Ayotzinapa. Six mois de combat et de douleur.

             Octobre 2014, premier pas au Mexique sous le signe d’Ayotzinapa. Quarante-trois étudiants disparus. Trois vies écourtées, saccagées par la police municipale d’Iguala, épaulée par les narco-trafiquants du Guerrero. Une tragédie humaine à l’échelle de tout un pays.
Face à l’intolérable, les parents, l’espoir chevillé au corps, recherchent leurs enfants dans tous les coins du Guerre, jusque dans les garnisons militaires. Le pays, en larmes, réclame Justice. Le pays, en colère, laisse éclater sa douleur et sa rage dans la rue. Le 20 novembre 2014, manifestation historique, le peuple est dans la rue. L’état est au bord de l’implosion.

26 mars 2015

Aucune nouvelle des quarante-trois étudiants d’Ayotzinapa

             Six mois plus tard, un bref rappel des inepties du gouvernement d’Enrique Peña Nieto face à l’incroyable force de conviction des parents. Comme une véritable partie d’échec où Enrique avance un pion pensant mettre échec et mat l’opposition mais où les parents redoublent leur coup sans faillir. La partie est loin d’être terminée. La lucha sigue ! Sigue !!

             Malgré la douleur, malgré les coups bas, les parents des disparus n’ont jamais cessé de se battre, de galvaniser toute cette énergie de révolte pour créer des mobilisations sans précédent dans le pays. Voilà, une des grandes « leçons » transmises par les parents, En outre, par leur opiniâtreté et leur intégrité, ils ont réussi à mettre sur la place publique la question des disparitions forcées, sujet éminemment tabou au Mexique.
Dès l’annonce de la disparition, les parents ont su se mobiliser, s’organiser en Assemblée Populaire Nationale (ANP) avec la collaboration de nombreuses organisations sociales du Mexique. C’est par ce biais que sont décidées les actions fortes pour faire bouger les lignes du gouvernement. L’ANP a pour volonté de construire un nouveau pacte social. Á ce jour, onze assemblées ont été organisées.

La première quinzaine de janvier, démarrent des recherches citoyennes, effectuées par les parents, les polices communautaires du Guerrero et les membres de différentes organisations sociales participant à l’ANP.
Depuis le début, les parents des disparus demandent un éclaircissement sur le rôle de l’armée lors de cette funeste nuit du 26 septembre 2014, et plus spécifiquement sur celui du XXVIIème bataillon d’Iguala.
L’état faisant la sourde oreille, ils iront chercher la réponse eux-mêmes comme ce 12 janvier où ils réquisitionnent un camion coca-cola et entrent de force dans la caserne. Il s’en suivra des heurts violents. Omar Garcia, un des étudiants survivant, faillit y perdre un œil. Une action spectaculaire à la hauteur de leur douleur.
Les parents des disparus n’auront de cesse pendant ces six mois de réclamer la présentation en vie de leurs enfants, la condamnation des responsables de ces disparitions et assassinats. Ils exigent également la mise en procès de l’ex-gouverneur Ángel Aguirre Rivero, la liberté immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques, la démission d’Enrique Peña Nieto. « Fuera Peña » se retrouve sur tous les murs du pays.
Les parents des disparus sont pour la plupart de simples paysans, ils ne sont pas de grands stratèges, mais ils ont une vraie intelligence de cœur et un vrai sens de la lutte. Sans élection, pas d’élus et plus de faux-semblants. Face aux enjeux électoraux de juin 2015, ils donnent un seul et unique mot d’ordre : le boycott des élections. Pour les parents, indéniablement, ni les institutions, ni les partis politiques ne peuvent représenter les intérêts du peuple.

Le 26 janvier, huitième journée d’action globale pour Ayotzinapa avec quatre marches simultanées qui convergent toutes sur le zocaló de Mexico. Le lendemain, le scénario du meurtre et de la crémation des corps des étudiants dans une décharge près d’Iguala par le gang des Guerreros Unidos est présenté comme « vérité historique » par Jésus Murillo Karam, procureur général de la république. L’objectif, non-avoué, étant de classer le cas Ayotzinapa.
Refusant cette version « officielle », les parents dénoncent la campagne de dénigrement contre le mouvement social en appui aux étudiants disparus. Ils mettent nommément en cause, Rogelio Ortega Martínez, gouverneur intérimaire du Guerrero, coupable de sur-militariser la zone dans le but non-avoué de provoquer des divisions. Diviser pour mieux régner, une stratégie vieille comme le monde. Depuis l’époque de la guerre sale dans les années 1970, les gouvernements en place sont devenus spécialistes en la matière.

Mais, les parents ne lâchent rien, ils sont prêts à tout, à frapper à toutes les portes, à sonner toutes les alarmes pour que l’oubli ne fasse pas son sale travail de sape. Face à un gouvernement expert en manipulations en tout genre, ils internationalisent la lutte en déposant des plaintes juridiques devant la CIDH, l’ONU et le Tribunal Permanent des Peuples.
La résonance de ces disparitions est tout autant nationale qu’internationale. Désormais, le monde entier à les yeux rivés sur le pays. Les gouvernants ne peuvent pas étouffer l’affaire, comme ils le faisaient si bien dans le passé. Le scandale est d’envergure et cette fois-ci, ils doivent rendre des comptes.
Les 2 et 3 février, l’état mexicain a dû s’expliquer devant le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées. Une première depuis qu’il a signé la convention contre les disparitions forcées entrée en vigueur en 2010. En parallèle, une délégation des parents s’est aussi rendue à Genève, où ils se sont exprimés à huis clos, avec plusieurs ONG, devant les dix experts indépendants du comité Nations Unies. À la sortie de l’audition, Bernabe Abraham, le père de l’un des étudiants a déclaré devant les journalistes : « Notre gouvernement nous a trompés (…) nous n’avons pas confiance, une bonne réponse serait qu’il dise « nous avons les enfants ». Les participants ont demandé par écrit que le Mexique poursuive l’enquête sur cette affaire.

Au Mexique, le 5 février est l’anniversaire de la constitution politique mexicaine. Une date symbolique que les parents choisiront en organisant une Convention Nationale Populaire. Ces rencontres ont eut lieu à l’école normale d’Ayotzinapa avec la présence de deux mille personnes et de 224 organisations sociales. Cette Convention Nationale Populaire s’entend comme un exercice d’auto-gestion, pour rendre le pays plus juste et plus équitable, mettre en place de nouvelles institutions et un gouvernement basé sur les décisions du peuple avec l’idée de créer des solidarités citoyennes à la fois politique, économique et culturelle à la fois.

Inflexibles, les parents luttent coudes à coudes, mots à mots et rédigent un manifeste de dix points où ils récusent la version gouvernementale :
1. Il n’existe aucune certitude scientifique sur le déroulement des faits à la décharge de Colula.
2. La déclaration de Felipe Rodríguez Salgado, un des sicaires des Guerreros Unidos, contrairement à ce que dit la PGR, n’est pas déterminante pour éclaircir ce qu’il s’est passé à Colula.
3. L’information donnée par la PGR dépend essentiellement des déclarations rendues devant le ministère public qui peuvent être facilement manipulées
4. La PGR, ni aujourd’hui, ni dans aucune autre conférence n’a expliqué selon sa théorie le cas de l’assassinat cruel de Julio César Mondragón, dont le corps dépecé a été retrouvé tout proche du lieu des faits.
5. À quatre mois des disparitions, l’état mexicain s’est montré incapable d’arrêter ceux, selon son hypothèse, qui sont responsables.
6. La PGR n’a pu initier aucun procès pénal pour le délit de disparition forcée de personnes.
7. Dans le même document où apparaissent les déclarations des supposés sicaires de Cocula, on trouve également les déclarations d’autres sicaires d’Iguala qui confessent avoir agi contre les étudiants non a Cocula mais à Pueblo Viejo et au Cerro la Parota.
8. Il n’y a de certitude que sur la mort d’un seul étudiant disparu. Cela n’implique pas de certitude sur la mort des autres.
9. La responsabilité de l’armée n’a pas été étudiée.
10. L’enquête sur les responsabilités dans le cadre de la corruption politique révélée par les faits du 26 septembre n’a pas commencé.

Les parents trouveront un soutien de poids avec l’équipe d’enquêteurs argentins diligentés par eux dès octobre 2014, pour suppléer aux vides de l’investigation. Le 7 février, ces experts déclareront  : « Le lieu de crémation des étudiants indiqué par la PGR est un lieu où des feux ont lieu depuis au moins 2010. Les restes humains retrouvés dans la décharge de Cocula ne sont pas ceux des quarante-trois étudiants disparus. Il n’y aucune évidence scientifique des faits relatés par la PGR. L’enquête sur Ayotzinapa ne peut donc rien conclure à la vue du nombre de données non encore traitées ». Face une telle déclaration, l’état mexicain ne peut plus décemment classer l’affaire. L’ex-président Vicente Fox ne l’entend pas de cette oreille et aura l’indécence de déclarer à Univisión: « Les parents ne peuvent pas vivre éternellement avec cette idée en tête, la vie continue ». Entre les lignes, on pourrait presque lire, les affaires continuent. Un cynisme d’état bien digne de la race des président sans foi ni loi auquel appartient Enrique Peña Nieto et consort.

Á l’heure actuelle, le Guerrero est toujours en résistance. Chipalcingo est devenu le nerf de la guerre. Des actions sporadiques quotidiennes sont réalisées, pour rendre inconfortable la gestion du pouvoir, pour signifier que la lutte continue. Comme une piqûre de rappel de la force de leur incroyable conviction. Des actions qui sont aussi des symboles. Ce sera indéniablement le cas, le 20 février, lorsque Coca-Cola suspend la distribution de ces produits à Chilpancingo suite à la rétention des gérants de l’entreprise. Cette séquestration avait pour but de demander la libération de leurs compagnons arrêtés pour avoir dévalisé les camions de livraison de la firme internationale. Une petite révolution dans un pays addict à la boisson sucrée.
Le gouvernement exaspéré met en place son bras le plus répressif. Pour exemple, le 24 février, lors d’une marche du syndicat des maîtres d’école du Guerrero (CETEG) à Acapulco. Cette manifestation pacifiste se soldera par la mort du professeur retraité Claudio Castillo, tué sous les coups de la police. Lors de cette répression féroce, cinq institutrices seront violées par les policiers. Tous les témoins diront qu’ils avaient l’impression d’avoir à faire face à des chiens hargneux, à une meute enragée.

Les mois passent, l’absence se fait de plus en plus intolérable mais la ténacité des parents est toujours aussi indestructible. À cinq mois de l’horreur, comme tous les 26 de chaque mois, ils organisent une journée d’action globale. Prêts à recommencer tous les 26 de l’année s’il le faut. Ils ne dérogeront jamais à leur devise : « Vivos se los llevaros, Vivos los queremos ».
Le jour suivant, le gouvernement lâche un de ces hommes les plus controversés. Le Procureur Général de la République, Jésus Murilo Karam est muté au poste de secrétaire du développement agraire, territorial et urbain. Une mutation comme un désaveu cinglant. Pourtant, tout cela démontre que l’incompétence, le mépris de justice et de vérité n’est pas une faute grave mais seulement une irrégularité à peine digne d’un placard doré.
À l’heure actuelle, la nouvelle procureur, Arely Gómez ne s’est toujours pas réuni avec les parents des disparus. Elle a qualifié ces disparitions de « cas isolé ».

Le gouvernement face aux multiples pressions nationales et internationales ne peut qu’avaliser l’arrivée du groupe interdisciplinaire d’experts indépendants de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH), le 1er mars 2015.
Le 8 mars, les mères des disparus se joignent au cortège de protestation sur la condition des femmes au travail, dans la famille, à l’école, dans la société mexicaine en général. Une journée de la femme pour se solidariser avec les quarante-trois mères qui attendent toujours le retour de leur fils à la maison à près de six mois de l’indescriptible tragédie.
Le lundi 16 Mars, parents et étudiants ont commencé une tournée aux États-Unis. La visite a été appelée «Caravane 43» et se rendra durant un mois dans quarante-trois villes à travers tout le pays-. Cette caravane a été divisée en trois itinéraires différents qui seront effectués simultanément : un groupe vers le nord et l’ouest du pays, un autre par le centre et un autre à l’est. Le 28 Avril, les trois groupes se réuniront à New York et essaieront de parler devant les Nations Unies. Une action de poids quand on connaît l’importance économique et morale des États-Unis sur le Mexique.
Le 19 mars, les experts indépendants de la CIDH ont présenté un premier rapport et préconisent que le cas soit qualifié de « disparition forcée » et ainsi cette infraction deviendrait « crime contre l’humanité ». Un délit qui serait alors imprescriptible et qui permettrait de ne pas enterrer l’affaire lorsque le monde regardera ailleurs.
Mais les parents peuvent compter sur l’appui d’ONG comme d’Amnesty International, comme le montre ce communiqué du 26 mars : «Nous exprimons notre préoccupation devant les récentes tentatives du gouvernement mexicain de discréditer et de ne pas prendre en compte les recommandations et observations d’organisations internationales de défense des droits de l’homme».
Ce 26 mars 2015, à six mois de la disparition des quarante-trois étudiants, une grande manifestation a eut lieu à Mexico DF. Des milliers de citoyens ont parcouru les principales artères du centre de la capitale. Sur une des banderoles, on pouvait lire  «Le Guerrero demande justice pas des élections».
Une délégation de parents, d’étudiants et de membres d’organisations civiles ont remis une lettre en ce sens à l’Institut national électoral (INE). Meliton Ortega, oncle de l’un des disparus déclarera : «Ces six mois ont été pour nous une période de torture, de douleur, de souffrance». Des mots simples bien en-deçà de l’horreur de leur vie quotidienne, six mois après les faits.

             Aujourd’hui, les échos d’Ayotzinapa nous parviennent depuis le Guatemala par la voix de Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix, qui déclarera lors d’un passage au Mexique : « Une attaque comme celle d’Ayotzinapa ne doit pas s’oublier parce que l’oubli signifierait que cela puisse à nouveau se reproduire ». Personne ne souhaite que le silence s’abatte sur ce drame. Et c’est pour cela que les parents, infatigables pourfendeur de vérité, viendront partager leur douleur et exiger justice lors d’une tournée en Europe (Paris, Marseille sont prévus), dans les mois qui viennent.

26 Mars 2015
Une demi-année
Six mois d’absence,
Six mois d’un combat acharné,
Six mois de larmes, de nuits sans sommeil,
Six mois de rage et de douleur incommensurable
Et toujours aucune nouvelle des quarante-trois disparus d’Ayotzinapa

Ciudad Guatemala, 29 mars 2015

Please follow and like us:
Pin Share

Une réflexion sur “Ayotzinapa. Six mois de combat et de douleur.

  1. La soirée préparée de main de maitre par quelques admirables personnes à Marseille pour recevoir la délégation mexicaine du Guerrero a été un succès. 200 personnes étaient juchés dans l’amphi Chimie de la fac St Charles et ont écouté les discours très clairs des intervenants.

  2. Pingback: Ayotzinapa. Cinq ans de trop! | de l'autre coté du charco

Répondre à Cathy Ferré Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *