Nezahualcoyotl. La ville et le poète.

             Nezahualcoyotl. Roi, poète et architecte aztèque. Il donnera son nom à un des quartiers les plus importants de Ciudad de México. Il se dit aussi que c’est un des plus violents où les féminicides, les homicides sont parmi les plus élevés de l’état de México. Plus d’un million d’habitants Un quartier presque aussi grand que Paris intra-muros. Une démésure à la Mexicaine puisque sa capitale, elle, atteint près de 22 millions d’habitants.
Forcément, un quartier qui porte le nom d’un poète peut donner envie de faire de la poésie. Jonathan Ruiz, malgré les difficultés de vivre dans un quartier aussi chaotique, n’a pas hésité à saisir les mots pour parler de sa réalité quotidienne. Pour mettre de la couleur sur le gris des murs de sa ville.

 

            Neza, pour les intimes, est le fruit des migrations des paysans à la ville dans les années 1940-1950. De simples maisons de tôles et de bois, faites par tous ceux qui recherchaient un lieu près de la grande ville tant rêvée, Ciudad de México. Ces travaux collectifs ont permis d’amener l’électricité, de faire le drainage de la route. Une grande majorité venait de Oaxaca, Guerrero, Michoacan; ils ont reconstruit le mode de vie de leur village. Jonathan raconte que sa grand-mère voyait dans les tourbillons de poussière, l’oeuvre du diable et qu’elle les chassait en faisant des prières. Une image qui a longtemps poursuivi le jeune garçon et qui, peut-être, a alimenté sa façon de voir le monde.
Neza est née de rien, seulement des rêves de grandeurs de paysans pauvres. Et plus qu’un quartier, Neza est devenu une communauté avec une identité forte. Palpable dans le regard de chaque habitant. Puis le quartier a grandi, des pauvres hères débarquant chaque jour à la recherche de travail et de dignité. Les maisons se sont empilées, l’espace s’est réduit drastiquement et la montagne a perdu sa verdure pour se noyer dans le béton. Sur la terrasse de Jonathan, la vision est spectaculaire. Pas un seul espace vacant, des carrés de maisons de partout. Comme un sentiment d’une ville prête à imploser. Mais il suffit de se balader et de retrouver un peu de poésie dans ce chaos. Certaines rues portent, non pas le nom de généraux illustres ou anonymes, mais le nom de chansons célèbres comme Cielito lindo ou Camino de Michoacan. Et presque inconsciemment, cela rend la rue un peu plus jolie.

             Un quartier qui sait montrer son unité comme lorsque une bande de hooligans ont voulu se frotter au quartier lors d’une coupe du monde. Les pandillas, bandes de jeunes, ont fait front pour ne pas être envahi. Un code d’honneur régissait les relations entre chaque membre. La loyauté au quartier était une des valeurs les plus importantes. Les fêtes aussi donnaient de la vie et un sens communautaire à ces maisons fait de bric et de broc. Ces fêtes ont fait la réputation de la ville. Pour beaucoup, les bons danseurs de cumbias sont issus de Neza. Tout comme ceux qui savent bien parler, faire des vers, rimer sa vie et ses peines. La culture étant un moyen de transcender la réalité de ce quartier urbain, prêt à s’entredévorer.
Jonathan se définit de Neza avant même de se dire Mexicain. Il est né en 1988 dans ce quartier où sont arrivés ses grand-parents et où est née sa mère. Les trottoirs de la ville ont connu ses premiers pas, les murs ont écouté ses premières peines de coeur et aujourd’hui sa poésie, sa façon d’être au monde, il le doit selon lui à l’air qu’il respire dans ce quartier populaire de Mexico. La poésie est venue à lui presque par hasard. Il voulait être ingénieur, se dédier aux mathématiques mais l’école étant trop loin, il est parti rejoindre sa soeur dans une école de science politique. Ce fut tout autant une école de la vie, de la lutte et de la résistance. Il s’est mis à lire Platon, Hegels et avec un ami, Cienfuegos, ils ont crée un espace mural pour diffuser des textes, des dessins, de la poésie. Mettre l’art au service de la rue. À 17 ans, en 2005, il participe au concours de poésie de la mairie qu’il remporte. Il rencontre un poète du quartier, Porfirio Garcia, qui lui propose d’intégrer un groupe « Poètes en construction ». Son destin est scellé. Il sera poète. Ce groupe sera pour lui déterminant dans son apprentissage de la poésie. Il va se mettre à lire frénétiquement. Un de ses auteurs favoris devient Pablo Neruda. Dans ces ateliers, il apprend à ciseler les mots, à policer son style, à s’affronter à la critique sans pour autant renoncer à son idéal. Et lorsque un professeur lui dira, qu’il écrit comme Juan Gabriel, chanteur romantique par excellence, il ne s’en offusquera pas. Il s’enfermera chez lui, avec son cahier et après des milliers de ratures, de va-et-vient dans son monde intérieur, il apprendra à devenir moins lyrique et à dire l’essentiel de son jardin secret, de ses rêves, de ses peurs et de ses doutes. Son quotidien à Neza, la dureté de la vie d’un jeune homme pauvre qui multiplient les petits boulots pour survivre alimenteront aussi sa poésie. Son travail sera récompensé et il participera à l’ouvrage collectif des poètes de Nezahualcoyotl « La poésie est une arme chargée de futur ».
Dans ce groupe, il va s’attaquer à la sémantique, à la phonétique pour donner un rythme et une mélodie à ses vers. Dans ces ateliers, il n’hésite pas à lire sa poésie à haute voix pour écouter la musicalité de sa langue intérieure. Un groupe qui sera déterminant pour lui dans sa découverte de l’histoire de son pays parce que ces professeurs s’intéressent à tous les domaines. Ils remontent le passé, font communiquer le présent. Il découvre ses ancêtres, la langue Nahualt s’empare de lui et le fait héritier d’une histoire collective. Il part à la recherche des Dieux, de l’origine du monde pour y puiser sa force et dissoudre sa faiblesse. Perdu au milieu de milliers d’étoiles qui scintillent comme des phares dans ses ténèbres. Assoupi dans un ciel de rimes et de vers qui gesticulent dans les sens.
Aujourd’hui, le groupe est en sommeil. Porfirio, son mentor, a décidé après un infarctus de ne plus venir aux ateliers. Progressivement, le groupe s’est dissous. Jonathan en parle avec une certaine tristesse et surtout, il se souvient encore des mots de fin de Porfirio. Il a été anéanti. Comme s’il perdait un bout de lui. Il se souvient d’être rentré chez lui en pleurs. Comme s’il venait de perdre son père. Celui qu’il avait choisi. Celui qui l’avait ouvert à la poésie.
Tout ce travail en collectif lui a permis après un long temps de maturation, près de dix ans, de sortir son premier libre. Il en est fier. Il sait qu’il a trouvé son style et que maintenant, il faut l’améliorer, revenir sur l’ouvrage encore et encore. Ne jamais se lasser de vouloir bien faire, de chercher cette musicalité qu’il a au fond de lui. Pour finalement l’offrir au monde. En ouverture, il rendra hommage à son quartier, à cette ville qui l’a construite « Être de Neza et ne pas être poète est une contradiction biologique ». Parfois, il se laisse déborder par les mots et ne pouvant tout dire dans un poème, il écrit des articles journalistiques sur la réalité à Neza, sur la corruption qui gangrène tout, sur la violence qui n’est qu’un écran de fumée pour marquer l’inertie et l’indifférence du gouvernement. Il se dit militant et engagé afin que ces combats donnent une autre force à ses mots et vice-versa.
Jonathan sait désormais ce qu’il veut écrire. Il a affirmé son Être « Les poètes doivent écrire sur leurs parents et sur leur patrie. Et pour moi, ma Patrie, c’est Neza ». Effectivement, il a écrit un poème à sa mère où il a appris à être précis, à synthétiser en quelques mots tout l’amour qu’il a pour elle. Sans pour autant, dépasser les mots de Porfirio qui décrit sa mère comme étant la « Veuve de Dieu ». L’élève ne veut surtout pas dépasser le maître. Pas de son vivant du moins.
Il vit la poésie viscéralement, elle est inscrite dans chacun de ses pores et lorsque les images l’attaquent, il n’a pas d’autres moyen que de les coucher sur le papier. Pour lui, faire de la poésie, « c’est faire de la musique par les mots ». C’est pour cela qu’il lit autant qu’il s’imprègne de chansons pour nourrir son univers personnel, pour l’ouvrir à la richesse d’un autre artiste. Mélanger et transformer ce qu’il prend pour en donner une autre forme, une sonorité qui lui est propre.

            Jonathan est un jeune homme de son temps qui saisit tout ce qui l’entoure et sa passion des mots le conduit à animer des ateliers avec des enfants. Il leur a appris à se désinhiber devant la littérature, la poésie, à ne pas sacraliser l’écrivain et prendre de l’intérêt pour l’art en général. Et surtout, il leur rend possible un imaginaire. Il rompt les stéréotypes en montrant que venir d’un quartier populaire, « malfamé » n’est pas une barrière infranchissable. Il veut démontrer que le paradigme qui affirme que seul celui qui a de l’argent peut écrire n’est pas irréversible. Pour Jonathan, c’est la passion, la rencontre, les hasards qui font l’artiste et non pas le pedigree ni l’héritage.

Et finir sur un poème, en langue originale
Juste ressentir la musicalité, le rythme des mots

Dolores inagotables
Es necesario ocultarnos,
contarnos entre los muertos,
tomar distancia de las cosas,
andar en el frío de los otoños, deshojándonos,
entrar al mundo desprevenidos,
a crujir de sufrimiento por las calles
La ciudad arde en los rostros
como si las venas se fueran abriendo
caóticamente, hasta llorar de abandono.
Estamos hechos de dolores,
de tragedias repentinas,
de laberintos que
nos llevan como raíces tormentosas,
en las azoteas del tiempo.
Nada saben de nosotros
cuando a solas, en nuestras
propias ruinas, emergemos
hacia la muerte,
cuando salimos a derramar
ciertas gotas de tristeza en las grietas
del horizonte, donde tenuemente comienza a caer
la lluvia.

Traba, Août 2018

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