Pendant très longtemps, la question des populations noires au Mexique a été occultée, confinée dans les marges de l’Histoire. Par contre, des pages entières ont été consacrées aux mauvais traitements infligés aux indigènes par les conquistadors. Puis, les Mexicains sont devenus, dans son immense majorité, un peuple de métis, avec bien sûr une hiérarchie en fonction de la clarté de la peau. Les indigènes, par la voix des zapatistes ont réussi à conquérir une certaine reconnaissance sociale alors que les populations noires n’en sont encore qu’aux prémisses.
Par la force de vents porteurs, les opprimés d’hier sont devenus les afro-mexicains d’aujourd’hui. Mais pour bien comprendre ce concept d’afro-mexicanité, il nous faut remonter à la source de l’histoire, écouter les légendes du passé et appréhender le présent dans toute sa complexité. Et surtout rappeler que cette population déracinée, opprimée, a largement contribué par sa force de travail à la formation économique, social et culturel du pays. Une composante culturelle, certes minoritaire, (1) du Mexique du XXI ème siècle mais qui ne veut plus se taire.
Souvent, l’histoire des minorités se transmet par une histoire orale, au coin d’une rue, à l’ombre d’un arbre, dans le secret des familles. À Cuajinicuilapa, une des principales villes d’ascendance afro, beaucoup relatent l’histoire d’un naufrage d’un navire négrier au large des côtes d’Acapulco pour expliquer la venue de leurs ancêtres. Les survivants se seraient enfui et auraient créé une société d’hommes et de femmes libres, los cimarrones. Ils ont par la suite formé des colonies libres, les palenques. Mais ces hommes, femmes et enfants amenés de force d’Afrique subsaharienne l’ont été par la cupidité des hommes et plus particulièrement des conquistadors espagnols. (2)
En 1519, Hernán Cortès et ses hommes sont arrivés au Mexique avides de richesses, à la recherche de tout l’or du pays. Pour cela, il leur fallait une main d’œuvre importante. Les populations originaires se sont tuées à la tâche, sortant des ponts d’or jusqu’à la couronne d’Espagne. Un autre point de vue dirait des ponts d’os…
Vers 1542, lorsque la population indigène a été décimée par les épidémies et la brutalité de leur bourreau, les conquistadors toujours aussi frénétiques, ont ramené les esclaves noirs. Remplacer une force de travail par une autre caractérise bien le cynisme de ces hommes venus de l’autre côté des mers. Pour eux, des hommes sans Dieu ne pouvaient qu’être des sous-humains. Un génocide perpétré au nom de ce Dieu tout-puissant.
Bien que la plupart des esclaves soient arrivés au port de Veracruz, nombre d’entre eux ont débarqué sur la Costa Chica du coté de Pinotepa Nacional ou vers Los Cortijos pour s’occuper du bétail, de la pêche et travailler dans les mines. Huatulco est ainsi devenu un point d’entrée clandestin, connu pour sa population de Noirs libres.
Dans l’histoire de la conquête, les femmes ont été doublement victimes. À l’égal des hommes, elles ont été forcées à travailler mais en plus, les colons se sont servis de leur corps pour assouvir leurs bas-instincts. Le consentement n’entrait absolument pas dans leur logique de dominant. Il est important de souligner que l’histoire du métissage, dont se gargarise les Mexicains, est d’abord une histoire de viols généralisés.
En parallèle, ils ont érigé tout un système de castes ségrégationnistes qui visaient à éviter les mélanges entre les différentes populations et ainsi préserver la pureté « raciale » des Espagnols. Ce système institue de fait une échelle inégalitaire dans la société : les Blancs se trouvent en haut de la pyramide établie et les noirs dans les bas-fonds de l’histoire : « Les personnes de phénotype noir étaient considérées comme une race indésirable, porteuses de vices et incapables de s’adapter au progrès ». ( La Jornada, 05/09/2014). Un florilège de noms digne d’un inventaire à la Prévert va donner lieu aux multiples combinaisons possibles entre blanc, indiens et noirs. Criollos, mestizos, mulatos ou saltapatrás autant d’appellation comme des marques aux fers rouges pour des générations et des générations (3).
Mais, l’histoire orale ne veut pas seulement se souvenir des humiliations. Les cimarrones, ces hommes libres permettent de se ré-approprier l’histoire et de mettre en avant des héros comme Gaspar Yanga arrivé, en 1579, à Veracruz en tant qu’esclave. Il serait fils d’un roi du Gabon et est très souvent décrit comme un homme grand, fort et intelligent. Yanga, déchaîné dans tous les sens du terme, pris la tête d’un groupe d’homme et s’enfuirent dans les montagnes où ils construisirent une colonie libre. Pour survivre, ils ont pillé des fermes, attaqué la route qui reliait le port à la capitale de la Nouvelle-Espagne, une des voies de communication et de transit, d’une très grande importance économique. En 1609, la colonie représentait plus de 500 hommes et femmes. L’armée fut appelée à la rescousse et après plusieurs affrontements, l’amnistie fut signée et la colonie fut nommée sous le nom de San Lorenzo Los Negros et renommée Yanga en 1932. Elle a été la première municipalité d’esclaves libérés dans les Amériques.
Au milieu du XVIème siècle, deux hommes règnent sur la région autour de Cuajinicuilapa. Il s’agit de Don Mateo Anaus et de Don Mauleon. À cette époque, de nombreux cimarrones sont arrivés dans la région pour chercher refuge et créer de petites communautés qui leur permettaient de reproduire leurs schémas culturels et de vivre avec une certaine tranquillité loin de leurs tortionnaires. Don Mateo Anaus et Don Mauleon leur ont fourni une protection et de ce fait, avaient à leur disposition une main-d’œuvre bon marché. Dans leurs haciendas vivaient ensemble tous ceux qui se consacraient au travail de la terre, de la laiterie, du tannage des peaux, à la préparation de la fourrure, de l’administration et des soins domestiques: l’espagnol, les maîtres et leurs familles. Indiens, Noirs. Les esclaves sont alors devenus des vaqueros, des cow-boys.
L’Indépendance en 1810 met fin aux relations ségrégationnistes et décrète l’égalité de tous les citoyens vivant sur le sol mexicain grâce à Vicente Guerrero, un des seuls afromestizos qui a su sortir de l’ombre. En tant que président de la République, il abolit l’esclavage en 1829. La préoccupation centrale est alors de définir l’identité du Mexicain à partir du concept de métis (enfants d’Espagnol et d’indigènes) qui contrairement aux postulats du racisme européen, est valorisé. Le nouveau processus d’édification de la nation se crée à partir d’un dialogue exclusif entre Métis et Indigènes. Ces derniers, représentants à eux seuls, la diversité culturelle du Mexique. Les Noirs disparaissent historiquement. Et ce, pour un long moment encore…
En 1878, l’hacienda Miller s’installe à Cuajinicuilapa. À sa tête, la société Pérez Reguera, appartenant à la bourgeoisie d’Ometepec, et à Carlos A. Miller, ingénieur en mécanique américain d’origine allemande. L’hacienda se consacrait à l’élevage de bétail, à la culture du coton et il y avait aussi une savonnerie. Ce domaine englobait toute la municipalité de Cuajinicuilapa, d’une superficie d’environ 125 000 hectares. Elle eut un rôle prédominant dans la gestion et le contrôle de la ville.
Au Mexique, peu d’anthropologues se sont penchés sur la question des populations noires si ce n’est Gonzalo Aguirre Beltran (4). Ce dernier a démontré la présence historique des populations noires au Mexique ainsi que leur rôle dans la formation de la culture nationale, à travers l’idéologie de l’intégration et de l’assimilation. Il parlera alors d’afromestizos et leur culture sera alors vue comme une variante régionale de la culture mexicaine. Pendant longtemps, Beltrán reste seul à travailler sur le sujet. Ce n’est que dans les années soixante-dix et quatre-vingts que certains chercheurs ont commencé à s’intéresser aux Noirs mexicains comme par exemple Luz María Martínez Montiel, qui est devenue la première femme africaniste du pays (5). Dans les années quatre-vingt-dix, le Conseil National pour la Culture et les Arts met en place le programme de la Tercera Raíz qui consiste à « sauver, promouvoir et diffuser les éléments résiduels de l’Afrique dans les cultures populaires du pays ». À partir de ces années-là, il y a comme une effervescence autour de la question de l’afro-mexicanité. Les populations noires s’organisent et créent différentes rencontres comme celle qui se déroule à El Ciruelo sur la Costa Chica de Oaxaca. En parallèle, une émission de radio « El Cimarrón » voit le jour. Puis, une association civile, Mexico Negro, se crée avec comme objectif la reconnaissance constitutionnelle des populations noires du pays comme une des ethnies de la république mexicaine. Sous leur impulsion, le premier Museo de las culturas afro-mestiza voit le jour à Cuajinicuilapa en 1998.
Les années 2000 voient le processus se poursuivre avec la proclamation par les Nations unies de l’année 2011 comme « Année des afro-descendants » afin de promouvoir les droits et le développement de ces populations. Par la suite, se crée le réseau de femmes Costa Chica qui se concentre sur la mobilisation politique des femmes noires de l’état de Oaxaca. Et ce n’est seulement qu’en 2015, que les Mexicains d’origine africaine apparaissent dans le recensement. Indéniablement, un premier pas vers une reconnaissance institutionnelle.
Mais tout cela reste largement insuffisant surtout lorsqu’on jette un œil sur une télénovela. Sur le petit écran, les minorités sont le plus souvent représentées comme des domestiques ou des gens pauvres. Les patrons, eux, le plus souvent ont la peau claire. Et il n’est même pas nécessaire de parler des publicités. Tellement cela est édifiant. Il suffit alors d’éteindre sa télévision, de traverser la rue en bas de chez soi pour se rendre compte que le Mexique vivant et coloré est omniprésent et que ce pseudo-spectacle télévisuel n’est que le reflet des dominations qui se jouent dans le pays.
Ultime consécration, la Chambre des députés approuve une réforme du deuxième article de la Constitution dans laquelle sont reconnus les peuples afro-descendants du Mexique : « Afin de garantir leur libre détermination, leur autonomie, leur développement et leur inclusion sociale ». Nous sommes le 28 juin 2019. Plus de 500 ans après l’arrivée des premiers esclaves sur le sol mexicain. Vaut mieux tard que jamais, c’est sûr…
Pourtant, même si cette reconnaissance sociale fait son chemin, les droits ne suivent pas vraiment et la discrimination continue d’être le sort de nombreux afro-mexicains. Selon les estimations du gouvernement, une personne d’ascendance africaine sur six (15,7%) est analphabète, ce qui représente près de trois fois le taux national (5,5%). Et en discutant avec toutes les personnes concernées, il s’avère que le racisme est toujours aussi prégnant. Certes, la reconnaissance institutionnelle est un premier pas important mais les mentalités doivent changer, la télévision doit s’ouvrir aux minorités, la scène politique ne doit pas seulement les utiliser comme des alibis de campagne et la culture ne plus les enfermer dans un folklore de pacotille.
Et maintenant, il est temps de donner la parole aux hommes et femmes d’origine africaine, qui vivent sur la Costa Chica du Guerrero. En route !
Oaxaca, 17 Novembre 2019
(1) L’estimation des spécialistes de la taille de la population afro-mexicaine sur la Costa Chica est de 15 000 à 50 000 (6,5%), dans l’état de Guerrero et environ 35 000 dans l’état de Oaxaca (4,9%) et 3,3% pour Veracruz
Au Mexique, selon les données INEGI, 1,16% de la population nationale s’identifie comme afro-mexicaine.
(2) Le Mexique et le Pérou ont été les pays hispaniques qui ont accueilli le plus grand nombre d’Africains durant la première période du commerce atlantique des esclaves, en particulier entre 1580 et 1640. Au cours de cette période, entre 200000 et 250000 Africains sont arrivés en Nouvelle-Espagne, sans compter ceux qui sont arrivés clandestinement et ceux qui sont nés esclaves sur place
Sur la traite des noirs dans son ensemble, le nombre de victimes est difficile à estimer, mais on sait qu’entre 1492 et 1870, au moins douze et demi millions de personnes africaines asservies ont été transportées dans diverses régions du monde par des commerçants portugais, anglais, français, hollandais et espagnols, destinés aux plantations de tabac, de canne, de café, de coton et de riz, aux mines d’or et d’argent ou comme domestique.
(3) https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-41590774
(4) « La población negra en México », Gonzalo Aguirre Beltrán, 1946.
(5) « Negros en America », Luz María Martínez Montiel, 1992
Très beaux articles sur cet aspect méconnu. bises
J’apprends des choses Véronique grâce à cet article.
De tout coeur Merci y un grand beso.
Oh les Choupis ! Merci pour ce bel article – ça m’a fait penser aux Black Indians xxx vous manquez ! xxx Brexita