Unión Hidalgo, cinq mois après.

             Retour à Unión Hidalgo, cinq mois après les deux terribles tremblements de terre des 7 et 19 septembre 2017. Il suffit de se balader dans les rues pour comprendre que l’expression retour à la normale est toute relative.
Partout où le regard se pose, des décombres au sol, des tas de briques, quelques tuiles brisées, des bouts de ferraille emberlificotés devant chaque maison numérotée. Des pelleteuses dévoreuses patientent sur la place centrale. Le vent souffle une poussière drue et la luminosité intense du ciel ne dupe personne. Unión Hidalgo est encore meurtri, balafré par les rugissements impétueux de la terre, par une douce nuit de septembre (1).

             Le village se remplit de bruits dès les premières lueurs de l’aube. Là, un coup de marteau sur une charpente. Plus loin, une voiture passe avec des longes tiges de fer qui strient la rue. Derrière la mairie, un camion-benne dépose bruyamment ses gravats. Plus doux, le raclement de la truelle sur le mur. Les ouvriers qui s’interpellent en zapotèque. Une rumeur de chantier et d’affairement remplit l’air ambiant.

             Mais la nature est imprévisible et en ce calme vendredi soir, la terre tremble à nouveau. Et, là, on le ressent bien. Juste quelques secondes. Mais suffisamment pour avoir la sensation d’être embarqué sur un bateau ivre. Tout le monde sort des maisons et se retrouve dehors. Le regard inquiet de ceux qui savent que ça peut-être encore bien pire. Personne ne parle. Chacun essaie de deviner le mouvement suivant de la terre. À leur grand soulagement, elle restera silencieuse. Mais dans les yeux de chacun, on peut y lire une question angoissante : « Jusqu’à quand ? ».
Cette fois-ci, la secousse était forte, 7.2 sur l’échelle de Richter avec comme épicentre, Pinotepa Don Luis, à quelques centaines de kilomètres de là ! Heureusement, il n’y a pas eu de dommage mais la peur a été ré-activée. Une fois de plus. Comme si le traumatisme ne pouvait totalement se dissoudre dans la quiétude millénaire de ce petit bout de terre, soumis aux quatre vents.
Pour autant, le village ne se laisse pas abattre. La solidarité est toujours à l’ordre du jour. Comme ce dimanche ensoleillé où un tequio a été convoqué pour nettoyer le fleuve « L’espiritu Santo ». Un jour, un groupe d’habitant exaspéré de voir leur fleuve servir de dépotoir au village ont lancé l’idée de cette campagne de nettoyage. Pour cette année 2018, c’est le deuxième dimanche de travail communautaire. Il y en a six de prévus pour arriver jusqu’au pont à la sortie du village.
Sur les rives, plusieurs dizaines de personnes s’activent. Un pour ramasser les détritus, les bouts de plastiques qui traînent. D’autres, à la machette, taillent les branches qui dépassent. Certains ratissent le sol. Un groupe de filles se laisser filer dans le courant et s’esclaffent de rire. Les garçons, bande à part, se jette dans l’eau et font des ricochets. Les plus petits modèlent des boules de boue ou emplissent un gant de chantier pour en faire des pantins désarticulés. De jolis moments d’enfance qui seront les souvenirs de demain.
En bande sonore, des chansons d’amour, de la cumbia qui filent dans l’air aussi parfaitement que les nuages dans le ciel. Pedro toujours aussi jovial esquisse des pas de danse. Les travaux de sa maison n’ont pas commencé car ses cartes d’indemnisation n’ont pas fonctionné. Optimiste, il pense pouvoir commencer dès le mois prochain. En attendant, il dort toujours dans son atelier. Sa maison en ruine comme décor, à chaque réveil et chaque coucher…
À la fin du chantier, les femmes amènent tamales et sodas pour récompenser l’effort fournis. Il y a toujours un plaisir à dépiauter son tamales comme si on ouvrait un petit cadeau. Et à chaque fois, la surprise est délicieuse. Pas une fois, on ne sera déçu par la cuisine collective des femmes mexicaines. Faite avec amour et générosité pour le plaisir de tous et toutes.
Pour conclure, la maîtresse d’école prend le micro et entonne une chanson d’amour. Une belle voix puissante. Son homme est parti. Il a des regrets. Il veut revenir. Les femmes répondent en chœur « Ni modo ». La chanson se conclut par «Demasiado tarde ». Les femmes applaudissent ; les hommes rient un peu jaune. Ici, les femmes sont libres et elles le clament sur tous les tons. Devant une telle énergie collective et une telle complicité, on se prend à croire que le village va vite retrouver son lustre d’antan.

             Incontestablement, Unión Hidalgo se reconstruit briques par briques, murs par murs et à chaque jour qui passe, il relève un peu plus la tête. Tout nouveau soleil est vécu comme une avancée supplémentaire ! Et le village dans son ensemble prie, peut-être un peu plus fort que dans le passé, pour que la Terre ne tremble à nouveau. En espérant que ces prières soient entendues. Tout en sachant que la Tierra Madre fait ce qu’elle veut. Impétueuse et imprévisible par nature !

Traba, Jinotega, Nicaragua. 4 avril 2018

(1) Ce texte fait écho à celui publié en décembre 2017
https://delautrecoteducharco.wordpress.com/2017/12/13/seisme-et-coup-bas/

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Une réflexion sur “Unión Hidalgo, cinq mois après.

  1. Il leur faut du courage et de la détermination après ces épreuves, celle-ci s’ajoutant à d’autres. Pourrait-on traduire « ni modo » par : « Et surtout ne te retournes pas » ! – Nous vous embrassons

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