Le tour des caracoles et un peu plus, en six jours!

     Six jours, cinq caracoles (1) plus une réunion publique à Palenque. Voilà le programme chargé de Marichuy, porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement (2) du 14 au 19 octobre 2017. Un véritable marathon pour se présenter aux communautés zapatistes, tout comme aux différentes communautés de la région. Une caravane d’une dizaine de bus transporte 156 consejales de 63 régions du pays qui parlent près de 39 langues et plus de 500 membres du CNI. Une vraie aventure en soi quand on connaît les routes du Chiapas…

201710_MEX_PAT_8964

Sur la route de Guadalupe Tepeyac.

       Nous, nous partons à cinq dans une petite voiture rouge. Enthousiastes. Dès le départ à San Cristóbal, la Golf marque bien des signes de fatigue mais rien ne peut arrêter la vaillante bande que nous sommes. À peine à deux heures de route et la boite de vitesse craque. On ralentit. Bientôt, on ne peut passer que la seconde et la troisième… À Comitán, on demande un atelier mécanique à un chauffeur de taxi et lorsqu’on s’y arrête, le volant se décroche presque. Tiens, il lui manquait des vis ??? Il est à peine 9h du matin… Bon ben, on va faire une pause et boire un café non ? Finalement, on aura largement le temps de prendre un solide petit déjeuner, aller deux-trois fois aux toilettes et regarder les nuages filer dans le ciel. Mais au Mexique, rien n’est impossible et au bout de trois heures, nous avons à nouveau une boite de vitesse retapée et un volant bien accroché. Miracle !!! Y que viva la Virgen de Guadalupe !!
On repart à l’assaut des heures qui nous manquent. Au bout d’un certain temps, la boite de vitesse re-patine. Mais là, on décide de l’ignorer. On nest plus très loin du but. D’ailleurs, on n’a plus peur de rien. Et lorsqu’un compañero et son fils au bord de la route nous font signe de s’arrêter pour qu’on les amènent. On n’hésite pas ! Allez, trois sur le siège passager, on ouvre la vitre. On sort les têtes et hop…. ça passe!!

Première escale de la tournée à Guadalupe Tepeyac, dans la zone Selva Fronteriza, près du Cacarol de La Realidad, trop petit pour recevoir tout ce monde et moins éprouvant pour les bus; la route n’étant plus qu’une piste en mauvais état jusqu’au Caracol même.
Notre petite bande triomphante arrive en fin d’après-midi. Forcément, tout a commencé. Marichuy n’a même pas daigné nous attendre…. On commence à vouloir garer la voiture et là… paf… elle cale ! Elle ne veut plus redémarrer. Je crois qu’elle nous signifie qu’elle n’en peut plus ou quelque chose comme ça. Des compas nous aide à la pousser et on la laisse là, ingrats que nous sommes !!
Le soleil est de feu et en cinq minutes, on est grillés comme des raisins secs. Ça ne va pas être de tout repos cette tournée de Marichuy….
Finalement, la petit voiture rouge rentrera sagement à San Cristóbal au bout de deux jours. Nous passerons alors à une grande berline avec air conditionné. Mais ni le confort, ni la bonne musique ne nous feront oublier l’aventure dans notre petite Golf rouge.

Les femmes à l’offensive !

      Durant ces six jours, le vrai point fort est la présence systématique des femmes sur la tribune. Pas un homme à l’horizon. Que des femmes zapatistes, des commandantes de l’EZLN, des militantes de la société civile ainsi que Doña Hilda Hernandez, mère de César Manuel Gonzalez Fernandez, étudiant à Ayotzinapa, âgé de 19 ans au moment de sa disparition.
Les discours sont offensifs et parlent de la réalité de l’oppression historique des femmes au Chiapas. Pour exemple, au Caracol de Morelia, la commandante Miriam du CCRI-CG de l’EZLN (3) remonte l’histoire jusqu’à ses aïeules, exploitées dans les fincas des grands propriétaires terriens mais aussi cantonnées dans leur rôle de mère et d’épouse par leurs maris. Mais depuis le soulèvement de 1994, les femmes zapatistes ont démontré qu’elles savaient s’organiser et qu’elles sont capables de décider elle-même de leur futur. Au Chiapas, les femmes sont à leur place. Au Mexique, rien n’est moins sûr…
Elle conclut en disant : « Compañeras , il ne faut pas avoir peur, de personne, nous devons lutter partout où nous sommes, dans notre quartier, dans notre couple, sur notre lieu de travail et c’est ce que nous demandons… Et personne ne va venir nous sauver si nous ne nous organisons pas entre nous. Nous les zapatistes, nous ne sommes pas la solution, la véritable solution c’est vous et avec le temps vous trouverez les raisons de vous organiser ».
Elle finit par un jouissif « Que chinga a su madre Trump ». Je vous laisse traduire…
La commandante Elvira du CCRI-CG de l’EZLN dénonce une situation encore plus grave qu’il y a 23 ans (4). Effectivement, la violence au Mexique s’est nettement aggravée. Durant les six premiers mois de l’année 2017, il y a eu plus de 12 000 assassinats et plus de 30 000 disparus depuis la guerre aux narcos déclarée en 2006 par l’ex-président Felipe Calderón. Une violence exponentielle liée à l’incurie des politiques, infiltrés par le crime organisé pour la plupart d’entre eux. Un narco-état qui ne dit pas son nom et qui recrute de la chair à canon dans les classes les plus marginalisées du pays, tant à la ville que dans les campagnes. Et dont l’impunité est des plus insolentes.
Et dans ce climat de violence généralisée, Elvira nous rappelle que la situation est encore pire pour les femmes, indigènes, pauvres prises au piège dans un système qui les oppriment et qui les baillonnent. Une violence qui a pour nom féminicide et dont les chiffres donnent la nausée. En moyenne, six femmes sont assassinées chaque jour et selon le rapport « Feminicidio en México. Aproximación, tendencias y cambios, 1985-2009 », 34 176 femmes ont été assassinées au cours de ces 24 années.
Un autre thème cher à la commandante zapatiste est l’expropriation systématique des terres pour construire des usines hydroélectriques, des projets éoliens, des autoroutes, des aéroports, des centres touristiques et éco-touristiques, des projets miniers ou l’extraction de pétrole pour ne citer que ceux-la. Elle insiste et précise bien que tous ces projets abîment la Terre Mère ; ils sont en partie responsables du réchauffement climatique. Elle souligne aussi la perversité des programmes sociaux, faits uniquement pour contrôler et dominer les indigènes.
À la ville, la situation est toute aussi catastrophique : peu ou pas de droit du travail, des salaire très bas, la menace du chômage, l’exploitation, l’humiliation, l’intimidation, le mépris se retrouvent dans tous les espaces de travail et plus particulièrement pour les femmes. Ces situations de détresse et d’extrême violence poussent certains à partir sur le chemin de l’exil en direction des États-Unis. Plus de dix millions de migrants dont 5 millions sont des femmes. Un de ses derniers mots sera « La conquête de notre liberté et de la justice viendra seulement du peuple et de personne d’autre ».

      Marichuy, elle, aura un discours plus modéré, pour essayer de parler aux plus grands nombres et pas seulement aux zapatistes. Elle aura des propos plus rassembleurs qui se situent en bas à gauche et dont l’ambition est de toucher tous ceux qui sont sous le joug de l’hydre capitaliste, tous les mexicains et mexicaines pauvres du pays.
Elle dit clairement « il est l’heure d’unir nos douleurs non seulement des peuples indigènes mais aussi des paysans et unir la douleur des homme et femmes des villes ».
À Guadalupe Tepeyac, le challenge est d’autant plus fort que parmi la foule il y a des paysans encartés au Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) ou à d’autres partis politiques, tout aussi nauséabonds. Surtout, ici, près du lieu de l’assassinat de Galeano en mai 2014 par des paramilitaires. D’ailleurs, une lettre de la famille de Galeano sera lue par Gloria Elisa Benavides, ex-commandante de l’EZLN. Des mots simples, qui refusent la vengeance mais qui réclament justice. Des mots qui affirment : « Il faut lutter ensemble contre le vrai ennemi, celui qui nous exploite. Il ne sert à rien de se battre entre nous parce que je suis d’une autre religion, parce que je suis blond, brun, petit ou d’un autre parti politique ». Un appel à l’intelligence collective pour ne pas se tromper de cible et réduire les tensions qui divisent les communautés.
À Palenque sur la place publique, des miliciens zapatistes entourent discrètement une foule dense. Clairement, les communautés avoisinantes se sont déplacées pour venir écouter le discours de la porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement.
Au cœur de tous ses discours, la situation des femmes, d’ici et d’ailleurs : « C’est l’heure pour les femmes de lutter et de s’organiser pour faire naître sa liberté, faire naître une nation nouvelle et juste, pour faire naître un monde de paix, différent, bâtis sur les ruines du monde capitaliste et patriarcal ».
Durant ces interventions, Marichuy n’aura de cesse de dénoncer les pièges mesquins posés par l’Institut National Electoral et ses sbires. Comme le fait d’avoir coupé le réseau Internet et téléphonique dans les zones d’Altamiro et d’Ocosingo. Plus les multiples difficultés techniques inhérentes à l’application informatique exigée pour la collecte des signatures.
Cette initiative inédite du CIG est destinée à tous les laissés-pour-compte du Mexique, elle a pour ambition d’utiliser la conjoncture électorale pour faire circuler la parole et inviter chacun et chacune à participer à la construction d’un autre pays. Et comme disent les zapatistes « desmontar desde abajo el mundo de arriba».

Une belle démonstration de force

On assiste à une vraie ferveur populaire autant du côté des zapatistes que du côté des communautés environnantes. Au Caracol de Morelia, l’accueil est digne d’une victoire en coupe du monde. La pluie tropicale ne douche en rien les ardeurs. Et lorsque Marichuy arrive sous une clameur extraordinaire et qu’elle monte sur le camion-estrade, qui l’attendait depuis des heures, on aurait presque l’impression qu’elle allait soulever une coupe. Non, c’est juste une simple femme indigène qui vient parler à ses semblables au milieu de territoires oubliés depuis toujours.
Le camion remonte une foule de passe-montagnes. Il y a des milliers de personnes qui lèvent le poing et scandent des slogans en l’honneur de la porte-parole du CIG et des femmes qui l’accompagnent.
Le camion peine à traverser la foule. C’est une véritable marée humaine qui l’escorte au centre du Caracol ou presque autant de gens l’attendent au milieu d’un champ de boue. Mais qu’importe, ils ont patienté sous la pluie pour écouter une femme qui parle la même misère qu’eux, qui sait la douleur quotidienne de ne pas pouvoir nourrir correctement sa famille et d’être invisibilisés par ceux d’en haut. Une femme qui leur parle direct au cœur. Ce soir-là, c’est tout un peuple qui palpite. La force de l’expérience zapatiste est tangible, on la croise dans les yeux de tous et toutes. C’est fort. Émouvant. On aurait presque le cœur au bord des larmes.
Au Caracol de La Garrucha, le ciel s’effondre et une pluie torrentielle s’abat sur la foule. Stoïque, elle sort des bâches de plastiques, d’autres des parapluies et ils restent là. Immobiles. À écouter ces femmes qui racontent leur lutte, leur espoir. Et malgré ce ciel désespéré qui tonne et qui semble ne jamais vouloir s’arrêter, un sentiment d’unité et de détermination passe de la foule à la tribune et de la tribune à la foule comme le sang dans les veines. La vie qui vient, qui va malgré tout.
Un slogan drôle, et loin des refrains habituels en politique, revient sans cesse : « Chile, tomate, cebolla, el capitalismo se va a la olla ».  Sûrement inventés par les femmes elle-mêmes.

La présence des miliciens et miliciennes de l’EZLN était toute aussi impressionnante. Ils étaient des centaines, en retrait, autour de la chapelle de Guadalupe Tepeyac. Des milliers à La Garrucha le long de la route qui mène au Caracol. Silencieux, immobiles, en haie d’honneur, sans arme, juste avec des matraque en bois. Une présence massive, un signe que les forces de l’EZLN n’ont pas faibli et que la défense des communautés leur incombe à chacun d’entre eux. Une charge communautaire bien visible durant ces cinq jours.
La commandance masculine de l’EZLN, peut-être à juste titre, n’est pas apparue sur la scène, elle n’a pas émis le moindre discours. Pas l’ombre d’une pipe à l’horizon. L’espace était entièrement dédié aux femmes et hommes des communautés zapatistes et non-zapatistes. Là, c’était bien le peuple qui réfléchissait et qui partageait l’espoir d’un autre monde, une autre manière de faire de la politique.

Lors de cette tournée, nous avons aussi assisté à une organisation collective impressionnante. Les zapatistes ont dessiné les banderoles de bienvenue le long du parcours, ils ont construit des tribunes en bois, des dortoirs, des toilettes dans chaque lieu, des douches, etc, etc… Ils se sont mobilisés pendant des jours, des semaines pour que le jour J, la fête soit belle. Et lorsque le moment est venu, ils ont donné à manger à plusieurs centaines, peut-être des milliers de personnes sans que transparaisse la moindre fatigue ou le moindre signed’énervement. Le soir, ils sont montés sur scène pour chanter des corridos en l’honneur de Marichuy. Réciter des poésies de résistance et de liberté. Les jeunes ont mis leur flow au service d’un hip-hop endiablé en l’honneur de toutes les femmes du monde. Même les enfants sont venus porter leur petites voix pour remercier et honorer la présence du CIG.
Chaque soir était différent mais à chaque fois, cela se terminait par un bal. Pour que les petites fourmis zapatistes puissent enfin devenir des cigales et danser jusqu’au petit matin. Et de voir, les yeux qui sourient derrière toutes ces passe-montagnes, voir ces couples qui se forment timidement, cela rend heureux. Tout simplement. Les consejales et consejalas eux aussi ont festoyé, dansé toute la nuit pour oublier que le lendemain, ils devaient remonter dans ces satanés bus…
Face à ces moments d’humanité, on aurait presque envie d’imaginer que cela puisse durer toujours. On se croirait presque invulnérable à la laideur du monde, à la violence bête et crasse des hommes. Rien que pour l’espoir et la beauté suscités durant ces six petits jours, cela valait la peine d’arriver jusque là… en petite golf rouge !

      Et laisser résonner en soi, les dernières paroles de Marichuy au caracol d’Oventik :  « Il est temps de faire notre propre agenda, notre propre programme de gauche et anticapitaliste. Profitez du moment que nous offre l’histoire pour faire ensemble la grande structure nationale qui fera tomber les murs qui nous oppriment, nous divisent et nous affaiblissent » .

Et pour se mettre dans l’ambiance, un peu de musique: La cumbia de marichuy!!

Oaxaca, 31 Octobre 2017
Traba

  1. Crées en 2003. Lieux de prise de décisions et d’administration des communautés zapatistes. Il y a cinq Caracoles (La Realidad, Oventik, Morelia, Roberto Barrios, La Garrucha) où siègent les cinq Juntas de Buen Gobierno (JBG).
  2. Voir article article précédent : Que retiemble en sus centros la tierra.
  3. Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène, Commandement Général de l’EZLN.
  4. 1er Janvier 1994, date du soulèvement zapatiste.
Please follow and like us:
Pin Share

7 réflexions sur “Le tour des caracoles et un peu plus, en six jours!

  1. Super^De l’autre côté du Charco », ça réchauffe le coeur et l’esprit. On attend le prochain numéro avec impatience et profitez de tout chaleureusement. On vous accompagne. Adelante ! Un abrazo fuerte para los dos! Maria y Don

  2. Véro, Patxi, on a laissé un commentaire sur votre page « De l’autre côté du charco », on est pas sûr que vous allez pouvoir le lire. Pouvez-vous nous dire si vous l’avez bien reçu ou sinon comment faire. En tout cas c’est super on a pris beaucoup de plaisir à vous lire, regarder les photos, regarder des vidéos. Bonne suite… Profitez de tout chaleureusement. On pense à vous. Marie et Don

  3. Tant de beauté, tant d’Humanité ! Cela me rappelle mes voyages militants au NICARAGUA et à CUBA pour faire vivre la solidarité concrète, construction d’écoles, travail aux champs, rencontres …. Véro et Patxi, vos récits me font vibrer, pleurer d’émotions et de désirs de transformer le monde, encore et toujours. Je les partage avec tout mon entourage et au-delà.
    Chinga al capitalismo, a las guerras, al armamento, a los verdugos, a los financieros, a los gobiernos de mala muerte !
    VIVA la verdadera alternativa MARICHUY !!!!!

Répondre à Civel Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *