serpent à sonnettes et de la pluie.
Qu’est-ce qu’on pourrait bien danser, nous autres, pauvres culs-de-jatte ? Même la bourrée, nous en avons perdu le rythme, et le sens ! Bises à vous deux