Au départ était Tonantzin. Déesse de la fertilité. Puis vinrent les conquistadors avec leur croix et leurs épées. Face à cette évangélisation forcée, le culte à la terre Mère a dû s’adapter, a dû changer de visage et prendre celui plus policé de la Sainte Vierge. Avec une nuance de taille, ici, la Vierge a la peau cuivrée, comme ces indigènes qui la vénérent.
Le 12 décembre 1531, très exactement, elle apparut à Juan Diego, un jeune paysan indigène près de la ville de Mexico. Le culte à la Vierge de Guadalupe était né. À la fois sainte Vierge, déesse de la Terre, reine de Mexico, protectrice des Indiens et des plus pauvres.
Première rencontre en 2011 dans les rues enfiévrées de San Cristobal de las Casas. Première sensation d’une fête religieuse pas vraiment catholique. Six années, plus tard, la vierge est toujours là, dans ses plus beaux atours. Même ferveur, même scène de liesse. Comme un flash-back au cœur même d’un mélange de genre entre religion et paganisme. Et ce texte qui se ré-écrit au présent tout en puisant dans les mots d’hier.
Puis se laisser porter par la foule, suivre les pèlerins et rentrer dans la danse. Honorer cette vierge presque humaine, accessible. À l’instar d’une parente, une sœur, une confidente. Proche de soi. À même le cœur. À même la rue.
Les défilés commencent bien avant le 12, date officielle. Comme une impossibilité physique d’attendre plus. On sent comme une effervescence. Comme une urgence. La ville trépigne. La ville s’est faite belle. Toute en vert, blanc et rouge, couleur du drapeau mexicain.
Un froid glacial mord chaque pèlerin qui passe mais sa ferveur, son immense amour lui fait ignorer les basses conditions météo du jour. La chaleur de sa passion fait le reste.
Toutes les corporations sont là. Les clubs sportifs, les motards aux airs de loubards, les jeunes d’une association de Chenalhò, etc. Chacun arbore la Guadalupe comme un étendard. Un signe de ralliement. Pour la remercier, l’implorer, la vénérer. Des pick-ups portent des portraits géant de la vierge, des enfants accrochés aux rambardes, rient de tout leur coeur. Devant, les pèlerins pieds nus, plein de poussière et de sueur. Certains ont fait la route à pied, en vélo pour arriver le plus humblement possible aux pieds de leur belle. Une démonstration de foi extraordinaire, spectaculaire même !
Au coin d’une ruelle, on croise la confrérie des clowns de rue. Grimés. Habillés de couleurs. Tout en facétie. Tout en joie. Qui s’apostrophent. Qui brandissent la Guadalupe comme on brandit un trésor. La récompense d´une année qui se termine. En riant.
D’ailleurs, le défilé ressemble plus à un carnaval qu’à une procession. La Guadalupe tout en couleurs éclate d’orange. De vert. De jaune. Loin de notre triste iconographie religieuse. Elle ressemble à un tableau de Frida Khalo. Le Mexique présent, passé, futur est là. On dirait presque une rock star. Une Madonna mexicaine. Presque surréaliste. Partout, des chants : « Viva Juan Diego! Viva la Guadalupe !! ». Des mariachis. Des pétards. Beaucoup de pétard. Presque trop… Mais surtout des cris de joie. Quelques larmes. Beaucoup de sourires. Une humanité en train de se faire. À même le trottoir.
Ici, la vierge est dans la rue. De la rue même. Pour les plus pauvres. Les Indiens humiliés. Les enfants des rues. Les femmes exploitées. Tous ceux qui sont méprisés, pointés du doigt. Ces jours-là, ils redressent la tête. Bien sûr, c´est de la religion. Bien sûr, il y a une forme de soumission. Mais c’est aussi tellement plus que cela… Comme un concentré de l’âme du Mexique. Comme une irrévérence ultime face à une religion qu’ils n´ont pas choisie…
Le défilé tourne dans la ville. Du nord au sud. Du sud au nord. Pour finalement déboucher au temple de la Guadalupe, érigé sur une colline. Tout en haut. Le plus haut possible pour honorer sa sainte. Tout le long, des autels particuliers dans les patios des maisons. Un portrait, des cierges, de l’encens. L’église recrée dans sa maison. On invite son voisin, son ami. Tous unis dans la même ferveur.
Pour arriver au temple. Un immense escalier. Certains le prennent en courant. D’autres à genoux. Mais la plupart le gravissent lentement. Nus pieds, tête droite. Solennels.
Dans l’église, la Guadalupe explose sous les fleurs et les bougies. Une vieille dame vêtue d’une simple robe noire, très digne avance avec une statue de la Vierge dans ses bras. Elle la porte avec douceur et la montre au prêtre qui la bénit. Ce soir, elle sera dans sa maison comme une protection contre les malheurs du monde, un talisman pour elle et sa famille.
Soudain, une trompette s’élève dans la nef. Chaque note retombe sur l’assistance comme un baume. Des regards s’échangent, les mains se touchent et chacun regarde la corporation des petits commerçants ambulants qui pénètre dans le temple. En rang. Fiers. La Guadalupe leur donne confiance. Ils ne sont plus des miséreux. Ils oublient la rue. La Vierge leur rend leur dignité. Les femmes sont belles. Les enfants ont les yeux qui brillent. Les hommes ont un sourire tendre. Tout n’est que douceur et partage. Le silence est pulvérisé par l’irruption de personnages colorés mi-homme mi-bête prennent qui prennent d’assaut la sacristie. Ils dansent, virevoltent, lèvent les mains au ciel. On est loin de la solentité d’une église. Ici, rien n´est sacré. Une belle alchimie entre rite tribal et chants religieux. Entre terre et ciel. Entre vie et mort. Il n’y a plus de limites. Juste une danse. Comme une transe. Pour honorer la Guadalupe. Pour attirer ses faveurs. Pour faire reculer la misère. Oublier les drames. Juste le temps d´une prière.
En bas du temple, la ferveur laisse place au divertissement. Une fête foraine. Des vieux manèges. Une ambiance surannée. La grande roue et ses vieilles chaises grillagées. Des petits ânes colorés aux grands yeux tournent en rond et font le bonheur des enfants. Un stand de tir où le jeu, est de tirer sur des cibles mouvantes et faire chanter des marionnettes. Pas de peluches ni d’horribles caniches en plâtre, en cadeaux. Juste le plaisir de voir Shakira se dodeliner dans sa cage de verre. C’est drôle, démodé et touchant à la fois.
Deux Indiennes en habit traditionnel montent sur un manège avec des sièges aussi vieux que le monde, aux couleurs délavées. Ça part doucement, ça grince puis ça s’accélère, ça chuinte puis ça part. En avant. Une secousse et ça repart à l’envers. À fond. Elles crient, elles rient, elles s’accrochent l’une à l’autre en s’esclaffant de peur. C’est beau et étonnant de voir ce bonheur tout simple de deux femmes qui redeviennent le temps d’une ronde, deux gamines enjouées. Loin de la rudesse de leur vie quotidienne.
Aujourd’hui, c’est un jour qui sort de l’ordinaire. Les pesos difficilement gagnés seront dépensés pour le plaisir des petits et des grands. Comme ces deux petites Indiennes, qui partent en se tenant la main vers le marchand de chips. La plus grande commande et lorsque le vendeur fait couler une sauce rouge sur les chips, la plus petite le dévore des yeux. Sa sœur prend le paquet avec mille précautions, le sourire jusqu’aux oreilles. Elles repartent en courant, leurs nattes enrubannées comme un sillon de couleurs. C’est tellement beau qu’on s’imaginerait dans une peinture impressioniste mais non, c’est encore mieux, c’est la réalité toute simple d’un jour de fête dans les montagnes du Chiapas.
Plus loin, des baby-foot et auto-tamponneuses d’un autre âge, presque un autre siècle. Comme si la modernité n’était pas encore arrivée jusqu’ici et pourtant, les jeunes ont tous des smarphones dernier cri, les femmes en jupe en lainage noir croisent de jeunes mexicaines au jean bien serré. Un petit garçon à la peau claire, vêtu d’un t-shirt à l’effigie de Batman, joue avec un Indien en guenilles. Une ville plurielle, aux mille visages, unie et réunie dans la même passion pour la Guadalupe.
Il faut croire que la religion donne faim. Du bas de la rue Real de Guadalupe jusqu’à la basilique, il y a des centaines de stands pour manger. Là, des churros. Plus loin, des cocktails de fruits frais, des chips françaises, des quesadillas. Et forcément des tacos. De toutes sortes. Végétariens. À la viande. Avec ou sans sauce piquante. Et toutes ces petites confiseries qui vous font de l’œil. Et même si on n’a pas vraiment faim, on se retrouve à vouloir grignoter rien qu’en regardant toute cette profusion. Que se soit en montant ou en descendant la rue, il n’y pas un moment de répit. On se retrouverait presque à prier la Vierge pour nous sauver de la tentation et nous délivrer du Mal.
À même le sol, enveloppés par ce kaléidoscope d’odeurs, des vendeurs ambulants proposent des gants, des écharpes; pas fous, en ces temps de froid polaire ! Et comme la foi fait des miracles, il y a aussi des vendeurs de glaces mais vu leur tête, eux aussi, ils se demandent bien ce qu’ils font là…
En ce mois de décembre, tout le Mexique fête la belle et intemporelle Tonantzin-Guadalupe. Il n’est pas difficile d’imaginer la folie qu’il doit y avoir du côté de la basilique de Mexico. On parle de près de 7 millions de personnes qui viennent lui rendre hommage…
Ici, à San Cristobal, c’est à moindre échelle mais la ferveur est bien tangible. De partout, des sons, des chants, des clameurs. De tous les coins de la terre et du ciel. Et au milieu, les pèlerins qui montent vers la Guadalupe. Imperturbables. La fête, ce sera pour plus tard. Plus loin, un orchestre. Un peu de marimba, un soupçon de cumbia et du merengue jusqu’au bout de la nuit. Les femmes dansent, rient. Les hommes regardent, hésitent puis finalement s’approchent. Les corps fusionnent. On est bien un soir de bal sur la terre. Et rentrer se coucher avec en-tête les cris de « Viva Juan Diego! Viva la Guadalupe !! ». Et prier pour que les pétards ne durent pas toute la nuit….
Traba.
San Cristobal de las casas. 11 janvier 2018.
» une Madonna mexicaine », j’adore !! « Like a prayer » !!
A lire l’excellent et surprenant essai de George dans la Voie du jaguar – Vierge indienne et Christ noir – et notamment l’Hommage à la Malinche.
Bises
Je pétille, les yeux traquant la moindre couleur, j’entends les cris les chants, les enfants qui piaillent, les jeunes, les vieux, les vielles l’odeur des bougies, de l’encens des churros, la salive à la bouche, ne sachant plus où en donner de la tête. Arrête Véro, arrête, la nostalgie me prend et j’aimerai être une étoile filante pour vous rejoindre.
A lire effectivement l’essai de George dans la voie du jaguar, qui nous transporte dans des temps éloignés que nous retoruvons au présent dans tes écrits.
Bises
Mais on n’attend que toi Anette. Viens!!!!