Mexico, le temps d’un battement d’ailes.

Marseille. Départ au petit matin sous une lune pleine. Excitation et manque de sommeil. État étrange où la conscience n’a plus vraiment son mot à dire. Le corps, les sensations prennent le dessus. Le vide et le silence comme seul compagnon de voyage. Puis toutes ces heures sans vies dans des aéroports sans âmes. La fatigue nous mord le corps. Pour autant, le sommeil ne fait que passer presque indifférent à nos besoins.
Premier pas sur le sol mexicain. Mais l’aéroport de Mexico DF, est-ce vraiment le Mexique ? Pas encore… Pas tout à fait…
L’avion survole la ville. Mexico n’est plus qu’un ruban de lumière dans cette immense obscurité. Elle se déploie. À l’infini. Puis bute sur des îlots sombres comme une mer sans étoile. Et le silence se fait. Interminable.

À Oaxaca, une lune ronde nous accueille. C’est étrange d’être partis sous la même lune et de se retrouver juste de l’autre côté. Sur un autre continent. Déjà un autre monde ! Comme une promesse que l’on se serait faite à soi-même.
Le taxi traverse une ville endormie. Des images défilent : les néons blafards des taquérias, quelques silhouettes furtives le long de vieilles maisons sans âge, les visages quasi effacés des 43 disparus d’Ayotzinapa. Plus loin, l’écho des musiques qui s’échappent des cantinas et à travers la vitre sale, deviner tous ces murs colorés qui se refusent à la nuit. Et se coucher en savourant déjà le premier réveil.
En voyage, il y a des matins plus intenses que d’autres. Se réveiller les cinq sens en éveil et redécouvrir ce ciel unique au monde. Se laisser happer par l’odeur entêtante des tacos. Retrouver le bruit fou des bus de ville. Être sidéré par le volume de la musique qui jaillit de partout. S’adosser à des murs aussi vivants que nos souvenirs. Et à chaque coin de rue, rester sans voix devant cette beauté intemporelle. Et croire qu’elle n’attendait que nous…

Plus de doute, nous sommes bien au Mexique. Il ne nous reste plus qu’à partir à la recherche de nos rêves. Première escale. Une fête. Forcément, une fête ! Il y a toujours un saint, une vierge ou une bonne raison pour se retrouver et danser en oubliant que la terre ne cesse de rugir depuis plusieurs semaines.

Huitzo, fête de la Virgen del Rosario

Samedi soir, 20h20, la terre a tremblé dans l’état de Oaxaca. Pour la énième fois.
Au village, la nouvelle arrive en quelques secondes. Chacun sur son portable, commente, regarde le degré des secousses. Juste à coté, dans un village à moins de deux heures de là. À peine quelques centaines de kilomètres. Ce soir, c’est 5.1 sur l’échelle de Richter. Bien moins fort que la dernière fois mais chacun dans son silence se demande quand cela va cesser. Et surtout si cela va même s’arrêter un jour… Ils sentent que la Nature est en crise. Peut-être pressentent-ils que cette colère n’est que le fruit des mauvais traitements que les hommes infligent à la terre depuis déjà trop longtemps. Comme un ultime avertissement. Avant le grand chaos. Difficile de ne pas penser aux vieilles légendes aztèques qui prédisent que la fin du monde surviendra lors d’un terrible et ultime tremblement de terre. Le moment où le cinquième soleil s’éteindra pour toujours. Ces prédictions quelles soient farfelues ou non laissent les gens totalement impuissants avec la peur au ventre, l’épouvante collée au corps et à l’âme. Les sens perpétuellement aux aguets.

Mais ce soir, à Huitzo, l’inquiétude ne fait que passer. Les conversations sur la fête de la vierge de Rosario reprennent vite le dessus. Au centre du village, une ambiance de fête avec ses stands de tir et ses vendeurs d’hamburgers mais l’important n’est pas là. Ce soir, on va brûler le castillo de fuego dressé fièrement en face de l’église.

La place n’est qu’un mouchoir de poche et la tour de fer n’est entourée que d’un simple ruban rouge. La foule est tout près, si près que les règles de sécurité si importantes en Europe ne semblent pas être à l’ordre du jour ici ou du moins être plus minimalistes…
La fête commence par un toro de fuego fait de fer et de papier mâché. Sous lui, un jeune homme lui donne vie. Il court, il danse il virevolte et chacun de ces mouvements lance des flammes. Ça pétarade, ça jette de la lumière partout. Les flammèches tombent sur une foule riante, qui se protège ; un avec son parapluie, l’autre avec un pull sur sa tête mais personne ne s’éloigne. Bien au contraire!
Les toros de fuego se succèdent. La musique devient plus forte à chaque passage. La danse du toro se fait plus énergique. Il sautille, part à droite. Revient à gauche en courant puis surgit juste derrière la tour. Les enfants frémissent de plaisir. Soudain, la couronne de feu s’embrase. La musique se tait. Juste le bruissement de la couronne qui part vers la nuit. Les yeux des gamins, et même ceux des adultes sont grands ouverts sur le ciel. Peut-être que demain des gamins partiront à sa recherche et reviendront triomphant avec la couronne calcinée.
La mise en bouche est terminée.
Le spectacle peut commencer.

La tour s’allume. Un oiseau de feu tente son envol. Des spirales rouges s’enroulent, se déroulent en bleu et se transforment en un coq étincelant de mille flammes, dressé comme une fusée. Des serpentins multicolores volent vers le ciel. Des détonations jaillissent de toutes part. Puis le feu d’artifice sur le toit de l’église. La foule en dessous sursaute et s’éloigne en riant pour éviter les petites étincelles qui leur tombent dessus. Le feu s’emballe. La vierge s’affole. Une belle bleue par là. Un crépitement par ici. Une étoile scintille de rouge et s’éclate dans la nuit. Une déflagration de lumières et de pétards. Ça ressemblerait presque à une fusillade sauf que là, c’est le bonheur, la vie qui tire de toute part.
La foule éparpillée, se replace sur la gauche. Mais le château tout entier crépite, ça vient de partout. Chacun se protège comme il peut sous ce déluge de feu et de son. La vierge toute en lumière disparaît et ne laisse qu’une légère trace d’étoiles filantes. Le silence se fait mais la magie opérera encore un long moment après la fin du spectacle. Dans les yeux de la foule, il y aura comme une lueur d’enfance. Et les sourires complices laissent deviner que ce soir, ils auront partagé bien plus qu’une simple fête. Presque une catharsis dans ces moments de douleur et de terreur.

Ici, au Mexique,
La terre peut bien trembler
Le monde peut bien s’écrouler
Mais il y aura toujours un moment
Pour danser, boire, rire
Et maintenant plus que jamais !

San Cristobal de las Casas, 12 octobre 2017.
Traba

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Une réflexion sur “Mexico, le temps d’un battement d’ailes.

  1. Que la fête commence et que le peuple mexicain fasse trembler les puissants et que la Guadalupe fasse que la Tierra Madre cesse de trembler…Biz à tous 2

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