Á Ixthuatán, la preparatoria José Martí fait de la résistance. Contre les méga-projets miniers et éoliens qui se font de plus en plus féroces. Contre ce système capitaliste qui dévalue les formations où le bien-être de l’élève importe autant que celui de sa communauté. Une école qui se veut différente, et qui est vent debout pour défendre l’idée de jeunes conscientisés au service de leur communauté.
Le 7 septembre 2017, un séisme, d’une magnitude 8.5 sur l’échelle de Richter, aurait pu bouleversé ces trublions d’une éducation alternative. En quelques minutes, la preparatoria n’était plus que ruines et dévastation. Mais ce ne fut pas le cas. Loin de là !. Très vite, ils ont séché leurs larmes, relevé la tête et retroussé leurs manches. Prêt à reconstruire. Á produire des répliques de solidarité. Pour ne pas perdre leur bien le plus précieux, le bonheur de vivre ensemble sur la terre de leur ancêtres, les zapotèques et les ikoots.
La preparatoria José Martí est née le 13 juillet 1985 avec comme projet éducatif « former et accompagner les jeunes avec l’aide d’outils et de connaissances qui leur permettent d’améliorer leurs conditions de vie dans leur communauté ». Une école qui accueille principalement des jeunes entre 15 et 18 ans, dont les familles ont des ressources faibles, avec comme objectif de les amener jusqu’au bachillerato, équivalent de notre baccalauréat. Ces jeunes vivent au village, ils sont fils et filles de pêcheurs, de paysans. Le financement se fait sur la coopération des familles, à savoir 200 pesos par mois ce qui est largement insuffisant mais la volonté et l’abnégation de ses coordinateurs arrivent malgré tout à faire fonctionner l’école.
Cette école s’est construite autour de trois principes fondateurs :
– Protéger la vie et son territoire tels que les lieux sacrés, la mer, les champs pour qu’ils ne soient pas contaminés et qu’ils restent des lieux dédiés à l’agriculture et à la pêche, base de leur alimentation quotidienne
– La préservation d’un tissu social à travers des valeurs culturelles communes comme l’entraide, la fraternité, la coopération lors des fêtes, construire et entretenir des espaces communautaires, le rejet de l’égoïsme, de l’envie et de tout ce qui entrave le bon fonctionnement d’une communauté.
– Développer le travail collectif dans le souci de restaurer la langue, l’identité du territoire, l’alimentation et les fêtes traditionnelles. Créer un gouvernement selon ses propres besoins et ne plus dépendre d’un gouvernement phagocyté par les partis politiques.
Une institution qui se veut différente, qui cherche à ouvrir des espaces expérimentaux comme les ateliers vidéos, une radio communautaire, un atelier de théâtre-forum, un projet de revue, sans pour autant négliger, les matières classiques comme les mathématiques, l’espagnol et autres disciplines plus conventionnelles. L’important étant de former des jeunes éclairés, qui se refuseront à devenir de la main d’œuvre bon marché, dans ce monde capitaliste qui dévore les ignorants, les plus faibles.
Kiro, coordinateur de la preparatoria, est un jeune homme jovial, dont l’amour de son métier transparaît dans la moindre de ces paroles. « Il s’agit d’une preparatoria qui a la possibilité de faire un diagnostic avec la communauté pour voir qu’elles sont ses nécessités. Partir de là où nous sommes et se rendre compte que la nécessité, c’est de vivre bien. Et en premier lieu, il faut que nous nous reconnaissions entre nous, que nous prenons conscience de notre territoire. De là, surgit notre histoire locale, celle de notre peuple. Mais aussi voir ce que nous pouvons apporter à notre histoire. Et vivre selon une idée simple, l’école est la communauté et la communauté est l’école » (1).
Un projet qui s’inscrit totalement dans l’esprit du Congrès National Indigène (CNI) qu’ils ont rejoint en 2014. Une proximité avec la pensée zapatiste qui en fait une poche de résistance. Et dès qu’ils ont entendu parler des projets de mines dans la région, ils ont organisés une tournée de théâtre-forum pour informer et sensibiliser les communautés qui allaient être impactées par ces projets de mort. Manuel, un des coordinateurs, se souvient encore de cette tournée, du sourire dans les yeux. Un homme qui murmure plus qu’il ne parle, qui respire la douceur et la détermination. Rien ne semble pouvoir l’ébranler dans ses convictions les plus profondes. Le tremblement de terre ne l’aura assommé que quelques heures. Après avoir pleuré tous les larmes de son corps, il s’est repris. Pour sa communauté !
Le soir même, il écrivait un premier communiqué pour que le monde entier sache la douleur et la force de ce petit village dévasté. 28 autres chroniques suivront. Manuel mot à mot, pas à pas nous raconte les premiers émois et la prise de conscience qu’il fallait agir vite, ne pas laisser les monstres du gouvernement brader les terres laissées vacantes, à des multinationales sans foi ni loi. Une de leur première action a donc été de rassurer et d’inciter les gens à revenir chez eux. Nombres de ces communiqués finissaient par un percutant « C’est l’heure des peuples originaires. C’est l’heure de proclamer notre autonomie. C’est l’heure de reconstruire le peuple que nous avons été ». Ils ne se laisseront pas anéantir. Le message est des plus clairs. Et effectivement, dès le lendemain, les élèves ont arpenté les rues du village, écouté, recensé les priorités. Ils ont mis en place des comedors populaires. Ils ont montré leur capacité à être des jeunes responsables, au service de leur communauté.
Dans une de ses chroniques, Manuel avec une vraie sensibilité poétique raconte « C’est le moment pour que les adultes enseignent aux nouvelles générations la force qui nous a été donnée d’être le peuple que nous sommes; celle qui nous a permis de combattre les vents violents, armé du courage qui nous fait ressentir la chaleur quotidienne, de la joie que nous donne la pluie, de la fermeté de notre caractère et l’orgueil d’être un peuple originaire. Nous sommes un peuple organisé qui a lutté depuis toujours. Ce n’est pas le moment de craindre l’obscurité, la nuit ».
Par ces textes vibrants d’émotions et de force, il démontre qu’il est possible d’apprendre d’une catastrophe naturelle « Les jeunes que nous accompagnons, peut-être pas tous, mais un grand nombre d’entre eux, ont fait le pas pour ne pas continuer à être des victimes et se transformer en acteurs de leur propre histoire ».
En décembre 2017, la preparatoria a organisé une rencontre « Jeunes Constructeurs de son Histoire ». Une force nouvelle semblait les animer, la violence du séisme se traduisait comme des ondes de solidarités et un désir d’aller de l’avant. Un puissant appétit de vivre après ces heures de mort imminente. Lors de ces journées, ils ont élu trois consejales (2) afin d’intégrer le Conseil Indigène de Gouvernement (CIG) et venir en soutien à sa porte-parole, Marichuy. Une rencontre riche en émotion puisque c’est ce jour-là, qu’armés de masses, ils ont détruit les murs de leur prepatoria ou du moins ce qu’il en restait. Après, les machines ont fait le reste. Tout un symbole. Faire table rase pour mieux reconstruire. Une vraie pédagogie de la solidarité. Une belle leçon de vie.
Six mois plus tard. Un soleil incandescent. Un vent chaud et désobligeant parcourt les rues. Des motos-taxis déboulent dans un nuage de poussière. Des femmes pressées rasent les murs. Les enfants, sac sur l’épaule, traînent avant d’aller à l’école. Première vision de San Francisco Ixthuatán, petit village au cœur de l’Isthme de Tehuantepec. Plusieurs maisons, en ruine, nous dévoilent l’ampleur des dégâts. Des gravats. Des murs de guingois. Plus loin, un spectacle de désolation nous attend au cœur même du site de la prepatoria. Un tas de pierres, des murs qui résistent pour on ne sait quelle raison, des fils qui pendent et des tentes de secours comme salle de classe. Seule une fresque a résisté. Une femme maïs, symbole de ce Mexique paysan. Au centre, un grand espace vert où paissent des brebis et un cheval. La normalité est revenue mais il n’est pas difficile d’imaginer la violence de l’onde sismique, la puissance de la terre en furie.
Pour autant, les jeunes ont repris leur activité. Le jeudi et le vendredi, ils participent à la reconstruction de leur école. Sous un soleil implacable, des gars s’activent à faire du ciment. Les filles, méticuleusement, posent les briques une à une pour monter le mur de leur future salle de classe. Tout un travail de dés-apprentissage du genre, en douceur. Il a fallu beaucoup de temps pour que les filles ne soient pas cantonnées au balai ou à porter de l’eau. Dans cette école, tous les domaines de la vie sont questionnés, remis en cause non pas de manière frontale mais au rythme de chacun. Ici, rien n’est figé, tout est mouvement perpétuel. Et, lorsqu’un jour une fille s’est mis à vouloir faire du ciment, pas un ne s’est moqué. Le référent a pris le temps de lui expliquer puis elle a expliqué à ses copines et le tour était joué. Désormais, les équipes sont mixtes et se respectent. Une vraie avancée quand on sait le machisme qu’il règne au Mexique…
L’ambiance est à la franche rigolade, la musique rythme le travail de chacun, et ça plaisante sec. Un jeune balance à un autre « Waouh ! Ton mur, il est trop beau. Fais gaffe, tu vas être embauché par Trump !».
En 2015, l’assemblée communautaire de Pueblo Viejo a demandé à la preparatoria José Martí de créer une annexe sur leur territoire dans le souci que les jeunes puissent y étudier sans avoir à quitter le village. Pueblo viejo est situé près d’une belle lagune. Un véritable oasis dans ces paysages désertiques et une réelle opportunité pour ces fils et filles de pêcheurs d’apprendre une pédagogie différente, dans un territoire menacé par l’appétit grandissant des entreprise éoliennes, dont EDF en est un triste représentant.
Tout comme à Ixthuatán, il s’agit d’une école qui mêle tout à la fois des savoirs traditionnels et des connaissances pratiques. Pour exemple, un groupe va développer un projet de vivier de crevettes. Ce jour-là, ils patientent sous un arbre. Les gars sur les motos friment devant des filles faussement indifférentes. Mais lorsqu’ils aperçoivent Kiro et Manuel, ils se précipitent. Le matin même, des hommes sont venus couper du bois sur le terrain de l’école. Ils sont révoltés. Manuel part à la rencontre des responsables. Les jeunes suivent. Une discussion s’entame. Les jeunes écoutent avec attention. Peu après, Kiro reprend l’importance de protéger son territoire. Il demande à chacun son avis. Un propose d’aller à l’assemblée pour poser ce problème et que se soit l’assemblée qui discute avec les comuneros du village. Un autre souhaite faire des panneaux pour bien délimiter leur territoire et signifier que toute taille excessive de bois est interdite. Chacun y va de son idée. Çà bouillonne d’énergie. C’est une pédagogie en action, sous un arbre centenaire qui regarde sa jeunesse prendre sa part de responsabilité dans son devenir.
Un autre groupe est en train de construire un poulailler pour que les œufs et les poulets deviennent une source d’auto-financement. Un autre groupe a ramené les graines qu’ils ont récolté dans le village pour créer un potager communautaire. Chacun est allé demander à sa grand-mère, à son voisin des boutures pour l’école. Un moment de partage, un effort collectif pour que cette école s’autonomise et vive de ses projets. A voir le sourire des jeunes, l’école apparaît bien vivante, ayant dépassé le traumatisme du tremblement de terre et les projets foisonnent : vidéo, radio, ciné communautaire, théâtre-forum. Il n’y pas de doute, le séisme n’a pas entamé une once de leur fougue et de leur motivation à vivre sur leur terre. Peut-être même qu’elle les a renforcé. Et la phrase de Nietzsche semble prendre tout son sens « Ce qui ne tue pas, rend plus fort ! ».
La journée se termine. Manuel s’allonge dans l’herbe, heureux de cette journée, simple et pleine d’humanité à la fois. Tellement loin des standards éducatifs classiques et rébarbatifs. Les nuages reflètent son humeur vagabonde. Puis, petit détour, chez Hector, président des parents d’élèves. Sa maison est posée juste devant à la lagune. Décor de rêve. Il nous offre des bières et du poisson frit, tout simplement. En face, le soleil se languit de passer de l’autre côté de la terre. Les pêcheurs rentrent les barques. Leur silhouette se dessine dans une eau lisse comme un miroir. L’horizon n’est plus qu’une ligne de fuite aux rouges incandescents. Le silence est immense. La course du monde marque une pause. Il y a des bières qui valent des moments d’éternité…
Traba. Esteli, Nicaragua. 4 avril 2018.
(1) Subversiones. Débora Cerutti, « Prepas comunitarias en defensa del territorio », 26 janvier 2016. https://subversiones.org/archivos/120904
(2) Une fille, Jasani Martínez Mateos, d’origine huaves/ikoots et deux garçons, Rubén Fuentes Martínez et Aurelio Martínez Pineda, d’origine zapotèque/binnizá.
Les photos sont pas mal, c’est qui?
(hihi)
Quelle énergie !!
Abrazos