Ayotzinapa. Juin 2018. 45 mois d’absence. 1369 jours d’une douleur indicible. L’impunité prime toujours. Le silence complice de l’État continue de tisser son sombre linceul. La Justice n’a jamais daigné jeter le moindre coup d’œil du côté de l’Armée. Et le manque se fait chaque jour plus cruel. Mais pour autant, en ce mois de juin 2018, quelques nouvelles vont redonner de l’espoir.
Le 4 juin, le premier tribunal collégial de Tamaulipas rend une sentence inédite. Il peut paraître curieux que cela se passe à Tamaulipas, à plus l’état de 1000 km de l’Etat du Guerrero où se sont déroulés les faits. Mais au Mexique, cela est d’usage fréquent. Une justice faite pour compliquer la vie et les actions juridiques des familles ne possédant pas les ressources économiques nécessaire à ces longs déplacements. Parce que la Justice, au Mexique, n’est jamais du côté des pauvres.
Cette sentence n’est pas le fruit de l’action des parents et avocats des étudiants disparus. Elle émane des inculpés, membres du cartel Los Guerrerros Unidos, qui dénoncent des cas de tortures ayant abouti à des aveux sous contraintes. Ces aveux ont permis de construire de toutes pièces « la vérité historique », celle de la décharge de Cocula où aurait brûlé les étudiants. Aujourd’hui, cette thèse a été remise en cause par des experts internationaux mais celle du gouvernement n’a jamais varié d’un iota. Et parfois, il semble s’y accrocher comme un naufragé à son radeau.
Cette sentence affirme que l’enquête n’a été « ni rapide, ni efficiente, ni indépendante ni impartiale ». Elle insiste sur les manquements graves du Procureur Général de la République (PGR) qui n’a jamais voulu enquêter sur le rôle de l’armée ni sur les autres pistes proposées par le Groupe Interdisciplinaire d’Experts Internationaux (GIEI). Un État qui fait la sourde oreille, qui traîne pour lasser, user, fatiguer l’espoir mais les parents n’en démordent pas. Une seule devise les anime « Vivants vous les avez pris, vivant nous les voulons ».
Pour les parents, cette sentence est une bouffée d’air, un trouée dans la noirceur du ciel avec la possibilité de créer dans les dix jours, une commission de la Vérité composée des parents et de la commission nationale des droits humains (CNDH). Une bonne nouvelle qui ne peut pas laisser indifférent même en temps électoraux où les promesses pleuvent. Lopez Obrador, favori des sondages, est très attendu sur cette question épineuse. Et le sort de Peña Nieto est aussi à l’ordre du jour. Va-t-il sortir plus blanc que blanc ? Telle est la question ?
Mais la justice dans ce pays est loin d’être un long fleuve tranquille. Et les basses manœuvres vont se mettre en branlent. Pour tuer dans l’œuf cet espoir insensé après plus de trois ans d’enquête. Le 20 juin, la PGR informe de « l’impossibilité réelle, juridique et matérielle » de créer une commission de la Vérité. Huit jours plus tard, le même tribunal de Tamaulipas déclare qu’il faut éclaircir la sentence alors que c’est lui-même qui l’édicte. À croire qu’il n’est plus aussi indépendant qu’il affirme. Les coulisses s’agitent, les fils des marionnettes ressurgissent. Les parents sont embarqués dans un bateau ivre. Submergés par des vagues de cynisme et de mépris. La machine à corruption tourne à plein régime.
Le 26 juin, les parents reprennent la rue et scandent le nom de leurs fils. Une marche pour rappeler au président Peña Nieto que la fin de son mandat présidentiel ne met pas fin aux accusations portées contre lui. Une manière d’affirmer leur volonté d’enquêter sur le rôle de l’armée ce jour funeste du 26 septembre 2014.
Une manifestation sobre, émouvante comme ils les organisent depuis 45 mois. 1369 jours sans trêve ni repos. Juste cette volonté instinctive d’un jour serrer leur fils dans leurs bras. Un espoir fou, insensé pour celui qui n’a pas vécu cette épreuve, pour celui qui attend de voir le corps pour y croire. Et ce face-à -face avec la mort qui se dérobe à chaque question, qui emportent les réponses aux quatre vents. Une mort qui se joue à petit feu, sans pour autant éteindre la flamme. Évidemment, il doit y avoir des moment de doutes, de désespérance, des larmes secrètes, des cris échappés malgré soi dans le silence de rêves maudits. La nuit, ils sont sûrement pliés de douleur. Le jour, ils sont debout, prêts au combat. Le combat de leur vie. Celui du retour de leur fils. Presque le fils prodige au fur et à mesure que le temps passe et trépasse leurs espoirs.
Le 1er juillet, AMLO devient le nouveau président du Mexique. Sera-t-il à la hauteur des attentes ? Telle doit-être la question qui triture les parents.
Le 4 juillet, le troisième tribunal unitaire suspend pour un temps indéterminé la création de la commission de Vérité. Et comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, nous sommes au moment où la génération 2014-2018 de l’école normale vient d’être diplômée. Et où le vide se fait encore plus abyssal, où la douleur reprend sa forme primitive et où les pleurs redeviennent des rivières et où les cris se cognent au silence du monde. Il n’y a pas doute que ce jour-là, les 43 disparus n’ont jamais été aussi présents et où la joie des futurs professeurs ne pouvait être pleine et entière. Et malgré les sourires, ce chiffre qui fait tellement partie de leu vie : 43. Comme un tatouage indélébile. Indépassable. À jamais inscrit sur les murs de l’école normale rurale d’Ayotzinapa. Et au fond de tous leurs cœurs meurtris.
Pour enfoncer le clou, le troisième tribunal unitaire de Tamaulipas, le 18 juillet valide l’impossibilité juridique de remplir les conditions pour créer la commission de la vérité. Ce même jour, les parents émettront un communiqué « il s’agit de la conséquence d’une action inédite du gouvernement de Peña Nieto qui a posé plus de 100 recours et écrits juridiques contre la commission de la vérité présentés à la fois par le président de la République, les secrétaires d’État, la commission exécutive d’attention aux victimes, la chambre des députés ».
Pour Amnesty International, il est clair que cela « démontre qu’il y a une volonté politique d’occulter la vérité sur les 43 étudiants disparus ». Un crime d’État qui ne veut toujours pas dire son nom…
Un espoir qui n’aura pas duré plus qu’une éclipse de lune dans un ciel d’été. Aujourd’hui, les parents continuent le combat, ils ne renoncent à rien, le cœur un peu plus lourd, le pas un peu moins vif. Mais avec la volonté chevillée au cœur de faire appel devant la Suprême Cour de Justice de la Nation (SCJN) pour qu’enfin justice soit rendue. De vaillants Don Quichotte qui coûte que coûte veulent faire tomber les moulins du mensonge de ce Narco-État tout-puissant.
A suivre…
Traba. Marseille. Juillet 2018