Honduras. Alto a los feminicidios!

             Honduras, un des pays d’Amérique centrale où le taux de féminicides est le plus élevé. Certains chiffres déclareraient même qu’il aurait ravi le titre au Mexique, c’est dire !
En 2013, le taux d’homicides de femmes est de 14.6 pour 100 000 habitants. Selon les Nations Unies; celui-ci dépasse le taux total d’homicides de 152 pays comme la Palestine (4.1), la Syrie (2.3) ou l’Irak (2.0). De 2005 à 2013, ce taux aurait augmenté de 260% ! Un autre chiffre qui se passe de commentaire : durant l’année 2013, une femme fut assassinée toutes les quatorze heures (1).
Ces statistiques, froides et glaciales, permettent à peine de rendre compte de l’effroyable situation des honduriennes qui vivent en apparence dans un contexte de paix mais qui en réalité sont au cœur d’une guerre qui ne dit pas son nom. Et les principales victimes sont des femmes jeunes (2), pauvres et vivant en ville pour la plupart
Pour l’association  « Foro de mujeres por la vida » dont Karen, avocate, fait partie intégrante, il y a tout un processus, une éducation machiste, une culture des armes, le manque de volonté des pouvoirs en place qui pourraient expliquer cette ignoble réalité.


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             Ce forum est un regroupement de seize organisations de la zone nord et occidentale du Honduras. Il est né en 2001 suite à la mort d’une femme, tuée par son compagnon qui la découpa et mit ses restes dans une valise. Une histoire qui bouleversa toutes les femmes du pays. Face à cette barbarie, elles décidèrent de se regrouper, d’agir ensemble pour dénoncer ce genre de crime.
Leur cœur d’action est la dénonciation des féminicides. Un terme qui connut plusieurs versions avant d’en arriver à celui qu’elles revendiquent aujourd’hui Historiquement, le premier terme utilisé fut celui de « fémicide » La première à utiliser ce terme a été Diane Russel, à Bruxelles en 1976, devant le tribunal contre les crimes envers les femmes. Puis, en 1992, en collaboration avec Jill Radfort, elle publia « Femicide. The politique of woman killing ». Marcela Lagarde, d’origine mexicaine, proposa le terme de « féminicide » afin d’englober la responsabilité d’une société machiste qui accepte et normalise ce types d’actes.
Le Foro a commencé a parlé de féminicide en 2001. Le premier cas emblématique fut celui de Riccy Mabel Martínez, quinze à peine, violée et assassinée par deux militaires en juillet 1991.
Karen précise : « Nous avons travaillé sur le recueil de données, sur la comptabilité des femmes assassinées, comment avait été retrouvé leurs corps parce qu’à cette époque, il n’y avait pas d’information disponible. Auparavant, l’assassinat de femmes était qualifié d’homicides. Mais nous, nous avons démontré par nos études que les femmes meurent à cause d’un système patriarcal, machiste, misogyne et que c’est un système qui se reproduit, qui s’apprend dans les écoles et qui déprécie les femmes. Il y aussi le poids de l’église qui investit toutes nos communautés avec une culture très conservatrice et misogyne. Depuis plusieurs années, nous ne cessons de répéter que la mort des femmes n’est pas la même que celles des hommes ».
En effet, une de caractéristiques des féminicides, c’est que ces assassinats se commettent avec une extrême brutalité, une rancœur excessive : décapitation, lésions graves, brûlures, mutilation diverses qui manifestent une haine sans nom contre les femmes, comme si leurs corps s’étaient converti en un territoire de vengeance de la part des hommes.
Selon le Foro, depuis le coup d’état de 2009, il y a une augmentation significative des féminicides de l’ordre de 173%. (Avant il y avait 179 féminicides par an contre 534 en 2014). Des chiffres qui bien qu’exorbitants seraient sous-estimées et Karen déclarera même que : « Tous les crimes ne sont pas enregistrés dans une volonté de cacher cette réalité au pays pour sortir de ce concours stupide du pays le plus violent au monde ».
L’association s’est longtemps battue pour faire reconnaître la spécificité des meurtres de femmes. Le 26 Avril 2013 est entré en vigueur la réforme de l’article 118 du code pénal qui décrète que « Le délit de fémicide est le fait d’hommes qui donnent la mort à une femme pour des raisons de genre, de haine ou de mépris envers les femmes et sera condamné de trente ou quarante années de prison ».
Un premier pas significatif même si le Foro aurait préféré le terme de féminicides plus politique puisqu’il implique la responsabilité de l’état, dénonçant une incompétence à prévenir, enquêter et condamner la violence faite aux femmes. La loi existe, certes mais elle n’est pas appliquée : « Pour l’instant, il y a seulement cinq plaintes alors qu’il y a eu cinq cent trente-quatre femmes assassinées de mort violente et seulement une de ces plaintes a été jugée le 10 mars 2015, celle d’Antonia Perez, membre du Foro. Au niveau national, c’est la seule condamnation que nous connaissons ».
Pour ces militantes, il est évident que le gouvernement ne met pas tous les moyens en œuvre pour stopper cette hémorragie : « Le ministère public a dissous le programme d’investigation sur les crimes de femmes qui est devenu un programme sur les crimes en général. Il y a une impunité généralisée sur tout les cas recensés. De plus, il y a de moins en moins de personnes qui osent porter plainte car cela peut représenter un danger pour leur vie. Il y a des cas où les témoins de femmes assassinée ont elles aussi été tués par ceux qu’elles voulaient dénoncer. Cette semaine, par exemple, il y a un homme qui a coupé la jambe de sa femme parce qu’elle était arrivée en retard à la maison. Elle avait dénoncé par le passé les violences de son compagnon mais cela n’a jamais abouti, elle est restée face à son bourreau et un jour, l’irréversible s’est produit. Ce cas a bouleversé le pays et aujourd’hui, l’homme est détenu et va être jugé ». Un peu tard, il semblerait non ?
Par son travail acharné, le Foro pointe du doigt le manque de volonté du gouvernement, la militarisation à outrance, la corruption, l’impunité, la collusion avec les narcotrafiquants. Tout cela éloigne chaque jour un peu plus le pays de la démocratie.

             Un autre point capital pour les femmes du Foro, est le machisme ambiant de leur  pays : « Il y a énormément de machisme au niveau de la justice qui ne veut pas reconnaître que la mort d’une femme est différente de celle d’un homme. Les juges ne veulent pas voir l’implication historique, sociale, philosophique de ces morts brutales de femmes ». Karen cite l’exemple emblématique de l’assassinat de Miss Honduras, Maria Jose Alva­rado et de sa sœur Sofia en novembre 2014 lorsqu’un député osa déclarer « Je demande au père de famille de mieux surveiller leurs filles au risque de voir se reproduire des situations comme celle de Maria José».
À ce moment précis si ce député avait été assis en face de nous, Karen l’aurait étripé sans aucun remord. Et lorsqu’elle évoque la douloureuse question du viol, elle est au bord d’une colère homérique: « Tout cela n’est pas seulement un problème des hommes mais de tout l’appareil judiciaire qui ne délégitime pas le viol. Par exemple, une loi a été votée pour interdire le port de mini-jupe pour les députés femmes sous prétexte que cela pouvait être une provocation. Et cela arrive du plus haut sommet de l’état alors imagines, les hommes d’en bas… ».

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Dans le cas de viols, le taux d’impunité est de 95%. Un situation que le Foro dénonce haut et fort malgré le peu d’échos qu’elles rencontrent dans les hautes sphères du pouvoir. Pour autant, elles ne renoncent pas à leur exigence de justice. Un travail de Titan, digne de Don Quichotte, que Karen et ses compañeras exercent avec une volonté et une « foi » proche de l’abnégation.
En 2012, il y a eu plus de six mille femmes ayant porté plainte pour viols, en sachant que pour ce délit spécifique, beaucoup de femmes, par peur, par honte, préfèrent se taire…

            Une autre explication à cette alarmante augmentation des féminicides seraient l’abondance d’armes en circulation dans le pays. En 2012, le principal instrument de mort serait les armes à feu pour 76,7% de femmes (3). Dans un pays où légalement, chaque citoyen peut posséder jusqu’à cinq armes, une culture de la mort est en train de s’installer. Pour autant, les associations de femmes dénoncent cet état de fait, elles exigent que l’état révise cette loi. Leur slogan « Nous sommes nées sans armes et nous voulons grandir sans elles ! ».
Karen nous parle aussi d’un recul important pour le droit des femmes à savoir l’interdiction depuis 2009 de la pilule du lendemain, l’avortement est tout autant illégal. Une violence institutionnelle en particulier pour les adolescentes victimes de viols (8165 cas entre 2010 et 2013) et qui les rend vulnérables à une grossesse non-désirée.
Un autre sujet qui fâche est l’augmentation des homicides contre les femmes qui seraient soi-disant liée à leur plus forte implication dans le crime organisé mais pour Karen et ses collègues cela n’est absolument pas vérifiable puisque « Pour 97% des cas, il n’ y a pas d’enquête, on ne sait ni qui sont ces femmes, ni les motivations du crime. On ne sait rien sur les victimes. Absolument RIEN. La police enregistre le nom, le nombre de balles et puis c’est tout. Dans ces registres, toutes les femmes sont femmes au foyer et tous les hommes sont des travailleurs. C’est tout ce que l’on sait et pourtant, ils viennent te dire qu’elles participent au crime organisé. Et en plus derrière tout cela, il y a l’idée que peut-être elles le méritaient… ».
Et chaque jour, les journaux ramènent un crime sanglant de femmes. Le dernier en date, celui d’une gamine de treize ans, Soad Nicole Ham . Karen raconte : « Cette gamine a été interviewé à la télé et elle s’est adressée au président dans son langage de jeune de cité. Elle était très remontée contre les policiers et trois jours après, elle a été retrouvée dans un sac, le corps marqué de coup de couteau et de marques de strangulation. Dans sa dernière interview, elle dénonçait : « si on dérange, ils peuvent nous tuer et s’il me tue, ils vont me jeter comme un chien et personne ne va faire d’enquête ». C’est les derniers mots de cette gamine et malheureusement, ils se sont avérés justes. Cette histoire a bouleversé toute le monde et en un temps record, ils ont arrêté trois hommes accusés d’avoir tués Soad mais il n’y a aucune preuve contre eux. C’est juste des fusibles pour faire redescendre la pression ».

             Un autre axe d’action pour le Foro est la question des disparitions forcées. Une problématique qui les touche d’autant plus qu’une de leur collègue, Norma Hernandez, est porté disparue depuis cinq ans. Elle a été emmenée par les policiers qui avaient soi-disant un mandat d’arrêt contre elle et depuis, elle n’est jamais réapparue. Karen nous précise qu’au Honduras, « la question des disparitions est dramatique, elles concernent approximativement 636 femmes et nous ne savons rien sur le suivi de ces disparitions, si c’est des crimes ou s’il s’agit de migrantes qui sont restées à Mexico ou au Guatemala. Nous ne savons rien et nous recevons des familles qui ne savent pas où sont leurs filles. Pour ces familles, c’est une blessure qui ne peut pas guérir. ».
Travailler sur les disparitions forcées demande une grande patience et une véritable résistance morale pour ne pas sombrer dans le désespoir le plus profond face à une bureaucratie sans sentiments : « Dans l’observatoire national sur les violences, les disparitions ne sont pas recensées puisqu’ils n’enregistrent que les homicides et lorsque nous leur demandons où apparaissent les personnes disparues, ils nous répondent que les disparus ne sont pas des personnes mortes et donc, ils ne les comptabilisent pas. C’est leur logique à eux. Nous, nous voulons un registre où les disparues sont notées. Pourtant, le Honduras a ratifié un traité avec l’ONU sur les disparitions forcées où il s’est engagé à faire un rapport sur ces disparitions mais pour le moment, le gouvernement n’a remis aucune information. Et la situation empire chaque jour. Par exemple, on retrouve de plus en plus de fosses clandestines surtout après la disparition d’un journaliste réputé, ils l’ont cherché partout et ils n’ont trouvé que des fosses et tous les corps qui ont été retrouvés n’ont pas été identifiés comme morts violentes. Nous pensons que cela fait partie d’une stratégie pour réduire le taux de morts violentes dans le pays. ». Comme une étrange similitude avec les disparus d’Ayotzinapa, au Mexique.

             Après une semaine passée dans un des pays les plus malfamés du monde, et sans pour autant avoir occulté la question de la violence, nous pouvons dire que l’important de cette escale aura été la rencontre avec ces femmes faites de rage et d’espoir, avec un cœur immense et qui en un sourire, ont réussi à nous faire oublier la mauvaise réputation de leur terre de naissance. Et grâce à elles, nous n’avons plus qu’une envie revenir dès que possible !

San José d’Apartado. Colombie. 7 mai 2015.

(1) « Honduras. Les femmes et les mécanismes internationaux d’Observation des droits humains ». 2015.

(2) En 2012, 55,6% de femmes entre 15 et 34 ans ont été assassinées ce qui représente 337 femmes.

(3) Observatoire des morts violentes de femmes et féminicides. Édition n°05/ Août 2013.

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