La CIPEC existe depuis le 26 septembre 2006, date de commémoration de la disparition forcée du Profesor Gregorio Alfonso Alvarado Lopez, un des fondateurs du projet. Il y a des dates qui semblent maudites… (1)
Une quarantaine de famille ont décidé de créer un espace collectif en dehors du modèle néolibéral. Chaque jour, ils inventent une autre forme du vivre ensemble pour construire un monde différent. Ils ne voulaient pas d’une colonia traditionnelle même si beaucoup pensaient que cela ne serait pas possible dans une ville. Presque dix ans plus tard, leur rêve est devenu une réalité. Pourtant au début, il n’y a avait rien. Juste une terre vierge. Ils ont fait les terrassements, construit des maisons en bois et au centre, le lieu le plus important, la cantine appelée comedor, gérée collectivement par tous.
Ils s’organisent en assemblée. Cette assemblée désigne quatre personnes qui ont la charge de la communauté pour une année; toutes les décisions sont discutées en collectif pour arriver au meilleur consensus.
Le comedor sera le lieu de tous nos échanges. C’est là qu’hommes et femmes à tour de rôle cuisinent, épluchent les légumes, lavent la vaisselle pour tous. Certains matins, Yuri prépare ses jus d’oranges, C’est là que les enfants font leurs devoirs. C’est là que les adultes débattent, mangent, rient. En fond sonore, la radio locale pour se tenir au courant des blocages, des actions et des débats contradictoires. Un lieu en perpétuel mouvement, rempli de vie et de tendresse et qui rend cette communauté si attachante.
Carlos sera notre guide. Il nous trimballera partout avec une bonne humeur sans faille, nous fera rencontrer tout son réseau. À Chilpancingo, le zocaló est cerné par les tentes des maîtres d’école en grève, tous les édifices publics ont été occupés. Même la banque a dû fermer ses portes. Un hélicoptère tourne autour de la place. Personne n’y prête vraiment attention. Adriana, maîtresse d’école et pilier du syndicat national des travailleurs de l’éducation nous donne de son temps pour qu’on puisse mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la répression que subit le Guerrero depuis plusieurs années.
Un matin, toute la communauté nous amène à l’école rurale d’Ayotzinapa. Nicolas de Jésus est là aussi.Je traverse le terrain de basket, le centre de l’école. Le cœur et le ventre en vrac. La présence de la communauté à mes cotés me donne la force de ne pas pleurer.
Au centre, quarante-trois sièges vides et un autel avec les photos des quatre jeunes assassinés. Edna me tient par l’épaule. Hugo nous présente deux pères de disparus qui acceptent de discuter avec nous. Ils parlent de leurs fils au présent. Ils sont bouleversants d’amour et d’espoir. Et c’est incroyablement fort. D’être là. Avec eux. Avec la communauté.
Nicolas nous montre les muraux qu’il a réalisé. On passe devant des dizaines de bâtiments. Partout des slogans. Le Che, Marcos s’affichent sur les murs.Un endroit qui respire la conscience politique, une volonté farouche d’étudier. Il est difficile d’imaginer que parmi tous les jeunes qu’on croise, il en manque quarante-trois. Les sièges vides nous le rappellent cruellement.
Le soir, je m’écroule de fatigue et d’émotion.
Nous sommes la veille de la fête de la Vierge de la Guadalupe. Les Chinelos sont invités à danser. On va de maisons en maison. On mange un bout. On boit un verre. La nuit s’étire. Patxi se laisse convaincre de danser. Il revêt le costume de danse. Ici, l’intégration est simple et sans complexe. On finit tout les trois avec Beto. Le mezcal comme un lien magique. C’est simple et fort à la fois.
Le lendemain, nous participons à la commémoration de l’assassinat de deux étudiants d’Ayotzinapa tués par la police le 12 décembre 2011. Comme si cette école était au cœur d’un acharnement gouvernemental. L’autoroute est bloquée. Un semi-remorque, sûrement réquisitionné, barre le passage. Ils ne plaisantent pas quand ils veulent protester les gens du Guerrero. Une foule digne se recueille devant les croix où sont tombés les deux jeunes. Tout autour, un service d’ordre autour des parents des disparus. Des jeunes masqués, avec des barres de fer et/ou des bâtons à la main, prêt à riposter à la moindre violence policière. La tension est palpable. Les discours sont catégoriques et personne ne songent aux vacances. Ils n’écartent pas l’idée de bloquer les péages et de rendre difficiles l’accès aux plages du Guerrero. Et les lamentations hôtelières d’Acalpulo sont le cadet de leur souci. Leur unique préoccupation est de retrouver leurs enfants en vie. Un des parents affirme qu’il n’y aura ni noël, ni fin d’année pour personne et surtout pas pour ce « pendejo » de président. Il y a des insultes qui n’ont pas besoin d’être traduite….
Une autre jour, Saul et Jesy nous amène dans le petit village de Tecoanapa. On multiplie les transports. On passe d’un taxi à un combi à un micro-bus. Ici, ils appellent ça se transborder. Malgré la lenteur du voyage, on se laisse happer par le paysage. On oublie vite les tours et détours de la route. La nature se fait tropicale. La rivière paresse au fond de la vallée. Le temps file doucement. La chaleur se fait plus pressante.
À Tecoanapa, la municipalité a été occupée. Ils essaient de créer une autre forme de pouvoir, populaire et autonome. Tous ont envie d’y croire et même s’ils sont bien conscients que cela va prendre du temps, ils ont la farouche volonté de se passer des partis politique. Ils veulent inventer une autre forme de vivre ensemble. Ils sont soutenus par la police communautaire.
Lorsqu’on veut rencontrer l’équipe municipale, on nous renvoie vers la commission média. Ils essaient de canaliser les demandes pour avoir un seul et même son de cloches. On nous dirige vers José-Isabel à El Péricon. On prend un taxi. A l’entrée, un service de garde nous accueille mais ils n’arrivent pas à nous indiquer la bonne personne. Chacun connaissant un José-Isabel. On part au hasard dans le village. La tâche semble se compliquer…On demande à un homme sur une mule, sosie du Sergent Garcia. Il nous demande le nom de famille que l’on est incapable de lui fournir, nous engueule gentiment et nous dit qu’on ne peut pas arriver avec juste un prénom. Il y a en des dizaines avec ce prénom. Il nous sermonne. On baisse la tête faussement contrit. C’est assez drôle. Il hoche la tête, désolé puis finalement nous amène vers un vieil homme qui s’avère être son frère et donc l’homme qu’on cherche est son neveu. C’est simple non ? Pas tellement ! José-Isabel est parti à la ville. On aurait fait tout ce chemin pour rien ?? Finalement, son père nous propose de rencontrer son autre fils, tout aussi impliqué dans le village. L’homme à la mule sa mission accomplie repart et nous re-sert un petit sermon pour la route. On éclate tous de rire.
José Antonio est dans le champ avec une équipe de télé. On part les rejoindre. En fait, il s’agit de deux journalistes d’Arte qui filme avec un drone. Qui a dit que la télévision n’avait pas de moyens ?C’est quand même un peu surréaliste. Les journalistes remontent dans leur voiture de location. Eux, ils ne connaîtront pas le plaisir de se transborder.
José Antonio nous ramène chez lui et nous offre à manger. On discute et l’entretien se prolonge. Une vraie sympathie se créer. José sait pourquoi il lutte, il est jeune mais bien déterminé à s’inventer pour lui et ses enfants un monde différent. Lorsqu’on pense partir, il nous propose de nous ramener à Chilpancingo où il doit se rendre pour pouvoir participer au grand concert de soutien pour Ayotzinapa, prévu le lendemain. C’est presque trop beau pour être vrai. La chance nous sourit encore une fois. On s’entasse dans la voiture et le trajet direct, cette fois ne dure qu’une heure et demie au lieu des trois heures du matin. Il y a des jours où tout va bien. La communauté nous porte chance. Indéniablement.
Après dix jours dans la communauté, le départ se précise. Il y a comme une tristesse dans l’air. Comme un sentiment de quitter des proches. On décide de partir après la présentation du livre de Nicolas de Jésus. On aide aux préparatifs. On dresse la table d’honneur. On s’installe sur les chaises. J’ai la tête déjà un peu ailleurs. Pas très concentré sur le discours. Mais soudain le nom de Patxi ressort. Je lève la tête et croise le regard troublé de Patxi. Hugo vient de lui demander à lui et à Adriana de venir à la table comme invités de la communauté. Il se lève tout gêné. Il ne sait pas quoi faire de son corps. A la fin de la présentation, ils reçoivent un fusil en bois. Pas très pratique pour un voyageur au long cours mais il est impossible de refuser un cadeau d’une telle valeur symbolique. La mère de Beto nous offre une petite bouteille de mezcal. Le tour d’au-revoir s’éternise. On a pas vraiment envie de se quitter. On s’échange nos adresse mails, les facebook. Edna se met au micro et nous dédie une chanson. Tout cet amour nous bouleverse. A la fin ,Edna m’offre un petit calepin avec écrit 43 dessus, il y a des chiffres qui seront à jamais chargés d’émotion. J’ai le cœur qui s’affole. MERCI me semble tellement réducteur. Tellement insuffisant…
On charge nos sacs sur le dos. Le fusil en bandoulière. Une dernière photo. Le poing levé. Un dernier abrazo. Direction la gare routière. On monte dans le bus chargés d’émotion. Encore sous le coup d’avoir vécu une telle rencontre, avec une telle intensité. On n’a qu’une envie. Revenir le plus vite possible.
Boca del cielo, 7 janvier 2015
(1) c’est aussi un 26 septembre qu’ont disparus les 43 étudiants d’Ayotzina
Mademoiselle il faudrait peut être envoyer ça à not bon vieux journal CQFD avant de publier ça aux quatre vents?
Heureusement on a le plaisir de vous lire sur le site de CQFD en ce moment où rien n’échappe à la Charlitatisation…
bien à vous.
Merci pour ce temoignage bien emotionnant Biz
Merci les amis pour ces belles lignes si émouvantes
les Viapolo Marseille